La transition énergétique est en marche. Afin de rendre notre consommation électrique plus verte, des énergies renouvelables seront intégrées massivement au sein des réseaux électriques. Selon la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, les énergies renouvelables devront représenter 40% de la production d’électricité en 2030 en France.
Or, ces énergies ayant une production variable, cela demande un changement de paradigme dans la gestion de ces réseaux. Notamment, une exploitation accrue de la flexibilité de la consommation électrique, c’est-à-dire la possibilité pour les consommateurs de déplacer leur consommation dans le temps (par exemple, programmer sa machine à laver pour démarrer son cycle lorsqu’une période d’ensoleillement est prévue). Cela nécessite des réseaux connectés et intelligents, capables d’indiquer en temps réel l’état du système: c’est le réseau intelligent (ou «smart grid»).
Le smart grid pour augmenter la part d’énergie renouvelable utilisée
Les réseaux électriques ont été développés à une époque où la production électrique était assurée par quelques grosses centrales électriques entièrement contrôlables, pilotées afin de suivre la courbe de consommation nationale. Or, ce n’est pas le cas des centrales électriques basées sur des énergies renouvelables. Tout d’abord parce qu’on assiste plutôt à un déploiement de petites centrales électriques dispersées (par exemple des panneaux solaires sur le toit d’un particulier). Mais aussi parce que les centrales photovoltaïques ou les fermes éoliennes sont moins prédictibles: nous ne contrôlons pas les nuages ou le vent!
Or, il est nécessaire que l’équilibre entre consommation et production électrique soit assuré à tout instant dans un réseau électrique, même lorsqu’il n’y a plus de vent ou de soleil. On peut bien évidemment utiliser du stockage, que ce soit sous forme de réservoirs hydrauliques, de batteries électriques, d’hydrogène, etc.. Cependant, cela peut être coûteux et avoir un impact environnemental et humain non nul(recyclabilité des batteries, etc.). Ainsi, lorsque cela est possible, il est préférable de consommer l’électricité dès qu’elle est produite, et donc d’exploiter les gisements de flexibilité de la consommation électrique.
La flexibilité représente la capacité des consommateurs à déplacer leur consommation dans le temps. Programmer son chauffe-eau pour le faire fonctionner pendant les heures creuses est en soi une exploitation de la flexibilité de sa consommation électrique. Mais il est possible d’aller plus loin, par exemple en programmant sa machine à laver ou son lave-vaisselle pour des périodes où la production d’électricité renouvelable est importante.
Cette gestion de la demande (ou «demand-side management»), utilisée en complément de la gestion de la production traditionnelle, requiert d’avoir un réseau intelligent, où l’information transite autant que les flux d’énergie: c’est le smart grid. Il s’agit par exemple de connaître à des pas de temps suffisamment fins (toutes les heures, par exemple) les niveaux de production d’énergie renouvelable. Cela permet d’améliorer les prévisions de production pour les heures à venir et de réadapter si besoin la stratégie de gestion du système électrique.
L’échange d’information permet également au consommateur de recevoir différents signaux, par exemple sous la forme d’une tarification différenciée selon l’heure de la journée (qui peut être fixée à l’année ou réactualisée tous les jours). Cette extension du principe actuel heures pleines/heures creuses est destinée à être plus représentative des conditions réelles du système électrique. Cette tarification dite «dynamique», dont l’introduction est incitée par la réglementation européenne (article 11 de la directive 2019/944), est très développée dans les pays scandinaves. En France, elle a été proposée temporairement par deux fournisseurs en 2021, mais a été suspendue suite à l’envolée des prix de l’énergie. Elle devra cependant être obligatoirement proposée par les plus gros fournisseurs d’énergie dès 2022 (article L.332-7 du code de l’énergie).
Bien entendu, une telle tarification n’est adaptée que lorsqu’une part significative de la consommation est flexible, c’est-à-dire si elle peut être avancée ou reportée (la recharge d’un véhicule électrique, etc.). Cependant, tous les usages ne sont pas flexibilisables (préparation des repas, chauffage…) et ce type d’offre n’est donc pas adapté pour tous les consommateurs. De plus, ce genre d’offres nécessite de garder un œil sur divers signaux envoyés par le fournisseur d’énergie (tarifs horaires du lendemain, tarifs de période de pointe hivernale, etc.) pour ajuster sa consommation. Les consommateurs souhaitant se diriger vers de la tarification dynamique pourront donc opter pour une tarification revue tous les jours, ou au contraire pour des offres plus traditionnelles, comme l’offre Tempo d’EDF, où les variations de tarifs sont moins fréquentes (par exemple des prix plus élevés quelques jours par an en période de forte consommation, et moins élevés sinon). Des équipements connectés peuvent permettre d’adapter la consommation (en programmant automatiquement le démarrage de la machine à laver, par exemple). Cela soulève cependant la question du gain économique et environnemental final, l’utilisation de ces équipements ayant un impact non nul.
