L’an dernier, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), écrivait que «limiter le réchauffement climatique à 1,5°C nécessite des changements rapides, profonds et sans précédents dans tous les aspects de la société». Plus spécifiquement, «les émissions humaines de dioxyde de carbone (CO2) devront diminuer de 45% entre les niveaux de 2010 et ceux de 2030 et être proches de zéro en 2050». Depuis, cet objectif a été repris à leur compte par de nombreux dirigeants politiques, écologistes ou pas. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit réaliste et de fait le monde est très loin de s’approcher même vaguement de ses objectifs. Il ne s’agit pas d’une opinion, mais de faits.
C’est ce que démontre un article écrit pour Forbes par Roger Pielke, Professeur de l’Université du Colorado. Cela ne signifie pas que la transition énergétique est impossible et qu’elle ne va pas se faire. Mais elle prendra du temps, beaucoup de temps. Les évolutions énergétiques se font sur des décennies. On peut le déplorer. Mais ignorer cette réalité ne la changera pas. C’est pourquoi il faut la prendre en compte et essayer de la gérer.
«Une centrale nucléaire supplémentaire par jour»
Le calcul fait par Roger Pielke est le suivant. Selon la BP Statistical Review of World Energy de 2019, en 2018 le monde a consommé près de 14.000 millions de tonnes d’équivalent pétrole. Une consommation qui est très inégalement répartie entre les 7 milliards d’habitants de la planète. Comme la population continue à augmenter ainsi que son pouvoir d’achat moyen, la demande d’énergie continue à croître. De 2000 à 2018, toujours selon les statistiques de BP, cette dernière a augmenté de 2,2% en moyenne avec des fluctuations allant d’une baisse de 1,4% en 2009 au lendemain de la crise financières et économique à une hausse de 4,9% en 2004.
L’hypothèse «raisonnable» de Roger Pielke est que la consommation d’énergie continuera à augmenter sur la planète de 2,2% par an en moyenne d’ici à 2030. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la consommation augmentera en moyenne de 1,25% par an jusqu’en 2040. Roger Pielke considère également, pour les besoins de sa démonstration, que les émissions de dioxyde de carbone proviennent presque exclusivement de la consommation des énergies fossiles à savoir pétrole, charbon et gaz naturel. Cela permet de considérer que la baisse des émissions de gaz à effet de serre dépend de la baisse de la consommation d’énergies fossiles.
L’objectif fixé par le GIEC pour 2030 est celui d’une réduction de 45% des émissions par rapport à 2010. Cela implique une diminution de la consommation de 5.800 millions de tonnes d’équivalent pétrole par an entre 2018 et 2030. Si on considère que la consommation d’énergie va augmenter de 2,2% par an en moyenne d’ici 2030, il faut ajouter 4.200 millions de tonnes d’équivalent pétrole consommé par an d’ici 2030. Il faut donc que 10.000 millions de tonnes d’équivalent pétrole d’énergie consommés par an dans le monde d’ici 2030 n’émettent pas de gaz à effet de serre, et ne soient donc pas des énergies fossiles, pour atteindre l’objectif du GIEC.
Le monde doit ainsi être capable pendant les dix prochaines années d’ajouter chaque année 1.000 millions de tonnes d’équivalent pétrole de capacité de production d’énergie non carbonée. Au cours des dix dernières années, le monde s’est doté en moyenne de 64 mille millions de tonnes d’équivalent pétrole d’énergie supplémentaire non fossile. En 2018, le record a été battu avec 114 mille millions de tonnes d’équivalent pétrole d’énergie «propre» ajoutés. Pour atteindre les objectifs du GIEC, il faut que le monde multiplie par 9 sa capacité de déploiement d’énergie non carbonée en une décennie…
Et il faut en plus que cesse toute consommation supplémentaire d’énergie fossile. Au cours des dix dernières années, la consommation d’énergie fossile a augmenté en moyenne par an de 150 mille millions de tonnes d’équivalent pétrole. L’an dernier, le niveau record de 114 mille millions de tonnes supplémentaires d’équivalent pétrole en énergie non carboné a été largement effacé par 275 mille millions de tonnes de consommation supplémentaire d’énergie fossile. En fait, jusqu’à aujourd’hui, l’énergie propre vient s’ajouter à l’énergie fossile, elle ne la remplace pas. Un pays comme l’Allemagne, qui a investit des sommes considérables dans les renouvelables (éolien, solaire), a beaucoup de mal à réduire ses émissions de CO2. Notamment, parce qu’il fait tourner ses centrales au charbon et au lignite quand il n’y a pas de soleil et pas de vent.
Les débats sur la transition portent avant tout aujourd’hui sur les efforts faits en matière de sources d’énergie non carbonées et très peu sur un aspect essentiel, l’abandon des énergies fossiles. L’ampleur du chemin à parcourir d’ici à 2050 est résumé ainsi par Forbes: «le défi est équivalent à déployer une nouvelle centrale nucléaire tous les jours pendant les 30 prochaines années tout en retirant l’équivalent en énergie fossile chaque jour. Et les réductions d’émissions d’ici 2030, cohérentes avec l’objectif de 1,5°C du GIEC, doivent être encore plus élevées qu’une centrale nucléaire par jour, parce que près de la moitié des réductions d’émissions doit être effectuée dans les dix prochaines années.»
Se tromper soi-même
La conclusion de cette démonstration est difficilement contestable. Le monde est très très loin de décarboner ses sources d’énergie à un rythme permettant d’atteindre l’objectif fixé par le GIEC. Considérer qu’une réduction de près de 50% des émissions d’ici 2030 est un objectif sérieux et réaliste revient à se tromper soi-même ou à tromper sciemment l’opinion publique avec des promesses et des engagements intenables.
Comme l’explique Roger Pielke, «le monde ne va pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 que nous parlions de cette réalité ou que nous la nions. Donc, nous avons mieux à faire en travaillant sur une autre stratégie de politique climatique».