Transitions & Energies
Bidons déchets nucléaires

Nucléaire: la perception et la tolérance des risques sont à géométrie variable


L’une des raisons majeures du déclin de l’énergie nucléaire dans le monde occidental tient à la grande crainte, en partie irrationnelle mais bien réelle, des opinions publiques. Elle était particulièrement aiguë après l’accident de Fukushima, qui n’a pourtant fait aucun mort lié à la mise hors service de la centrale. Une décennie plus tard, la crise énergétique a balayé une bonne partie de ses craintes. Par Anne de Coninck. Article paru dans le numéro 20 du magazine Transitions & Energies.

L’opposition farouche à l’énergie nucléaire a nettement reflué au cours des dernières années mais n’a pas disparu pour autant. Même si cette source d’énergie permet de produire en grande quantité et de façon continue l’électricité la plus décarbonée qui soit sans dépendre de la force du vent ou de l’ensoleillement, les seuls mots d’atome et de fission nucléaire suffisent encore à alimenter des peurs irrationnelles mais bien réelles. Et cela, même si paradoxalement au KWh produit cette source d’énergie est la moins dangereuse pour les êtres humains (lire page 50). Mais cette information n’a jamais atteint et encore moins rassuré le grand public.

Maintenant, si 22 pays ont annoncé à l’unisson en décembre dernier lors de la COP 28 leur intention de tripler la production d’électricité nucléaire d’ici 2050, c’est que la perception de cette source d’énergie a beaucoup changé en peu de temps. Son déclin semblait inéluctable en 2011 au lendemain de l’accident de la centrale de Fukushima au Japon. Sa renaissance, elle la doit, entre autres, à la versatilité d’une opinion qui pourrait d’ailleurs très certainement basculer à nouveau en cas d’incident grave dans une centrale.

Le fondement de l’idéologie écologiste

Il ne faut pas oublier que dans les années 1970-1980, les experts presque unanimes annonçaient que l’électricité nucléaire allait supplanter celle issue du charbon. Leurs prévisions se sont avérées totalement fausses parce qu’elles ne pouvaient anticiper les conséquences psychologiques des accidents. Ceux de Three Mile Island aux États-Unis (1979) et de Fukushima (2011) et surtout évidemment la catastrophe de Tchernobyl en URSS (1986). Le militantisme écologiste s’est emparé habilement de ses accidents mêlant allégrement peur de la bombe atomique et du nucléaire civil.

Il ne faut pas oublier que le fondement de la doctrine écologiste est né au début des années 1970, en Allemagne notamment, du rejet confondu de la bombe atomique et des centrales du même nom. Quitte à créer de véritables légendes urbaines comme celle du gouvernement français annonçant que le nuage radioactif de Tchernobyl s’arrêterait à la frontière française. Cela n’a jamais été le cas dans le moindre communiqué même si la communication officielle avait été alors particulièrement désinvolte. En tout cas, l’image désastreuse du nucléaire civil n’est pas pour rien dans le fait que la principale source aujourd’hui de production d’électricité dans le monde est toujours le charbon…

Risques subis et risques acceptés volontairement

Comme l’explique les spécialistes de la psychologie humaine, nous sommes ainsi faits que nous avons une tolérance aux risques totalement disproportionnée entre ceux qui découlent d’activités volontaires et ceux qui sont subis. Quand nous pensons être en contrôle, que ce soit d’une moto, d’une trottinette, d’une voiture, de notre pratique de l’alpinisme, de notre consommation de tabac, de drogue ou d’alcool, nous sommes prêts à prendre des risques élevés même inconsidérés. Mais la menace terroriste ou celle de radiations résultant d’un éventuel incident nucléaire nous inquiète beaucoup plus.

Un peu moins le risque nucléaire depuis quelques années et surtout depuis la crise énergétique qui nous a fait changer nos priorités. Une étude internationale réalisée l’an dernier par les ONG ClearPath, Third Way, Potential Energy Coalition et RePlanet montre que les opinions soutiennent maintenant très largement la production d’électricité nucléaire. C’est la conclusion d’une enquête menée auprès de 13 500 personnes dans huit pays : la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne, la Suède, le Japon et la Corée du Sud. C’est en France, en Pologne et en Suède que le soutien au nucléaire est le plus important.

Mais même en Allemagne, qui a pourtant fermé l’ensemble de ses centrales nucléaires et est donc le berceau de l’opposition à cette source d’énergie, 51 % des personnes interrogées sont « tout à fait d’accord » ou « d’accord » pour recourir à l’énergie nucléaire. En France, la réponse à cette même question obtient 69 % d’opinions favorables. Par ailleurs, 55 % des Français estiment que l’énergie nucléaire devrait être le premier choix énergétique. L’indépendance énergétique est la principale raison avancée de l’adhésion des Français au nucléaire.

Josh Freed de Third Way, explique que « les préoccupations du monde réel concernant la sécurité énergétique et le changement climatique focalisent l’attention des gens. C’est pourquoi un nombre croissant de personnes dans le monde entier se tourne vers le nucléaire… ».

La crise énergétique a fait basculer l’opinion

Si on remonte un peu plus loin, en septembre 2022, et uniquement en France, selon un sondage de l’IFOP, 75 % des personnes interrogées se déclaraient favorables au nucléaire. Ce pourcentage était majoritaire quels que soient la classe d’âge ou le parti politique. De façon étonnante, les clivages étaient presque effacés : 84 % des plus de 65 ans défendaient cette source d’énergie, contre 69 % chez les moins de 35 ans ; 88 % la soutenait à droite et 66 % à gauche. Le plus étonnant est que même chez la France insoumise (56 %) et Europe Écologie-Les Verts (53 %), le soutien au nucléaire était majoritaire.

On se trouvait alors en pleine crise énergétique quelques mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les Français étaient très inquiets du risque de pénurie d’énergie pendant l’hiver. On mesurait bien l’impact de la crise énergétique dans le fait que 65 % des Français étaient alors favorables à la construction de nouveaux réacteurs, mais ils n’étaient que 51 % un an auparavant lors d’une enquête similaire toujours menée par l’IFOP.

La rédaction