Pour surmonter la profonde récession née de la crise sanitaire, l’Union européenne a décidé la mise en place d’un vaste plan de relance. Après de difficiles négociations, il a finalement été décidé que 750 milliards d’euros seront prêtés aux États membres. Pour les financer, quatre nouvelles taxes devraient être mises en place. Parmi elles, une taxe carbone aux frontières qui ne porte pas son nom.
Officiellement, il ne s’agira pas vraiment d’une taxe carbone mais d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). La Commission a l’intention d’en présenter les détails dans les prochaines semaines. Il sera l’une des «nouvelles ressources propres» du budget européen. Selon sa conception, il pourrait rapporter entre 5 à 14 milliards d’euros de revenus par an, estime la Commission.
Ne pas contrevenir aux règles de l’OMC
Imposer une taxe carbone sur les produits importés serait impossible car elle serait incompatible avec les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Ces règles stipulent que des produits identiques ne peuvent pas être discriminés s’ils proviennent de producteurs étrangers par rapport aux producteurs domestiques. Il faut donc contourner la difficulté.
L’idée à Bruxelles est de s’appuyer sur le système européen d’échange de quotas d’émissions de CO2 (dit ETS, Emission Trading System). Les entreprises les plus polluantes seraient contraintes pour vendre leurs productions d’acheter sur le «marché du carbone» des droits à émettre du CO2. C’est de toute façon un système indispensable à mettre en place dans le cadre du Plan pour le climat ou New Green Deal, présenté à la fin de l’année dernière par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
L’objectif de ce plan est de faire de l’Union Européenne la première région du monde à atteindre en 2050 la neutralité carbone. Mais l’Europe ne peut pas transformer son économie, son outil de production, son industrie et son mode de vie, seule, en ignorant le reste du monde. Elle doit impérativement protéger ses entreprises qui seront soumises à des contraintes beaucoup plus importantes que leurs concurrents. Il s’agit aussi d’éviter les «fuites de carbone», autrement dit le déplacement des émissions de CO2 vers des pays où il n’a pas de prix. Le MACF serait une double réponse, aux besoins de ressources propres du budget européen et à la nécessité de protéger les entreprises européennes d’une concurrence déloyale. Mais il ressemble tout de même furieusement à une forme de protectionnisme.
Un coup dur pour les exportations russes
Et le MACF elle ne plait pas du tout à Moscou. L’économie russe est en fait celle d’un pays dépendant de la rente pétrolière et gazière. Un tiers de son économie dépend du pétrole et du gaz. La majeure partie des recettes en devises et des recettes fiscales du pays sont liées aux exportations de pétrole et de gaz. «La volonté de nos partenaires européens d’introduire une taxe carbone sous couvert d’agenda climatique a suscité des inquiétudes dans un certain nombre de pays… C’est du protectionnisme caché…», a déclaré Dmitri Medvedev, ex-Premier ministre et vice-président du Conseil de sécurité russe.
«Cela aura également des conséquences très graves pour l’économie russe, nos industries de base, telles que la métallurgie ferreuse et non ferreuse, l’industrie chimique, énergétique pourraient en souffrir», a-t-il ajouté. Citant des estimations de l’Académie des sciences russe, il a affirmé que «les pertes financières des exportateurs nationaux s’élèveront à des milliards d’euros». Selon une étude du cabinet KPMG, le MACF pourrait coûter 5 milliards d’euros par an aux entreprises russes.
Qualifiant la mesure de «protectionnisme latent (…) qui entravera l’accès des marchandises (russes) au marché de l’UE», M. Medvedev a souligné la nécessité de négocier directement avec l’UE, et avec les organisations internationales compétentes, à savoir l’OMC.
La Russie manifeste d’autant plus sa mauvaise humeur qu’elle vient de subir un revers avec l’arrêt du projet de gazoduc Nord Stream 2 qui devait approvisionner directement l’Europe de l’ouest et notamment l’Allemagne en gaz russe. Bien que quasiment terminé, le projet est à l’arrêt en raison des menaces de sanctions américaines.