<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La Norvège, profiteur de guerre

3 janvier 2025

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La Norvège, profiteur de guerre

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La Norvège est sans doute le pays au monde le plus hypocrite en matière de politique énergétique. Il se veut un exemple, donne des leçons, et est la vitrine du développement des véhicules électriques. Ils ont représenté 94% des ventes de véhicules neufs l’an dernier. Tout cela grâce à des subventions et des aides sans équivalents dans le monde… financées par des exportations de pétrole et surtout de gaz naturel. Elles se sont envolées depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a près de trois ans. Tout cela a permis de gonfler un peu plus rapidement encore le plus grand fonds souverain du monde. Dans la foulée, Oslo multiplie les investissements et les projets de développement de ses ressources en hydrocarbures.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, il y a près de trois ans, a tué et blessé des centaines de milliers d’Ukrainiens et de Russes, provoqué un exode massif d’une partie de la population ukrainienne et des destructions considérables dans le pays. Elle a eu aussi un impact important sur les marchés de l’énergie et sur les économies des pays impliqués directement et indirectement dans le conflit.

Mais avec la crise de l’énergie qu’elle a entraîné dont on mesure toujours les effets sur l’approvisionnement en gaz de toute l’Europe, certains pays, plus particulièrement des producteurs de gaz, ont pu fortement bénéficier de cette guerre. Les grands exportateurs de GNL (Gaz naturel liquéfié) que sont les Etats-Unis et le Qatar, qui s’est substitué en partie au gaz russe importé par gazoducs par les Européens, mais aussi, et cela est moins connu, la Norvège. Ce pays est devenu le premier fournisseur de gaz de l’Europe et a engrangé des recettes supplémentaires considérables qui sont venues gonfler encore son fonds souverain, le plus important au monde. La Norvège est ainsi devenue le « Qatar de l’Europe »… ou selon le Financial Times un champion de l’hypocrisie énergétique.

111 milliards de dollars de recettes supplémentaires en 2022 et 2023

Les recettes supplémentaires provenant des ventes de gaz naturel se chiffrent en 2022 et 2023 à pas moins de 111 milliards de dollars selon le gouvernement norvégien. Le fonds souverain du pays possède 1.700 milliards de dollars d’actifs, soit 308.000 dollars par Norvégien.

Le problème avec la Norvège, n’est pas que ce pays profite cyniquement de la situation. Les Etats n’ont pas de sentiments, juste des intérêts. Mais qu’Oslo se veut être un modèle énergétique et même moral et donne en permanence des leçons d’écologie et d’humanité.

Véhicules électriques et hydroélectricité

La Norvège se glorifie ainsi d’être le pays au monde le plus avancé dans la transition vers les véhicules électriques. Ils ont représenté l’an dernier 94% des ventes de véhicules neufs… Tout cela grâce à des subventions massives, sans équivalents dans le monde, financées depuis des années par les exportations de gaz et de pétrole… Les aides et subventions sont telles qu’il est bien plus avantageux pour les automobilistes norvégiens d’acheter un véhicule électrique que son équivalent à moteur thermique. Pour autant, la consommation de carburants fossiles ne baisse pas beaucoup dans le pays tout comme les émissions de gaz à effet de serre. Un grand nombre de foyers ont en fait deux véhicules : un électrique pour les trajets courts et un thermique pour les longs trajets.

Les considérables ressources hydroélectriques du pays lui permettent aussi de produire 92% de l’électricité qu’il consomme tout en étant dans le même temps le 11èmeexportateur mondial de pétrole et le 9ème de gaz naturel.

La Norvège est même devenu le troisième exportateur net d’électricité en Europe. Mais cela devrait changer car le pays veut maintenant protéger son marché intérieur des fluctuations de prix trop brutales liées à la forte demande de pays fortement dépendants de productions renouvelables intermittentes.  De nombreuses voix préconisent dans le pays de ne pas remplacer deux câbles électriques sous-marins le reliant au Danemark qui arrivent en fin de vie en 2026. « J’ai été clair sur le fait que nous ne prolongerons pas les câbles Skagerrak vers le Danemark si cela s’avère contribuer aux prix élevés que nous observons actuellement, ainsi qu’à un effet renforcé de contagion négative des prix », a déclaré le ministre norvégien de l’Énergie, Terje Aasland.

17 milliards d’euros dans des projets gaziers et pétroliers

Mais en revanche, la Norvège entend bien exporter toujours plus de gaz et de pétrole. Et de ce côté-là, les perspectives sont radieuses… Pour profiter de l’opportunité ouverte par l’invasion de l’Ukraine, Oslo a donné son aval à 19 nouveaux projets pétroliers et gaziers. Ils comprennent la mise en exploitation ou l’extension de gisements et l’accroissement par de meilleurs technologies du taux de récupération des hydrocarbures dans les puits. Cela représente des investissements d’une valeur totale supérieure à 17 milliards d’euros.

Et il y a un an et demi, la compagnie pétrolière norvégienne DNO a fait la plus importante découverte d’un gisement de gaz dans les eaux norvégiennes depuis 10 ans. Le gisement de gaz et de condensat (pétrole très léger de grande qualité et très valorisé se trouvant fréquemment dans les gisements de gaz) recèlerait entre 120 et 230 millions de barils équivalent-pétrole

Comme le dénoncent dans une tribune publiée le mois dernier deux éminents universitaires norvégiens, Havard Halland et Knut Anton Mork, la Norvège manifeste un soutien politique sans faille à l’Ukraine mais engrange sans sourciller les milliards de dollars supplémentaires provenant de ses ventes de gaz du fait de la guerre sans en attribuer même une faible part à Kiev. Ils font remarquer que l’aide accordée par la Norvège à l’Ukraine est très nettement inférieure en pourcentage de son PIB à celle de la plupart des autres pays européens et que les 111 milliards de dollars de gains exceptionnels résultant en 2022 et 2023 de la guerre représentent plus que l’aide combinée apportée par les Etats-Unis (92 milliards de dollars) et l’Allemagne (16,3 milliards de dollars) à l’Ukraine…

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