<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Oubliez le pic pétrolier, nous ne sommes même pas au pic du charbon

12 août 2021

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Mine Charbon Australie
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Oubliez le pic pétrolier, nous ne sommes même pas au pic du charbon

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Les discours alarmistes sur la nécessité d'agir dans l'urgence et sur la nécessité de mener rapidement la transition font souvent perdre de vue la réalité. Depuis le début de l'année, pour faire face au rebond de la demande d'énergie dans le monde après la récession de 2020, la consommation d'énergies fossiles a fortement augmenté. Et notamment celle de charbon, le carburant fossile qui émet le plus de CO2. La priorité consiste avant tout à remplacer les centrales au charbon. Mais il y en a des centaines en construction en Asie...

Le problème avec la transition énergétique est que les imprécations, les calculs politiques et idéologiques, les prophéties apocalyptiques, les intérêts cachés et la multiplication d’études douteuses ont fait perdre tout sens des réalités.

La transition nécessite plus d’électricité

La transition consiste à se passer progressivement des carburants fossiles en en consommant moins et en les remplaçant par des énergies émettant moins de gaz à effet de serre. Le monde utilise chaque année 10 milliards de tonnes de carburants fossiles qui lui assure plus de 80% de l’énergie qu’il consomme.

Nous n’allons pas nous en débarrasser en quelques années, ni même en une ou deux décennies. Pour preuve, le rebond de l’économie mondiale après la récession de 2020 résultant de la pandémie de Covid-19 est marqué par une augmentation brutale de la consommation de charbon, de gaz naturel et de pétrole et par une envolée de leurs prix.

Si nous sommes incapables de voir cette réalité en face, nous ne sommes pas prêt de construire des stratégies réalistes de transition. Il en va ainsi du retour d’un serpent de mer né au siècle dernier, celui du pic de la consommation de pétrole dans le monde ou «peak oil». Cela n’a pas grand sens d’en faire une priorité si la consommation de charbon, l’énergie qui émet le plus de CO2, ne baisse pas. Et c’est loin d’être le cas. Ainsi, comme le montre une étude récente, 5% des centrales thermiques dans le monde, qui fonctionnent toutes au charbon, sont responsables de 73% des émissions de CO2 liées à la production d’électricité.

Cela est d’autant plus préoccupant que la transition passe par une plus grande consommation d’électricité et par l’électrification des usages dans le transport, la chaleur et l’industrie.

Hausse de la consommation de charbon depuis le début de l’année

La consommation de charbon a décliné en proportion de l’énergie utilisée et en valeur absolue dans de nombreux pays, notamment développés, depuis plusieurs années. Elle explique notamment pourquoi des pays comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont fortement baissé leurs émissions de CO2 au cours des dernières années.

Mais la consommation de charbon est repartie à la hausse au cours des derniers mois en Asie, en Europe, aux Etats-Unis et cela en dépit de la pression des institutions internationales, des gouvernements et des écologistes pour réduire les émissions de CO2.

Cela est plus particulièrement le cas en Chine et en Inde ou des milliers de centrales au charbon ont atteint des niveaux de production record depuis le début de l’année. Au cours des cinq premiers mois de l’année, la production d’électricité provenant des centrales thermiques au charbon a augmenté de 16% en Chine selon les chiffres du NDRC (National Development and Reform Commission), l’organisme de planification économique du gouvernement.

L’agence Bloomberg indiquait à la fin du mois de juillet que la demande de charbon avait poussé les prix à plus de 900 yuans la tonne, un peu moins de 120 euros. En mai, les contrats à terme sur le charbon ont atteint 150 dollars, soit 127 euros, leur plus haut niveau depuis 2008.

la Chine est le premier producteur mondial de charbon (47,6% du total) et le premier consommateur. Il représente 58% de sa consommation d’énergie totale. La Chine a produit l’an dernier 3,84 milliards de tonnes de charbon, son niveau le plus important depuis 2015 en hausse de 90 millions de tonnes par rapport à 2019. Le pays a par ailleurs importé l’an dernier 304 millions de tonnes de charbon, une très légère progression de 4 millions de tonnes par rapport à 2019. Au total, la consommation de charbon a atteint l’an dernier en Chine 4,2 milliards de tonnes et retrouvé ainsi son niveau record de 2013. Et elle a augmenté depuis…

«Le sud de la Chine a été très chaud et la consommation d’électricité quotidienne ne cesse d’atteindre de nouveaux sommets», explique Wang Haitao, analyste de Huatai Futures. «Même si l’approvisionnement en charbon a augmenté, il est difficile de suivre la demande. Certaines ont commencé à nouveau à rationner l’électricité et à alerter sur la consommation de charbon».

