T&E – Pourquoi la Mission pour la transition énergétique (MTE), que vous dirigez, a-t-elle été créée ? Quelle est son action depuis cinq ans ?
Annabelle Jaeger-Seydoux : Pour tenir les objectifs de transition énergétique fixés par le prince, la principauté s’est dotée en 2016 de deux instruments pour accélérer la transition, la Mission pour la transition énergétique et le Fonds vert national. Le Fonds vert a été exclusivement consacré les premières années à financer les projets publics de transition comme, par exemple, le déploiement des boucles thalassothermiques, de gros investissements de l’ordre de 60 millions d’euros. Il faut y ajouter les travaux d’efficacité énergétique dans les bâtiments publics. Le Fonds vert finance l’audit énergétique de tous les bâtiments publics et contribue aux audits des bâtiments privés. La Mission pour la transition énergétique pilote le Fonds vert et conduit des projets comme les boucles thalassothermiques, le solaire avec le développement d’un cadastre solaire pour examiner le potentiel des toits et une subvention à la production très incitative. La Mission a aussi un grand volet d’explication des politiques publiques et de mobilisation des acteurs. C’est un problème qui est intéressant à résoudre ici à Monaco du fait de la proximité avec les acteurs et d’un territoire restreint. On a cette possibilité plus facilement qu’ailleurs de mobiliser, d’expliquer les politiques et beaucoup de coordination. Le dernier volet est le Pacte national pour la transition énergétique qui est un outil et la traduction de la mobilisation. C’est une spécificité monégasque. Les acteurs s’engagent à prendre leur part de la transition.
Quel a été le rôle du Livre blanc sur la transition énergétique de 2017 qui a été en quelque sorte l’acte de naissance de la MTE ?
Le Livre blanc a été une façon de partager les objectifs avec les acteurs, ce qui a été assez novateur. Cela part de notre postulat de départ. La puissance publique a des objectifs très ambitieux, mais elle ne les atteindra pas seule. Nous ne réussirons cette transition que si nous sommes capables de fédérer les acteurs et de les embarquer. Le Livre blanc a été à la fois une feuille de route et le début d’un nouveau processus de fonctionnement.
Comment fonctionne la mission pour évaluer les projets, les lancer… ?
Nous sommes une petite mission, moins d’une dizaine de personnes. Nous n’avons évidemment pas toutes les compétences en interne. Nous avons une équipe avec des personnes très polyvalentes, des ingénieurs du bâtiment, une spécialiste des énergies, une compétence sur les questions économiques et financières et des experts pour la mobilisation et la communication. Cela ne suffit pas pour conduire nos projets. Nous nous appuyons donc sur des partenaires. Outre la SMEG, le concessionnaire énergétique de la principauté, nous travaillons notamment avec le pôle de compétitivité Capenergies. Nous faisons partie du bureau de Capenergies. Ils nous servent à évaluer les nombreux projets qui viennent à nous et font une veille technologique pour nous. Nous sommes très sollicités compte tenu à la fois de l’engagement fort du souverain sur ses questions et du fait que certains s’imaginent que nous avons des moyens considérables. Cela va du « Géo Trouvetou » qui peut parfois être génial jusqu’aux start-up et Capenergies nous aide à faire un tri en terme de technologies et de modèles économiques. Nous nous refusons d’être un laboratoire de toutes les technologies possibles et imaginables non matures et non prouvées.
Des trois secteurs majeurs de la transition à Monaco, bâtiments, déchets et transports, le dernier, la mobilité, semble le plus difficile. Parce que la vie économique de la principauté nécessite que des dizaines de milliers de personnes entrent et sortent chaque jour de son territoire et parce que la géographie fait de la principauté en quelque sorte un cul-de-sac donnant sur la mer. Quelle est votre part dans la politique en matière de transport ?
La politique des transports est avant tout du ressort de la direction de la prospective, de l’urbanisme et de la mobilité avec laquelle nous travaillons main dans la main. À la MTE, nous intervenons essentiellement sur l’électromobilité. Le Fonds vert subventionne tout ce qui est lié à l’achat de véhicules électriques, et nous gérons la stratégie de déploiement des bornes de recharge publiques Monaco On. Nous aurons à la fin de l’année plus de 200 bornes de recharge installées. Une charge rapide, gratuite, et très largement répartie dans la ville, notamment près des commerces. Nous organisons aussi le faire-savoir, pour les voitures électriques mais aussi la mobilité partagée, le Mona Bike, le vélo électrique en libre service et les voitures en libre service avec l’offre Mobee.
