<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Mobilités urbaines: la pandémie a définitivement balayé les certitudes

17 mai 2021

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Metro Paris station Etoile wikimedia commons
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Mobilités urbaines: la pandémie a définitivement balayé les certitudes

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Au début de l’année 2020, la question de la mobilité et des transports dans les grandes villes et les métropoles était un des sujets majeurs de la campagne des élections municipales. Le monde semblait alors simple. Il fallait réduire la place de l’automobile et des moyens de transport individuels motorisés et décarboner. La solution était de substituer toujours plus de transports en commun et de vélos voire de trottinettes aux voitures et de passer à l’électrique y compris pour les bus et les utilitaires. La crise du Covid-19 a tout changé. L’attrait des transports collectifs a encore baissé et celui des grandes villes également avec la multiplication du télétravail et la fermeture de bon nombre de commerces et de lieux de culture. Il faut maintenant à la fois mener la transition et faire revenir les populations en ville. Article publié dans le numéro 8 du magazine Transitions & Energies.

«Ne laissez pas la voiture reprendre la place.» Nous sommes le 29 mai 2020, et l’appel est lancé, en conférence de presse, par la ministre de la transition écologique et solidaire Elisabeth Borne. Les adversaires historiques de l’automobile et défenseurs des «mobilités douces» se frottent les yeux. Et la ministre d’inviter les élus «à pérenniser, quand c’est possible, les pistes cyclables temporaires» mises en place à la va-vite dans les villes confinées. Le virus qui vient de paralyser le pays pendant trois mois chamboule les règles.

Déconfinés, les Français cherchent à se déplacer en restant à distance les uns des autres. Ceux qui le peuvent fuient les transports collectifs et la question en suspens est alors celle du report de ces mobilités-là. Quelques semaines plus tôt, à leur déconfinement, les Chinois se sont massivement tournés vers la voiture individuelle, vue comme un rempart à la contamination. On s’interroge: à la fois engagées dans des objectifs de réduction de leur empreinte carbone due aux transports, et pressurisées par les attentes de citoyens réclamant une mobilité durable, les métropoles françaises vont-elles échapper à ce grand retour de la voiture? 
À l’époque, on ne sait pas encore qu’un second confinement viendra à nouveau freiner les déplacements, du 30 octobre au 15 décembre.

Mais si chaque période –1er et 2e confinements, déconfinement, couvre-feu– offre un cadre différent aux mobilités urbaines, il est possible de dresser, avec un an de recul désormais, quelques enseignements. Le monde est soudain devenu plus compliqué et moins manichéen.

Transports collectifs: 
un désamour profond et durable

«Les transports en commun se sont vidés, c’est indéniable.» Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité, qualité de l’air et transition énergétique à l’Ademe désigne d’entrée les perdants. «La fréquentation n’a jamais retrouvé son niveau d’avant, même avant le deuxième confinement.»

Selon les données de l’Union des transports publics et ferroviaires (UtP), la fréquentation des transports publics (RAtP, SNCF, transdev, Keolis…) s’est effondrée en 2020 tombant jusqu’à 7% de la normale durant le premier confinement, avant un retour progressif allant jusqu’à 80 % à la veille du second confinement. À l’heure actuelle, les niveaux stagnent entre 55 et 65% de la normale. «On a perdu 30 à 40% de passagers», résumait le 6 février au micro de France Inter le président de l’UtP et PDG de transdev thierry Mallet, estimant qu’une «partie de la baisse sera durable».

Le retard engrangé par le covoiturage, dont le recours a été brutalement stoppé pendant les confinements, n’a pas non plus été rattrapé. La licorne française Blablacar a connu sa 1ère année de décroissance, avec une baisse de 30% de son activité, passant de 71 millions de passagers en 2019 à 50 millions en 2020. S’il ne faut pas surestimer cette pratique encore très marginale (on estime à 3% la part du covoiturage quotidien), encore plus en contexte intra-urbain, la désaffection est nette.

Les transports collectifs sont délaissés, et surtout, dans les esprits, n’ont plus la cote. L’idée selon laquelle «l’avenir appartiendrait aux transports collectifs» perd en intensité, démontre l’Observatoire des mobilités émergentes, une enquête annuelle publiée mi-janvier par les sociétés de conseil Chronos et l’Obsoco, et menée fin octobre juste avant le reconfinement. Autre conclusion de l’étude: le contexte semble donner une nouvelle force à la notion de propriété, là où certains croyaient fermement au modèle du free-floating (utilisation selon les besoins). L’Observatoire note ainsi «d’importantes évolutions des représentations au profit des transports individuels».