L’augmentation de la demande de charbon n’est pas limitée à l’Asie écrivait il y a quelques semaines le Wall Street Journal. Cela s’est aussi produit aux Etats-Unis et en Europe cette année.

Aux Etats-Unis, le charbon avait assuré à la mi-juin 23% de la production d’électricité du pays contre 17% pour la même période de 2020. Cela serait lié à la fois à la reprise économique, à l’augmentation du prix du gaz naturel et à un hiver rigoureux qui a par exemple provoqué un gigantesque black out au Texas en février.

L’Europe n’est pas épargnée. La consommation de charbon a augmenté en Allemagne, au Royaume-Uni et même en France selon le cabinet firm Energy Aspects. Au Royaume-Uni qui doit fermer d’ici 2024 toutes ces centrales au charbon, le gestionnaire du réseau électrique a lancé six alertes depuis novembre 2020 sur des risques de coupures. Il n’avait plus lancé une telle alerte depuis 2016.

Cela est notamment lié dans toute l’Europe à des difficultés d’approvisionnement en gaz naturel. L’ensemble du système électrique européen fait face aujourd’hui à des problèmes de capacités de production en période dite de pointe, c’est-à-dire l’hiver quand il fait froid. Selon une étude récente de France Stratégie, organisme de prévisions rattaché aux services du Premier ministre, les pénuries d’électricité seront fréquentes en Europe d’ici 2030.

Des centaines de centrales au charbon en construction

L’Allemagne et le Royaume-Uni, ont beau avoir dépensé des centaines de milliards d’euros pour développer la production d’électricité à partir des renouvelables, quand il n’y a pas de vent et de soleil et que la demande d’électricité est forte, les centrales thermiques fonctionnent à plein régime. Pour preuve, les émissions de CO2 en Allemagne au premier semestre provenant de la production d’électricité ont augmenté de 25%.

Mais la fermeture définitive de bon nombre de centrales au charbon en Europe est tout de même programmée dans les prochaines années y compris en Allemagne. Elles seront remplacées, pour partie, par des centrales au gaz.

A contrario, l’Asie continue et va continuer à en construire. Pas moins de 350 nouvelles centrales au charbon étaient en construction à la fin de l’année dernière. dont 184 en Chine, 52 en Inde, 7 en Corée du sud en 13 au Japon. La Chine entend financer par ailleurs la construction de centaines d’autres centrales thermiques au charbon au Vietnam, aux Philippines, en Turquie, en Indonésie, en Egypte et au Bangladesh.

Et ces pays en développement qui font face à des pénuries d’électricité ne sont en aucun cas en violation des accords de Paris sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ils n’ont aucune obligation dans les prochaines décennies. Y compris la Chine, la deuxième économie mondiale et première puissance industrielle, considérée comme un pays en développement dans les accords de Paris.

«C’est difficile de se passer du charbon du fait de la sécurité en approvisionnement qu’il offre» expliquait au Wall Street Journal Kathryn Porter, fondateur du consultant spécialisé dans l’énergie Watt-Logic.

La résurgence inattendue du charbon illustre la difficulté de se passer des énergies fossiles pour produire de l’électricité. Elle illustre aussi les problèmes liés au développement des renouvelables intermittents notamment éolien et solaire. Au début, la plupart des réseaux électriques peuvent gérer facilement le fait qu’une partie de la production provient de sources solaires et éoliennes dont la production dépend des vents, de l’ensoleillement et des heures de jour et de nuit. Ils ont besoin parfois d’activer des centrales thermiques pour compenser les fluctuations aléatoires de production. Mais quand le pourcentage d’électricité produit par les renouvelables augmente, le recours à des capacités de production importantes immédiatement mobilisables devient un réel problème.

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