Le smart grid pour réduire les pics de consommation
La gestion de la demande cible également la réduction des pics de consommation, notamment les pics annuels qui se produisent en hiver dans notre pays. Lors de ces pics, on utilise entre autres de l’énergie provenant de centrales électriques émettrices de C02 (comme des centrales à charbon), en plus des autres centrales électriques. Réduire sa consommation lors de ces pics permet donc de réduire les émissions de C02, et de limiter les investissements dans ces centrales « d’appoint » qui ne sont utilisées qu’une fraction de l’année.
Les outils numériques et le smart grid peuvent aider à transformer nos réseaux électriques. Bartz/Stockmar/Wikimedia, Traduction Anne Blavette, CC BY-SA
Là encore, l’implication des consommateurs est fondamentale. Cela peut passer par la tarification dynamique (avec un prix de l’énergie plus élevé en période de pic), mais également par d’autres dispositifs. Par exemple, prendre la forme de simples informations envoyées aux consommateurs sur l’état du système électrique, auxquelles les consommateurs peuvent répondre bénévolement par un geste citoyen (comme baisser leur chauffage d’un degré lors du pic hivernal). Le gestionnaire de réseau électrique français RTE a notamment utilisé l’option du signal citoyen l’hiver dernier lorsqu’il a demandé aux Français de réduire leur consommation le 8 janvier 2021 au matin. Cette information a été relayée par voie de presse et par le biais du dispositif EcoWatt. Ce dispositif, mis en place avec succès par RTE depuis de nombreuses années dans les régions Bretagne et PACA, a été étendu depuis 2021 à tout le territoire.
Des réserves mobilisables au plus proche du temps-réel
Cependant, les utilisateurs du réseau électrique pourront peut-être également envisager leur implication future dans d’autres pans de la gestion du réseau électrique, notamment l’équilibrage en temps-réel (à l’échelle de quelques minutes) du système électrique.
Cette gestion s’effectue grâce aux «réserves» permettant d’assurer à chaque instant l’équilibre entre la production et la consommation électrique dans le réseau. Lorsqu’il y a un déficit d’énergie, les centrales participant à la réserve augmentent leur production d’électricité, et la réduisent quand il y a un excès d’énergie. Cela permet de compenser plus ou moins instantanément les pannes éventuelles des centrales électriques et les erreurs de prévision de production de centrales d’origine renouvelable (par exemple s’il y a plus ou moins de production éolienne que prévu). Or, une partie de ces réserves reposent à l’heure actuelle sur des centrales émettrices de C0₂, comme des centrales à gaz. Dans le but de réduire ces émissions de C02, de nombreux gestionnaires de réseaux ont récemment ouvert la participation à ces réserves à de nouveaux acteurs afin d’assurer les réserves de manière plus respectueuse de l’environnement.
Les utilisateurs du réseau pourraient également s’impliquer dans cet équilibrage au temps-réel, en particulier au travers d’agrégats de consommateurs dont la somme des puissances individuelles (trop petites pour être intéressantes de manière isolée) peut constituer une puissance raisonnable une fois additionnées. Cela serait piloté par des agrégateurs, avec l’accord de chacun des consommateurs volontaires, en contrepartie d’une récompense financière.
Ce serait par exemple le cas d’une flotte de véhicules électriques: les batteries de véhicules électriques constitueront des moyens de stockage de taille agrégée importante, et qui sont disponibles une grande partie du temps (un véhicule est plus souvent stationnaire que mobile). Ces véhicules pourront faire varier leur puissance de charge ou de décharge pour contribuer à réduire un déséquilibre observé sur le réseau. Dans le court à moyen terme, cela constituera un marché pour une petite partie des millions de véhicules électriques que devrait compter la France dans les prochaines années, car la demande de réserve en France est relativement faible, mais cela pourrait peut-être changer avec une pénétration plus importante des énergies renouvelables. Des expérimentations sont d’ailleurs en cours impliquant RTE, la société Jedlix et Renault.
Cette fourniture de service au réseau peut être intéressante pour des entreprises ayant des flottes de véhicules, car cela constituerait pour elles une nouvelle source de revenus. Cependant, pour être intéressant, ce revenu doit compenser un potentiel vieillissement accéléré de la batterie. Augmenter le nombre de cycles de charges et décharges de la batterie peut en effet réduire son espérance de vie. Par ailleurs, le prix d’une batterie reste élevé: même s’il a connu une décroissance impressionnante ces dernières années, la hausse des prix de certains matériaux fait planer un doute quant à l’évolution de cette tendance.
Il est cependant important de noter que la fabrication des batteries requiert de l’énergie et des matériaux, parfois rares, tout comme les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) nécessaires aux échanges d’informations plus intensifs au sein du smart grid. Or, ces produits (batteries, boîtiers communicants, etc.) sont le plus souvent fabriqués dans des pays où l’électricité est fortement carbonée (comme la Chine). Il est également nécessaire d’être attentif aux conditions de travail dans ces pays, ainsi qu’aux problèmes de toxicité et/ou de pollution de l’écosystème, sans oublier les tensions géopolitiques concernant les métaux rares situés en majorité dans un nombre limité de pays. En d’autres termes, aucune énergie échangée sur le réseau, et de manière générale aucune énergie consommée, n’a un coût environnemental et/ou sociétal nul.
Anne Blavette Chargée de recherche CNRS en génie électrique, Ecole normale supérieure de Rennes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.