Dès le 1er janvier prochain, les logements en DPE G doivent (en théorie, puisque le gouvernement songe à un report) être interdits à la location. Cette mesure, qui touche en particulier les logements en copropriétés, vient s’intégrer dans un arsenal réglementaire et incitatif, déployé à partir du Grenelle de l’Environnement et régulièrement renforcé pour susciter des prises de décisions de rénovation énergétique.
Mais dans les copropriétés, la systématisation de la rénovation énergétique reste encore timide, le boom annoncé se fait attendre. Alors que les copropriétés représentent 28% des logements des Français, les subventions attribuées aux immeubles en copropriété ne représentent que 8,6% du total des aides à la rénovation énergétique distribuées par l’ANAH en 2023. En outre, elles sont de fait majoritairement attribuées aux grandes copropriétés en chauffage collectif.
Les raisons de cette inertie ont fait l’objet de nombreuses analyses sociologiques. Celles-ci pointent notamment le problème des prises de décision collective en assemblée générale des copropriétaires, et l’implication encore insuffisante des syndics professionnels, qui gèrent pourtant neuf copropriétés sur dix.
Ce ne sont pas les seuls problèmes. Dans le cadre d’une recherche récente sur les stratégies alternatives à la rénovation globale, une étude sociologique à laquelle j’ai participé met en lumière que le cadre institutionnel d’encouragement à la rénovation énergétique laisse de côté la majeure partie du parc des copropriétés.
En cause, le modèle technique de la rénovation globale promu par les pouvoirs publics, qui apparaît inaccessible pour certaines copropriétés. Elles se retrouvent alors exclues des subventions et de l’accompagnement à la rénovation énergétique. En copropriété, la démocratisation de la rénovation énergétique passe donc par une politique plus inclusive.
Des copropriétés exclues des subventions
Pour comprendre en quoi ce modèle est inatteignable pour certaines copropriétés, il faut partir des conditions d’attribution l’aide collective MaPrimeRenov’ Copro, qui finance jusqu’à 25 000 € de travaux par logement.
Pour bénéficier de la subvention, un projet de travaux doit atteindre le seuil de 35 % de gain énergétique. Or, pour certaines copropriétés, cet objectif peut être impossible à atteindre pour diverses raisons. Celles-ci partagent – et souvent cumulent – des caractéristiques qui constituent des handicaps vis-à-vis d’une rénovation globale :
- Des façades patrimoniales en pierre ou en brique (parfois protégés par l’État au titre des monuments historiques), très nombreuses en centre-ville, ce qui complexifie l’isolation par l’extérieur,
- Un chauffage individuel, dont le remplacement ne se décide pas dans le cadre du vote des travaux collectifs de l’immeuble,
- Des travaux récents, comme le ravalement de la façade que l’on ne reprendra pas avant plusieurs décennies.
- Paradoxalement, la réalisation antérieure de travaux d’économie d’énergie peut s’avérer pénalisante pour atteindre le seuil des 35 % de gain énergétique.
À cela peuvent s’ajouter plusieurs facteurs de surcoût de la rénovation énergétique :
- la petite taille de l’immeuble qui conduit à un doublement du prix moyen par appartement,
- ou encore la priorité à donner, en termes d’investissement, à des travaux structurels nécessaires à la pérennité du bâti.
Les effets pervers des mécanismes d’incitation
Le second problème tient à la structure du marché de la rénovation. En effet, pour les professionnels, la rentabilité de l’activité d’accompagnement des copropriétés dans une rénovation énergétique repose sur le vote effectif des travaux, largement favorisé par cette aide.
Or, les bureaux d’études sont confrontés à une très forte croissance de la demande, liée aux obligations de diagnostics et aux aides incitatives proposées par certaines collectivités. Un contexte dans lequel ils peuvent se permettre de choisir.
Anticipant les difficultés de ces petites copropriétés à coller au modèle de la rénovation globale, les professionnels se focalisent ainsi sur celles qui ont le plus de chance d’obtenir la subvention.
Quant aux syndics de copropriété, l’organisation actuelle des cabinets ne leur permet pas d’accompagner en parallèle leurs nombreuses copropriétés dans une rénovation globale, ce qui explique une certaine sélectivité.
Pour autant, l’échéance est claire : toutes les copropriétés devront avoir réalisé avant 2025, un projet de plan pluriannuel de travaux (PPPT). Ce diagnostic consiste à confier à un professionnel la réalisation d’un bilan des travaux à prévoir sur l’immeuble dans les dix prochaines années, s’éloignant à priori d’une logique de rénovation globale en une fois.
Au-delà du respect de l’obligation légale, les copropriétaires qui s’emparent de ce diagnostic en attendent plus de visibilité, notamment sur les besoins d’entretien futurs, ainsi qu’une réflexion prospective sur la modernisation de l’immeuble.
