La fracture au sein de l’Union Européenne (UE) entre partisans et adversaires de l’énergie nucléaire est loin, très loin de disparaître. En dépit de succès obtenus à l’arrachée, qui ont permis aux partisans de cette énergie décarbonée, à commencer par la France, d’obtenir son classement parmi les énergies durables et d’obtenir aussi que l’électricité nucléaire soit finalement considérée comme un moyen de produire de l’hydrogène vert bas carbone, les réticences et les freins au développement et au financement de nouvelles centrales et de nouveaux réacteurs restent considérables. Ils existent parmi les pays qui pour des raisons idéologiques et de calculs politiques ont tourné le dos au nucléaire, à commencer par l’Allemagne, et au sein même des technocrates qui font fonctionner la Commission européenne.
«Une alliance du nucléaire»
Voilà pourquoi onze pays de l’UE, emmenés par la France, ont affirmé mardi 28 février leur volonté de «renforcer la coopération européenne» dans l’énergie nucléaire pour développer «de nouveaux projets» insistant sur le rôle de l’atome dans la décarbonation de l’économie. «L’énergie nucléaire est l’un des nombreux outils permettant d’atteindre nos objectifs climatiques, de produire de l’électricité de base et de garantir la sécurité de l’approvisionnement», affirment ces pays dans une déclaration commune signée en marge d’une réunion des ministres européens de l’Energie à Stockholm.
Les onze pays (France, Bulgarie, Croatie, République tchèque, Hongrie, Finlande, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) s’accordent pour «soutenir de nouveaux projets» nucléaires, basés notamment «sur des technologies innovantes» ainsi que «l’exploitation des centrales existantes». Le texte prévoit aussi des projets conjoints de formation, «des possibilités de coopération scientifique accrue» et le «déploiement coordonné des meilleures pratiques dans la sécurité». Des groupes de travail entre signataires seront créés d’ici au prochain conseil de l’Energie fin mars.
D’autres pays non signataires, dont l’Italie et des Etats baltes, ont également «manifesté leur intérêt pour rentrer dans le cercle, même s’ils ne sont pas directement partie prenante d’une exploitation nucléaire», a indiqué après la rencontre la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Le cabinet de la ministre française Agnès Pannier-Runacher, avait annoncé avant la réunion son objectif de «créer une alliance du nucléaire (…) et d’envoyer un signal fort dans les différentes négociations européennes».
Hydrogène bas carbone avec de l’électricité nucléaire et réforme du marché européen de l’électricité
Paris entend notamment recourir à l’atome pour produire de l’hydrogène vert ou bas carbone par électrolyse en utilisant de l’électricité nucléaire décarbonée, ce à quoi s’opposent farouchement l’Allemagne et l’Espagne. Le conflit est aussi aigue sur la réforme du marché européen de l’électricité. La France, forte de son parc de 56 réacteurs nucléaires amortis et donc d’un coût relativement faible de sa production électrique préconise des contrats de longue durée à prix garanti, ce que refuse Berlin qui a misé sur les renouvelables intermittents éolien et solaire et le gaz.
«Le nucléaire représente 25% de la production électrique européenne et émet moins de carbone que l’éolien et le photovoltaïque», avait martelé le 27 février Agnès Pannier-Runacher, y voyant un outil «complémentaire» des renouvelables «pour atteindre la neutralité carbone», un objectif fixé par l’UE pour 2050.
«Nous devons unir nos forces» pour innover et «développer de nouvelles installations», avait ajouté la Ministre. «Etats-Unis, Royaume-Uni, Corée du Sud, Chine, Inde et même Japon envisagent le nucléaire comme moyen important de décarboner leur économie. Nous devons être sur un pied d’égalité».
L’hypocrisie luxembourgeoise
Mais elle n’a aucune chance de convaincre des pays qui ont surtout fait des choix politiques et idéologiques plus que techniques. Ainsi, Allemagne, Autriche et Luxembourg ont réaffirmé à Stockholm leur hostilité à l’essor de l’atome en Europe. «Pour gagner la course contre le changement climatique, nous devons être rapides. Les nouvelles centrales nucléaires, c’est 15 ans de construction, deux à trois fois plus cher que l’éolien et le solaire. C’est de l’idéologie, pas du pragmatisme» a déclaré le ministre luxembourgeois Claude Turmes. Sachant que le Luxembourg est un modèle d’hypocrisie pour dépendre de ses voisins pour sa consommation électrique et pour avoir acheté pendant des décennies de l’électricité nucléaire française bon marché…
Mais la nouveauté aujourd’hui est que la France n’est plus seule et est appuyée par la plupart des pays d’Europe centrale et de l’est. Pour le nucléaire, c’est là que cela se passe. Les projets de grandes centrales mais aussi de petits réacteurs se multiplient. Les américains GE-Hitachi et NuScale ont obtenu au cours des dernières semaines des contrats en Estonie, en Pologne et en Roumanie. Varsovie et Prague ont salué le projet d’alliance nucléaire européenne. «Les renouvelables peuvent s’avérer instables. Il faut une énergie stable et durable, faiblement carbonée: nous n’en connaissons qu’une, le nucléaire», a affirmé le ministre tchèque Jozef Sikela.
La présidence suédoise de l’UE n’a pas pris ouvertement partie étant contrainte à la neutralité même si le pays produit une part non négligeable de son électricité (38%) avec des centrales nucléaires et envisage d’en construire de nouvelles. «Nous respectons le fait que les Etats choisiront des solutions différentes pour leur transition, le but étant de se passer des énergies fossiles», a juste commenté la ministre Ebba Busch.