Rappelons tout d’abord qu’il y a sur la planète aujourd’hui pas moins de 1 400 millions de véhicules terrestres dont 45 millions en France. On considère que le secteur des transports pèse pour 35 % dans l’empreinte carbone mondiale. On peut anticiper et espérer que les carburants de synthèse décarbonés utilisés par des moteurs à combustion interne représenteront 50 % des besoins en énergie dans les transports d’ici 2050. La plupart des modèles sérieux annoncent encore, à l’horizon 2050, la présence de moteurs à combustion interne (ICE) à hauteur de 60 à 70 % des chaînes de traction des véhicules de transport terrestres.
Ne surtout pas abandonner les investissements dans les moteurs thermiques
Cela signifie une chose, tous les progrès possibles dans le domaine des moteurs à combustion interne sont bons à prendre et devraient même être une priorité à la fois pour décarboner ceux qui utiliseront encore des carburants fossiles mais également pour limiter la consommation des e-fuels. Cependant, la politique irréfléchie ayant fait de l’électrique à batteries la seule technologie acceptable a exactement le résultat inverse, ne plus inciter les constructeurs automobiles et notamment les européens à investir le moindre centime dans le moteur à explosion.
Et pourtant, l’introduction des carburants de synthèse ouvre des possibilités considérables d’améliorations et de progrès de ses moteurs. À savoir adapter le carburant par un appairage judicieux avec les principes physiques mis en œuvre dans le procédé de combustion : utilisation de mélanges présentant des réactivités à la compression pour se rapprocher à la fois de mécanismes HCCI (Homogeneous Charge Compression Ignition ou allumage par compression à charge homogène) combinés avec des mécanismes RCCI (Reactivity Controlled Compression Ignition ou allumage par compression à réactivité contrôlée). L’utilisation des carburants de synthèse pourra ainsi être pérennisée et rendue plus efficace grâce à une adaptation très fine des carburants et des technologies de combustion offrant des avantages aujourd’hui non exploités.
Faire fonctionner un moteur à essence comme un moteur diesel
Les avantages en question sont notamment des rendements thermodynamiques fortement augmentés et des émissions réduites. On parle ici de la technologie dite de moteurs GCI (Gasoline Compression Ignition ou autoallumage par compression de l’essence) alimentés par des carburants à faibles indices d’octane choisis dans la plage 75-85. Le fondement de cette nouvelle approche de génération de moteurs à combustion interne s’appuie sur un carburant de synthèse dont on a prédéterminé les caractéristiques de combustion dans un procédé d’autoallumage par compression. De manière très schématique, faire fonctionner un moteur à essence comme un moteur diesel.
Il y a trois procédés principaux de combustion dans les moteurs à combustion interne :
- Allumage par étincelle (bougie) du prémélange air/fuel
- Allumage par compression d’un carburant injecté lorsque le piston est proche du point mort haut. La chaleur est générée par autoallumage du mélange progressif avec l’oxygène dans la chambre.
- Autoallumage par compression d’un prémélange air/fuel complet et homogène qui s’autoenflamme en tout point de la zone de charge.
Le rendement des moteurs classiques à bougies (essence) est limité par le cliquetis associé à l’autoallumage. Leur avantage est de pouvoir utiliser des catalyseurs trois voies qui sont très efficaces pour maîtriser leurs émissions à l’échappement, le contrôle des émissions polluantes des moteurs à compression et autoallumage (diesel) étant notoirement plus difficiles (présence de NOx et de particules).
Moteur diesel en coupe, copyright DRKs
Le meilleur des deux mondes
Les moteurs diesel ont un rendement bien plus élevé que les moteurs à essence parce qu’ils n’ont pas l’inconvénient du risque de cliquetis d’un côté, ni les pertes de pompage de l’autre. Mais comme ils produisent des suies (particules) et des émissions de NOx qui sont des sources croissantes de problèmes de santé publique, les moteurs diesel modernes sont devenus plus chers à fabriquer que les moteurs à essence en raison des technologies d’injection haute pression et des systèmes de post-traitement utilisés pour la maîtrise à l’échappement des particules et des NOx (filtres à particules et réducteurs cataleptiques sélectifs).
Les moteurs GCI associés à des carburants de synthèse offrent le meilleur des deux mondes. Ce sont des moteurs à allumage par compression qui utilisent des carburants ressemblant à l’essence du point de vue des propriétés physicochimiques. Avec les moteurs GCI, le carburant et l’air sont suffisamment bien mélangés pour ne produire ni suies ni NOx.