Vélo: l’engouement

Mais lesquels? Dans les grandes métropoles, les habitants se sont tournés massivement vers la marche et le vélo. Le marché de la micro-mobilité électrique, qui rassemble les engins de déplacement personnel motorisés (EDPM) tels que les trottinettes, hoverboards, gyroroues, est également en forte croissance, mais «s’il y a bien un endroit où les politiques de mobilité alternative ont été confortées, c’est sur le vélo», qu’il soit ou non à assistance électrique, note Mathieu Chassignet de l’Ademe.

D’après l’association Vélo et territoires, la fréquentation cyclable a bondi, en 2020 et hors confinements, de 27%par rapport à 2019–31% en zone urbaine, 14% en périurbain et 15% en milieu rural. À Paris, le flux de cyclistes a même augmenté de 70% entre mai et septembre 2020, et l’une des pistes emblématiques du nouveau réseau, boulevard Sébastopol, comptabilise selon l’association 18.000 passages quotidiens. Du jamais-vu. Sur tout le territoire, le boom de la pratique du vélo a provoqué la réparation de plus d’un million de bicyclettes via l’opération «Coup de pouce» (l’objectif initial était de 300.000 réparations en décembre 2020), la vente de 3,3 millions de vélos, ainsi qu’une pénurie de vélos neufs et de très long délais de livraison, surtout pour les vélos à assistance électrique (VAE). La Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) parle d’un «point de rupture qu’(elle) attendait depuis quarante ans».

Nées du jour au lendemain au premier confinement, la plupart des «coronapistes» –640 km d’aménagements cyclables de transition mis en place par les collectivités pour sécuriser des continuités cyclables– ont été pérennisées. «La crise a complètement rebattu les cartes, s’enthousiasme Stein Van Oosteren, porte-parole du collectif Vélo Île-de-France. C’est extraordinaire de voir une ville cyclable émerger sous vos yeux alors que vous avez lutté pendant des années… Cette absurdité de virus a permis de faire l’impossible. Et l’engouement est énorme! Maintenant il faut consolider, car les nouveaux cyclistes ne veulent plus qu’on leur retire les conditions de sécurité dont ils ont bénéficié.» Les normes évoluent: le Cerema reprend désormais des critères imposés aux Pays-Bas, parmi lesquels une largeur de 2,50 m pour une piste unidirectionnelle. «Si même les normes sont en train de bouger, c’est un glissement de plaques tectoniques, c’est que la révolution est totale», jubile Stein Van Oosteren. «Cette hausse sera durable, abonde Mathieu Chassignet, car les personnes sont équipées et quand on a mis le doigt dans l’engrenage, on ne revient pas en arrière. Il est prouvé qu’une majorité de ceux qui ont testé continuent

Télétravail: la preuve en actes

L’expérience: c’est aussi l’accélérateur dont a bénéficié le télétravail, élément clé quand on parle de décarboner les mobilités puisqu’il supprime une partie des déplacements domicile-travail et leurs émissions. Testé dans l’urgence par les actifs pouvant travailler à distance (essentiellement les cadres, nombreux dans les métropoles), puis prolongé partiellement au cours de l’année, le télétravail pourrait se pérenniser en partie.

Selon l’Observatoire des mobilités émergentes publié mi-janvier, 54 % des sondés estiment qu’«une fois la crise sanitaire passée» ils poursuivront le télétravail au moins un jour par semaine, parmi eux 11% «pratiquement tous les jours», et pour les actifs qui ne télétravaillent pas alors qu’ils le pourraient, l’employeur est en cause dans un cas sur deux. Une frilosité qui devrait s’atténuer. «Avant le confinement, seuls 2% des actifs télétravaillaient de façon régulière, et 7% de façon irrégulière. On est passés à plus de 40% au premier confinement. Alors qu’il existait un consensus réticent à l’encontre du télétravail, le manager ne peut plus dire aujourd’hui qu’il est impossible à mettre en place puisqu’il a eu la preuve du contraire», ajoute Sylvie Landriève, directrice du Forum vies mobiles, think tank de la mobilité créé par la SNCF, tout en précisant que le télétravail «est bon en termes d’émissions s’il est vraiment massif».

