Migrations climatiques: fantasmes et réalité

13 juillet 2024

Temps de lecture : 5 minutes
Photo :
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

Migrations climatiques: fantasmes et réalité

par

A en croire les nombreux prophètes de malheur et même le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres, qui s’est fait une spécialité de nous annoncer tous les six mois les pires catastrophes, le réchauffement climatique va se traduire par une avalanche irrésistible de migrations vers les pays développés. Ces affirmations ne reposent sur rien de sérieux. Si le changement climatique est une cause de mobilité des populations, c’est essentiellement à l’intérieur même de leurs propres pays et sur de courtes distances.

La planète se réchauffe tandis que les frontières se ferment. La concomitance de ces deux phénomènes pourrait laisser penser que le dérèglement climatique deviendrait un ressort majeur du déplacement des hommes et des femmes vers des pays lointains. Il n’en est rien. En revanche, le changement climatique est bien une cause majeure de mobilité des populations à l’intérieur de leur propre pays.

Tordons d’abord le cou à l’idée d’une migration climatique internationale massive. Elle a longtemps prévalu et elle reste encore prégnante. D’aucun prévoyant le débarquement de hordes d’immigrants chassés de chez eux par le réchauffement et son lot d’événements extrêmes, en particulier venant de l’Afrique subsaharienne pour trouver refuge en Europe. Ce chiffon rouge est parfois agité avec l’intention de forcer l’urgence des actions de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Récemment encore, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Gutteres, brandissait le spectre d’un « exode de masse à l’échelle biblique ». Le plus souvent – et c’est autrement condamnable –, il s’agit d’entretenir une culture de la peur xénophobe. Quoi qu’il en soit, l’idée ne repose sur aucune base sérieuse.

Des mouvements à l’intérieur des pays

Rappelons quelques éléments établis sur les migrations en général.

La majorité des migrants, c’est-à-dire des résidents nés dans un État différent, vivent dans un pays à revenu faible ou moyen, ou dans les pays du Golfe. Ils n’ont pas quitté leurs pays pour se rendre principalement dans les pays de l’OCDE. Dans l’ensemble, 96,4 % des Terriens vivent dans le pays qui les a vus naître.

Les hommes, les femmes et les enfants se déplacent avant tout à l’intérieur de leur pays d’origine. Pour les deux tiers des déplacements, environ. Pour le tiers restant, il s’agit principalement d’une émigration vers un pays voisin et non vers une destination lointaine.

Les plus démunis sont ceux qui présentent les plus faibles possibilités de se déplacer, notamment pour gagner des destinations lointaines car le trajet est coûteux pour les atteindre.

Les migrations répondent à des facteurs multiples : opportunités économiques, recherche de meilleures conditions de vie, accès plus facile aux services éducatifs et de santé, fuite d’un régime politique, etc.

Cette multiplicité rend la notion de migration climatique difficile à cerner. Le seul cas facile correspond aux départs de population consécutifs à des événements extrêmes comme les inondations, les tornades ou les incendies. À l’exemple de Katrina qui a fait prendre la route à un demi-million d’habitants de La Nouvelle- Orléans. Ou bien des huit millions de Pakistanais qui ont dû fuir les inondations du delta de l’Indus en 2022.

Il faut alors se satisfaire d’une définition qui met en avant le caractère prédominant du changement de l’environnement lié au climat parmi les raisons du déplacement. C’est l’approche que retient l’Organisation internationale pour les migrations afin d’évaluer le phénomène. Elle permet d’englober les cas de changements progressifs de l’environnement comme la montée du niveau des océans ou l’avancée des déserts.

Les pays développés ignorés

Une recherche réalisée par deux économistes académiques italiens, l’une restée au pays, l’autre ayant émigré en Californie, a confirmé que les déplacements climatiques, comme les autres, s’effectuent principalement sur de courtes distances et dans le même pays. Portant sur des données observées entre 1960 et 2000 dans plus de 100 pays, les auteurs montrent également qu’une année plus chaude dans les pays de revenu intermédiaire accélère la migration internationale, mais ce uniquement vers des pays qui n’appartiennent pas à l’OCDE. Pour les pays pauvres, l’augmentation de température entraîne une diminution de l’émigration tant vers les pays de l’OCDE que vers les autres. Au total, comme le soulignent les deux auteurs, l’augmentation de température pourrait ainsi diminuer la migration internationale vers les pays développés !