C’est une technologie qui permet de réduire le coût des moteurs diesel en raison d’une pression d’injection moindre et de système de traitement des émissions polluantes équivalent à ce qui se fait aujourd’hui pour un moteur à essence avec les catalyseurs d’oxydation trois voies. Mais, et surtout, le moteur GCI donne enfin les moyens d’augmenter le rendement thermodynamique d’un moteur essence en le faisant fonctionner selon un mode d’autoallumage par compression plutôt qu’un mode d’allumage par étincelle. À partir du moment où l’on dédie un carburant spécifique de synthèse au moteur GCI, cette technologie crée une véritable rupture dans la conception des moteurs à combustion interne.
Des rendements records avec des carburants de synthèse
Initialement, cette technologie a été développée pour l’utilisation des carburants usuels. Mais avec les nouveaux carburants de synthèse et une reconception du moteur (taux de compression porté à 14/15, introduction d’un nouveau système d’injection et d’une nouvelle chambre de combustion), on obtient des rendements bien plus élevés que celui du moteur essence classique. Avec un double système d’alimentation en carburant (essence à l’admission et injection directe de diesel), on obtient des rendements supérieurs à 50 %, le mélange se composant de 90 % d’essence et 10 % de diesel, et une réduction de 26 % de la consommation par rapport à un moteur conventionnel à essence.
Et ils sont relativement peu coûteux à fabriquer parce que moins exigeants en termes de contraintes mécaniques et offrant une possibilité de downsizing. Les pressions d’injection dans les moteurs GCI n’ont aucun besoin d’être élevées, car le mélange carburant/comburant est grandement aidé par les délais importants d’auto-inflammation.
La technologie GCI permet de décarboner jusqu’à des niveaux très faibles d’empreinte carbone (< 20 g CO2/kWh) les engins mobiles équipés de ces moteurs alimentés par un e-fuel décarboné. Ces niveaux seront de toute évidence bien meilleurs que ceux qui pourront être affichés par les véhicules équipés de batteries et de moteurs électriques.
Le rendement de conversion énergétique de la filière batteries, souvent vanté pour sa supériorité au rendement d’une chaîne de traction à base de moteurs à combustion, devient nettement inférieur à la technologie GCI associée aux carburants de synthèse obtient un avantage décisif.
En combinant un carburant « propre » comme de l’essence de synthèse et un cycle thermodynamique très efficace en termes de rendement (inflammation par compression), il est possible de créer une chaîne de traction thermique propre et efficiente, qui casse l’éternel compromis entre réduction de la consommation (émission de CO2) et la réduction des émissions polluantes.
Quelques inconvénients, notamment à faible charge
Pour autant, le moteur GCI présente quelques inconvénients qu’il faut surmonter. Sa combustion à basse température crée des problèmes notamment à faible charge. Une des solutions consiste en une méthode et un système qui combinent les avantages de la technologie GCI avec une architecture de véhicule hybride électrique. Une voie possible est de faire fonctionner le moteur GCI dans des conditions où les bénéfices de la technologie GCI sont maximaux (pleine charge) et de faire fonctionner le moteur électrique dans les conditions où le moteur GCI est moins performant.
Dans un pays comme la France, où l’on observe une empreinte CO2 de l’ordre 50 g CO2/kWh, le gain sur les émissions de CO2 d’un véhicule hybride rechargeable à moteur GCI alimenté par un carburant de synthèse décarboné atteint 75 % par rapport à un moteur thermique conventionnel. Sur le cycle de vie, les empreintes carbones sont quasiment identiques entre un véhicule GCI hybride et un véhicule électrique BEV. Mais cela suppose que les batteries soient fabriquées intégralement en zone de faible empreinte carbone du mix électrique ; si ce n’est pas le cas, l’empreinte CO2 sur le cycle de vie d’un véhicule GCI hybride sera plus faible que celle du véhicule électrique équivalent, à cause de la différence de taille des batteries.
Concernant les émissions polluantes, elles sont identiques à l’échappement. Par contre, globalement, c’est-à-dire en prenant en compte les particules fines provenant des pneumatiques et du freinage, elles sont plus élevées pour le véhicule purement électrique, à cause de sa plus grande masse. En outre, le véhicule GCI hybride ne rencontre pas de problème d’autonomie et n’est pas soumis à la faiblesse des infrastructures des bornes de recharge. Ce moteur est porteur de beaucoup de promesses, à condition que l’on veuille bien lui donner un avenir et pour cela remettre en cause le dogme du tout-électrique.
Norbert Lartigue