Même si vous réfutez ce mot, ne peut-on pas tout de même dire que Monaco est un laboratoire de la transition. Certes, vous mettez en place des solutions éprouvées et réalistes, mais compte tenu de la taille et des moyens mis en œuvre au fil des années, vous avez la possibilité d’aller plus loin et plus vite que la plupart des autres pays. Vous pouvez mesurer aussi assez vite ce qui fonctionne ou pas. Quels enseignements pouvez-vous tirer de vos expériences des dernières années et même des derniers mois ?
Sur la mobilité électrique, l’inversion est faite. Le thermique est en perte de vitesse, l’électrique est ascendant. C’est vrai aussi pour Mona Bike et Mobee. Sans oublier la marche à pied. Monaco est une ville faite pour cela. Les distances sont relativement réduites et elle a déployé un nombre important d’ascenseurs et d’escalators qui facilitent grandement les déplacements en permettant de changer de niveaux sans trop d’efforts. Pour rendre la marche encore plus attractive, la délégation interministérielle à la transition numérique a intégré l’application Waze à sa panoplie qui permet de comparer les temps de parcours à pied avec ceux des véhicules, calcule les impacts carbone et indique quels ascenseurs ou escalators prendre sur le parcours. La pandémie a clairement marqué des changements de comportement. Le télétravail s’est imposé. Le covoiturage se développe rapidement. C’était auparavant une pratique assez anecdotique. Nous avons hésité à lancer l’an dernier la plateforme monégasque de covoiturage après le confinement mais pourtant toujours dans un contexte sanitaire de pandémie. Et cela a très bien fonctionné. On a rassuré les gens sur le port du masque, les gestes barrières, les précautions sanitaires. Le covoiturage a même fait concurrence au train, les gens se sentant moins exposés dans les voitures. C’est vraiment en train de prendre. Le Pacte national a joué un rôle important dans le développement du covoiturage. Cela montre qu’il s’agit d’un outil efficace. Au départ, lors de sa création, il pouvait être considéré comme une opération de communication. Mais derrière le Pacte, il y a quelque chose de beaucoup plus fort. Vous avez presque 230 entreprises partenaires et plus du quart des salariés de la principauté qui sont potentiellement mobilisables. Pour le covoiturage, cela fait une différence. On a fait le choix avec Séverine Canis-Froidefond, la directrice de la prospective, de l’urbanisme et de la mobilité, de proposer aux 25 entreprises de la principauté qui ont le plus de salariés de devenir partenaires. On les a réunis, on leur a expliqué que le gouvernement était prêt à financer les trajets en rémunérant les chauffeurs. Nous organisons des sessions d’informations dans chacune des entreprises pour aller expliquer cette possibilité aux salariés. On a des témoignages très forts de satisfaction, cela peut devenir un complément de salaire non négligeable, en moyenne de 160 euros par mois.
Monaco ne peut pas vraiment être un modèle, compte tenu de ses particularités uniques. En revanche, la principauté peut donner l’exemple en étant contrainte d’innover pour surmonter des difficultés particulières, en terme de technologie et de mobilisation. Êtes-vous d’accord avec cette distinction ?
C’est vrai, par exemple, dans le développement de la thalassothermie. Nous avons acquis un réel savoir-faire. Et il peut être utilisé ailleurs dans de nombreuses villes côtières. Quand la Mission pour la transition énergétique était à Dubaï il y a quelques semaines, le choix naturel que nous avons fait pour partager des expériences a été celui de la thalassothermie.
Faire de la transition une telle priorité, est-ce aussi une façon de changer l’image de la principauté
?
C’est d’autant plus assumé que le faire-savoir est vraiment nécessaire ici où l’on ne voit pas forcément ce qui est fait. Une boucle thalassothermique ou le covoiturage ne se voient pas. Le faire- savoir est indispensable aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de Monaco. On est en permanence obligé d’expliquer quels sont les enjeux et ce que nous faisons pour mobiliser. Nous ne renions pas ce que nous sommes. Mais sans détruire le monde d’avant, nous nous donnons les moyens de passer au décarboné et de construire le monde d’après. Par exemple, dans les domaines de l’automobile et du yachting en développant les motorisations électriques via des compétitions spécifiques et des challenges techniques.