«2020, année de la démobilité», titrait le quotidien Le Monde mi-janvier. La démobilité? Un concept né au milieu des années 2010, cher au Forum vies mobiles, au sociologue des mobilités Bruno Marzloff (Sans Bureau Fixe, Fyp Editions, 2014), et à celles et ceux qui, ayant en tête l’urgence de la réduction d’émissions du secteur des transports, voient un seul horizon à atteindre : la baisse des distances parcourues. Dans la métropole du futur, on se déplace mieux, certes, mais on se déplace également moins. Or jusqu’ici, déplore Sylvie Landriève, «toutes les politiques publiques ont été menées en se disant qu’on doit arriver à baisser les émissions tout en aug- mentant le nombre de déplacements»!

Il faut aussi, pour la directrice du Forum vies mobiles, rap- peler, malgré l’enthousiasme justifié, la part modale du vélo. Celle-ci reste en France très faible, entre 2 et 3% (contre 29% aux Pays-Bas, 10% en Allemagne), face à un recours à la voiture ultra-dominant. «Il y a eu l’inquiétude d’un report sur la voiture du fait de la désertion des transports collectifs, comme si la voiture et les transports collectifs avaient des poids équivalents… Mais même en ville, la voiture représente l’immense majorité des déplacements.» À l’exception de Paris, parmi les villes-centres des pôles des aires urbaines de plus de 400 000 habitants, Lyon est la seule où les salariés se déplaçant en transports en commun sont plus nombreux que ceux utilisant leur voiture, selon l’Insee (2019).

Livraisons: la mutualisation comme horizon

Enfin, afin de limiter leurs déplacements et contacts, les Français ont eu davantage, en 2020, recours à la livraison ou au drive. De quoi lancer un autre débat. Car leurs déplacements ont été remplacés par d’autres, ceux des véhicules roulant jusqu’à leur porte. Derrière la simplicité de l’achat en un clic, le e-commerce «est très matériel, ce sont des kilomètres de camion», formule Mathieu Chassignet de l’Ademe. Or, avec une économie numérique en fort développement et des villes limitant la circulation automobile semble se dessiner une équation compliquée. La ville marchable, théorisée par l’ur- baniste américain Jeff Speck, ou la «ville du quart d’heure» telle que la promeut la maire de Paris Anne Hidalgo, est-elle dans ces conditions un scénario raisonnable?

En réalité, la logistique urbaine est en train de s’adapter, et la pandémie a, là encore, joué le rôle d’accélérateur. À titre d’exemple, Urby, filiale du groupe La Poste spécialisée dans la logistique du dernier kilomètre et présente dans 19 métropoles, vient d’investir 20 millions d’euros pour acquérir 240 véhicules à faibles émissions, dont 80% fonctionnent au GNV et 20% en électrique. «Le futur de la livraison sera écologique», clame son directeur. «Notre métier, c’est de mutualiser, renchérit Delphine Janicot, directrice commerciale d’Urby. Aujourd’hui, si vous avez un camion 1 pour livrer le magasin 1 et un camion 2 pour livrer le magasin 2, vous ne décongestionnez
pas la ville. L’enjeu, c’est
 de diminuer le nombre de
 poids lourds qui entrent
 dans les villes, de le faire
 avec des véhicules à faibles émissions, et de s’assurer qu’ils n’en ressortent
 pas à vide en collectant
 des déchets et emballages
recyclables».

Confrontée à l’essor 
des achats par internet, la logistique se réinvente pour approvisionner les villes en rapprochant la marchandise du consommateur, si bien que ce fameux dernier kilomètre peut être effectué, selon le volume, en poids lourd, utilitaire, ou même vélo cargo. Ces vélos cargo s’ajouteront à ceux des «boîtes à vélos», ces collectifs qui rassemblent artisans, commerçants, livreurs ayant choisi le vélo comme outil de travail. «Le consommateur a aussi son rôle à jouer, ajoute Mathieu Chassignet. Plus on se fait livrer vite, plus l’impact en termes de CO2 est important. Choisir le relais-colis est aussi plus vertueux puisqu’à domicile la personne n’est pas là une fois sur deux. Mais il faut surtout se poser la question de l’encadrement par la ville de cette multiplication des livraisons, afin que cela génère le moins de nuisances possible, en terme de pollution et de partage d’espace.»

Comme sur le front des transports collectifs, du vélo ou de la démobilité, les cartes sont rebattues. Les villes ont désormais une occasion unique de revoir leur copie sur un sujet devenu crucial. Les débats promettent d’être agités tout au long de 2021, à commencer par ceux du projet de loi Climat, attendu à l’Assemblée fin mars.

Annabelle Laurent

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