Le modèle de la rénovation énergétique globale en questions
Mais les professionnels s’appuient sur ce PPPT pour déployer un argumentaire économique en faveur d’une rénovation énergétique globale, qui consiste à réaliser plusieurs travaux de rénovation énergétique en une seule fois.
Qu’est-ce qui peut entrer dans une rénovation globale en copropriété ? Mairie de la ville de Paris, Fourni par l’auteur
Et au bout du compte, les divergences entre copropriétaires et professionnels sur le contenu des travaux freinent la décision de travaux. L’approche exclusive des professionnels, centrée sur la rénovation globale, les conduit à proposer des travaux qui peuvent laisser les copropriétaires perplexes.
Les craintes de ces derniers vont au-delà des coûts. Par exemple, pour l’isolation par l’extérieur : attachement à l’esthétique de la façade, perte des qualités d’usage (par exemple, réduction de la luminosité, de la taille des balcons), craintes pour la structure de l’immeuble… Cette isolation requiert aussi la modernisation de la ventilation, qui implique des travaux vécus comme intrusifs.
En outre, le cadre réglementaire actuel n’est pas suffisant pour intégrer certains travaux en partie privative (par exemple, les chauffages individuels) dans le projet commun, rendant incertaine l’atteinte du seuil qui déclenche la subvention.
Dans ces immeubles, les copropriétaires n’adhèrent généralement pas au modèle de la rénovation globale et revendiquent leur souveraineté vis-à-vis du projet de travaux. Ils jugent excessive la recherche de performance énergétique basée sur des calculs abstraits qui conduit, par exemple, à remplacer des équipements en bon état de fonctionnement. Face à l’ampleur des travaux, ils expriment aussi une forte incrédulité vis-à-vis de la perception effective des subventions promises.
Au final, ils privilégient des projets de rénovation plus progressifs qui peuvent intégrer une amélioration énergétique dans le cadre de l’entretien courant et/ou dont les coûts restent raisonnables à leurs yeux. Cette stratégie de rénovation leur permet d’incorporer d’autres aspirations que l’énergie (par exemple modernisation ou embellissement), et de s’assurer de l’acceptabilité des travaux par l’assemblée générale des copropriétaires.
Le risque d’un système à deux vitesses
Il est vrai qu’une dynamique de rénovation énergétique est désormais lancée, en tout cas parmi les grandes copropriétés des Trente Glorieuses en chauffage collectif. Mais le modèle de la rénovation globale, qui s’applique bien à celles-ci, reste visiblement inadapté pour une majorité des copropriétés en France. En effet, plus de la moitié des logements en copropriété sont situés dans des immeubles de moins de vingt lots, et les deux tiers disposent d’un chauffage individuel.
Le risque de statu quo est réel : on aboutirait à une rénovation énergétique à deux vitesses, distinguant les copropriétés « privilégiées » par le cadre institutionnel actuel et les « reléguées » qui en resteraient exclues. Or, les passoires thermiques concernées par les interdictions de location à venir sont plus souvent situées dans ces petites copropriétés…
Compte tenu de cette situation, il est primordial que la politique de rénovation énergétique devienne plus inclusive, en accord avec la recherche actuelle d’une transition juste. Une rénovation énergétique plus inclusive serait celle qui intégrerait une plus grande partie du parc des copropriétés dans le cadre des aides.
Mieux s’adapter à chaque immeuble
Cela peut signifier adopter une approche plus segmentée, qui adapterait l’objectif de gain énergétique en fonction de l’historique et des caractéristiques techniques de la copropriété. Les professionnels interviewés dans le cadre de l’étude réclament d’ailleurs une progressivité dans l’attribution de MaPrimeRenov’ Copro.
S’éloignant d’une recherche « jusqu’au-boutiste » de performance énergétique, la rénovation énergétique inclusive devrait aussi mieux tenir compte des impératifs techniques de chaque immeuble (par exemple, travaux de structure à mener) et des attentes des copropriétaires (par exemple, amélioration du confort d’été…).
Pour que cette rénovation énergétique inclusive ne reste pas un simple vœu pieux, d’autres axes d’améliorations sont à envisager.
Du côté des professionnels :
- favoriser leur montée en compétence sur le traitement du bâti patrimonial,
- développer des modèles économiques adaptés plus petites copropriétés (par exemple : offre associant conception et travaux, mutualisation des diagnostics par îlot…),
- aider au développement de l’assistance à maîtrise d’ouvrage en dehors de la seule rénovation globale.
Du côté institutionnel, cela passe par l’amélioration de l’articulation des travaux en parties privatives avec le projet collectif (par exemple, on pourrait étendre la notion de parties privatives d’intérêt collectif).
L’ANAH et quelques collectivités expérimentent actuellement des modalités assouplies d’incitation à la rénovation énergétique pour les petites copropriétés. Gageons que cette approche puisse être rapidement étendue à une plus large échelle.
Gaëtan Brisepierre Sociologue indépendant, École des Ponts ParisTech (ENPC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.