S’il était encore nécessaire de démontrer que la France est paralysée par la suradministration, la bureaucratisation et la multiplication de règlements et d’instances, le projet de loi permettant l’accélération du programme nucléaire serait suffisant… Il devrait permettre, selon le gouvernement, de gagner deux à trois ans. Sachant qu’un an a presque déjà été perdu depuis l’annonce du lancement de la construction d’au moins six EPR2 par Emmanuel Macron.
Et on ne peut pas dire que la méthode du gouvernement brille par sa cohérence. L’examen du projet de loi d’«accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires» a ainsi commencé mardi 17 janvier en première lecture au Sénat. Le gouvernement assure qu’il s’agit d’un texte de «simplification» des mesures administratives et non de «programmation» de la part du nucléaire dans le futur bouquet énergétique de la France. Le gouvernement fait tout dans le désordre…
Difficile de trouver une logique dans l’enchaînement des consultations et des textes
Ainsi, la semaine dernière a été voté un projet de loi sur l’accélération des projets de développement des renouvelables intermittents éolien et solaire et le texte sur le nucléaire est examiné tandis que le «débat public» sur l’opportunité d’une relance nucléaire est toujours en cours. Il doit se terminer le 27 février. En parallèle, se poursuit une «grande consultation nationale» sur le futur bouquet énergétique de la France. Enfin, la décision de relance d’un programme de construction de réacteurs nucléaires ne sera actée que dans la nouvelle loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévue en juin. Difficile d’y comprendre quelque chose. Le projet de loi «ne préempte en aucun cas les décisions qui seraient prises sur l’avenir du mix électrique», assurait-on en début de semaine au ministère de la Transition énergétique.
On parlait même de coup politique en dénonçant la commission des affaires économiques du Sénat qui avait supprimé dans le texte l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici 2035, instauré par François Hollande. La Commission avait même inscrit dans le projet de loi l’idée de «maintenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 50% à l’horizon 2050», passant du principe d’un plafond à celui d’un plancher. Ce qui semble finalement, après un virage à 180 degrés, convenir au gouvernement… Ce dernier a ainsi fini par déposer un amendement visant à supprimer l’objectif de 50% de nucléaire dans le mix électrique pour le remplacer par un autre extrêmement vague et imprécis consistant à «diversifier le mix électrique en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables». Outre la suppression de l’objectif de 50%, le Sénat avait aussi supprimé le plafond de 63,2 GW de capacité nucléaire installée prévu dans la loi de 2015. Ce à quoi le gouvernement ne s’oppose pas…
L’objectif annoncé est en tout cas de donner le premier coup de pioche du premier EPR2 à Penly (Normandie) mi-2027, c’est-à-dire avant la fin du quinquennat en cours d’Emmanuel Macron, pour une mise en service espérée entre 2035 et 2037. Il faudra donc moins de dix ans pour le construire. Tenir ce calendrier s’annonce difficile. Seule la Chine est aujourd’hui capable de construire un EPR dans un tel laps de temps. Il faut en tout cas que le projet de loi aboutisse au premier semestre de cette année et que les travaux de génie civil débutent dès 2024, en parallèle de l’instruction du décret d’autorisation de création. Les six premiers réacteurs EPR2 prévus devraient être construits par paires à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et au Bugey (Ain) ou à Tricastin (Drôme).
Une série de dérogations en attendant la nouvelle PPE en juin
«La construction de six nouveaux EPR est le plus grand projet industriel lancé en France depuis les années 1970 et l’un des plus gros dans le monde aujourd’hui. Notre législation n’a pas été conçue pour ce genre de projets. Cela justifie des mesures d’exception…», a plaidé la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, dans un entretien publié par Le Figaro. «C’est un texte d’accélération et de simplification», ajoute-t-on au ministère de la Transition énergétique. Il vise à «rassembler des procédures administratives qui jusqu’à présent prenaient des formes disparates et pouvaient relever de contentieux distincts». L’objectif est de «mieux paralléliser un certain nombre de gestes administratifs». Ces simplifications qualifiées «de bon sens», «ont aussi pour choix de ne pas réinterroger ni le cadre de sûreté, ni le niveau de protection de l’environnement, ni la profondeur du débat public».
Dans les faits, le projet de loi prévoit un certain nombre de dérogations. Il propose, par exemple, de dispenser les constructions de nouveaux réacteurs de toutes les autorisations d’urbanisme. Le contrôle de conformité sera assuré par les services de l’État, lors du dépôt de la demande, et le Conseil d’État traitera directement les recours. Le texte entend simplifier également les mesures d’expropriation, si EDF a besoin de terrains supplémentaires pour ces nouveaux réacteurs, tous implantés sur le périmètre de centrales existantes. Si la loi est votée, «EDF pourra commencer très vite les travaux de terrassement des bâtiments annexes ou des parkings avant l’autorisation finale de construction des réacteurs», explique-t-on à la Société française d’énergie nucléaire. Compte tenu du rapport de force politique au Sénat, où la droite est majoritaire, le projet de loi a été adopté sans problème.