Pour tenter à nouveau d’enrayer la baisse des prix du baril, les 23 pays producteurs de pétrole réunis au sein du cartel élargi baptisé Opep+ ont décidé dimanche 4 juin à Vienne après sept heures de négociation de réduire leur production d’un million de barils par jour en juillet. Cet effort sera fait seulement par l’Arabie Saoudite, qui produit environ 10 millions de barils par jour, et pourra être prolongé au-delà du mois juillet. Les pays de l’Opep+ se sont mis aussi d’accord pour prolonger en 2024 la baisse décidée en avril de 1,66 million de barils par jour. Leur production l’an prochain sera ainsi ramenée à 40,6 millions de barils par jour. Comme l’a déclaré le ministre saoudien de l’énergie, le prince Abdulaziz ben Salmane en parlant de la baisse presque immédiate de production de son pays, « c’est un cadeau saoudien ». Il a ajouté : « nous ferons tout ce qui est nécessaire pour apporter la stabilité à ce marché ». En réaction, les cours du baril affichaient lundi matin une hausse de près de deux dollars à 73 dollars le baril pour la référence américaine WTI et 77 dollars pour la référence européenne brent.
Une baisse presque continue du prix du baril depuis l’été dernier
En fait, une partie des réductions annoncées de production pour 2024 ne seront pas vraiment réelles. Les objectifs de baisse de production fixés à la Russie, le Nigeria, l’Angola et le Congo ont été allégés. Ces pays ne respectent pas vraiment leurs engagements. La Russie en produisant plus et les pays africains en n’étant pas capables pour des raisons techniques d’atteindre les niveaux qui leur ont été accordés. Les Émirats arabes unis ont même été autorisés à augmenter leur quota.
La question de fond demeure. L’Opep+, qui représente environ 40% de la production mondiale, a-t-il perdu la main du fait notamment de sa désunion ? La dernière baisse de production décidée le 2 avril dernier par les treize pays de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) menée par l’Arabie Saoudite et par les dix pays producteurs alliés menés par la Russie de 1,66 million de barils par jour n’a eu aucun impact durable sur le marché pétrolier. Et celle de 2 millions de barils par jour d’octobre 2022 n’a pas eu plus d’effet. En mai, après un bref sursaut des prix du pétrole, les craintes sur la faiblesse de l’activité des deux principales puissances économiques, les Etats-Unis et la Chine, et donc sur la consommation mondiale de pétrole ont rapidement ramené les cours du baril vers leurs niveaux d’avant le mois d’avril autour de 70 dollars pour le WTI et 75 dollars pour le Brent. La baisse des prix du pétrole est d’environ 25% depuis la fin de l’année dernière et de 40% depuis les niveaux élevés atteints à l’été 2022. Un vrai problème pour bon nombre de pays producteurs. Ainsi, l’Arabie Saoudite a besoin, selon les calculs du Fonds monétaire international (FMI), d’un baril à 80,90 dollars pour équilibrer ses comptes publics.
Tensions entre l’Arabie Saoudite et la Russie
En plus, les relations entre les deux principaux pays producteurs de l’organisation, l’Arabie Saoudite et la Russie se sont tendues. Si l’Opep a commencé par l’Arabie Saoudite a bien réduit sa production de 1,16 million de baril par jour, la Russie n’a pas tenu ses engagements d’avril et limité sa production de 500.000 barils par jour. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Moscou a produit 9,6 millions de barils par jour en avril, soit 300.000 de trop. Et la Russie a continué à vendre ce pétrole à prix cassés à l’Inde, à la Turquie et à la Chine. Il faut bien financer l’effort de guerre… Le vice-Premier ministre russe chargé de l’Energie, Alexander Novak, avait d’ailleurs écarté toute baisse de production de son pays bien avant la réunion à Vienne. « Je ne pense pas qu’il y aura de nouveaux changements », avait-il déclaré au journal russe Izvestia.
Effrayer les spéculateurs
Illustration des tensions existantes, les journalistes de Bloomberg, Reuters et du Wall Street Journal n’étaient pas les bienvenus, contrairement aux habitudes, à la réunion du 4 juin à Vienne. Elle avait pour objectif déclaré de tenter de reprendre la main sur le marché. Le ministre saoudien de l’énergie avait déjà essayé la semaine dernière d’effrayer les spéculateurs qui misent sur une poursuite de la baisse des cours. Le prince Abdelaziz ben Salmane avait déclaré : « je n’ai pas à montrer mes cartes, je ne suis pas un joueur de poker… mais je leur dirais simplement de faire attention ».
Aussi victimes de l’inflation
C’est d’autant plus un impératif pour les pays producteurs de pétrole qu’ils sont eux aussi victimes de l’inflation, provoquée un temps par l’envolée des prix de l’énergie, qui érode leur pouvoir d’achat. Comme l’expliquait l’agence Bloomberg le mois dernier, pour comprendre le problème de l’Opep+, il suffit de se rendre dans un magasin Ikea. Il y a dix ans, si le groupe suédois avait accepté d’être payé en barils de pétrole, un seul baril aurait presque été suffisant pour acheter une bonne partie des chaises permettant aux 23 délégations présentes à Vienne à la réunion de l’Opep+ de s’asseoir. Aujourd’hui, cela ne suffirait pas pour donner un siège à 5 personnes… Ce n’est pas seulement que les prix du pétrole ont baissé d’environ 25% depuis la fin de l’année dernière, mais que relativement par rapport aux prix des biens manufacturés et alimentaires la baisse est encore plus importante compte tenu de l’inflation. On pourrait dire que par une certaine ironie de l’histoire, le cartel perd la course contre une inflation qu’il a contribué à créer en faisant tout pour faire monter les prix du baril. Cela confirme une fois encore la thèse développée dans les années 1950 par deux économistes Raul Prebisch et Hans Singer selon laquelle à long terme les prix des matières premières baissent relativement à ceux des produits manufacturés.