Citons également un travail de recherche d’économistes de l’Université de Columbia portant sur les demandes d’asile. Ils analysent la relation entre le nombre de dépôts de telles demandes dans l’Union européenne au cours de la période 2000-2014 et les variations de température dans les pays d’origine des demandeurs. Les auteurs estiment alors qu’un réchauffement d’un degré Celsius augmente le nombre de demandes de 6 %. Il faudrait un réchauffement de cinq degrés Celsius pour conduire à son doublement. Par ailleurs, ces demandes supplémentaires sont plus souvent acceptées que les autres, suggérant que les pays d’accueil assimilent ces demandeurs à des réfugiés plutôt qu’à des migrants économiques non éligibles à l’asile. Et ce, bien que la notion couramment employée de réfugié climatique n’ait à ce jour aucune existence légale. De nombreuses voix s’élèvent pour qu’elle lui soit reconnue.

Mais la Convention internationale de Genève, le traité international qui définit le statut de réfugié, oblige ses signataires à accorder l’asile à toute personne menacée de persécution du fait de sa race, sa religion, son appartenance à un certain groupe social ou ses opinions politiques. La reconnaissance de la menace climatique supposerait une révision de la Convention, et donc un consensus entre les États qui apparaît hors de portée dans le monde fragmenté d’aujourd’hui. La mise en œuvre concrète de cette règle nécessiterait également d’être capable d’établir sans se tromper que le changement climatique est le facteur principal de la migration du candidat à l’asile.

Une crainte fallacieuse

Mentionnons enfin un travail prospectif récent fondé sur la prévision des conditions de migration. Il établit qu’entre 50 et 100 millions de personnes en âge de travailler quitteraient d’ici à la fin du siècle leur pays du fait du dérèglement climatique. Sur ce total, seul un cinquième se dirigerait vers un pays de l’OCDE. Et les auteurs de conclure qu’« une migration internationale massive due aux chocs climatiques est improbable ».  

Les menaces imaginaires associées aux migrants sont déjà si répandues qu’il n’est pas utile de rajouter la crainte fallacieuse d’une émigration climatique.

Le tableau est différent lorsque l’on s’intéresse à la migration climatique interne, c’est-à-dire lorsque la population se déplace à l’intérieur de son propre pays. Au cours de l’année 2023, le nombre de personnes qui ont dû migrer à la suite de catastrophes climatiques, essentiellement des inondations et des tempêtes, s’est élevé à environ 20 millions. Soit le même chiffre que celui des déplacements liés aux conflits armés.

Des aides internationales indispensables

Par exemple au Soudan qui a compté 6 millions de personnes déplacées et dans la bande de Gaza où 3,5 millions de Palestiniens ont dû quitter leur foyer. À égalité avec les guerres civiles ou internationales, le climat est donc sans conteste une source majeure des déplacements internes. En termes de population vivant en situation de déplacement, soit en données statiques et non plus en flux annuels, les conflits l’emportent cependant devant les catastrophes climatiques. Dans ce dernier cas, en effet, les populations sont beaucoup plus nombreuses à retourner chez elles.

Une étude de la Banque mondiale sur le déplacement des personnes dans leur propre pays s’est intéressée au rôle de la pluviométrie. À partir de données sur près d’un demi-milliard d’habitants de plus de 60 pays, elle a confirmé l’hypothèse de la contrainte de migration exercée par liquidité financière des ménages dans les pays à faible revenu : les années de pluviométrie haute se traduisent par une migration plus forte que les années de pluviométrie basse, ces dernières épuisant le peu d’épargne ou de crédit disponible de ceux qui en disposaient et qui sont nécessaires pour se déplacer.

Dans un autre rapport, la Banque mondiale rend compte d’un travail de modélisation prospective sur la migration climatique interne au nom évocateur inquiétant de Groundswell (lame de fond, en français). Il porte sur les effets climatiques progressifs (raréfaction des ressources en eau, diminution des rendements agricoles et élévation du niveau des océans) dans les pays en développement. Les événements extrêmes et les déplacements instantanés qu’ils entraînent n’ont pas été considérés. Ce travail estime qu’à l’horizon 2050 les migrations climatiques internes s’élèveraient entre 40 millions et 260 millions de personnes selon différents scénarios de développement économique et de réchauffement climatique. Les déplacements climatiques internes représenteraient à cet horizon entre le cinquième et le tiers des mouvements de migration interne attendus en l’absence de changement climatique.

Contrairement à la migration climatique internationale vers les pays riches et industrialisés qui devrait rester marginale, la migration climatique interne continuera d’être un phénomène de grande ampleur. En vérité, c’est elle qui est préoccupante. Elle appelle des mesures fortes, en particulier des aides internationales aux populations vulnérables dans les pays de basses latitudes.

, Professeur d’économie, Mines Paris – PSL.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.

À propos de l’auteur

La rédaction

La rédaction

Newsletter

Voir aussi

Share This