La semaine dernière, sans surprise, les pays du cartel de l’Opep+ (les 13 membres producteurs de pétrole de l’Opep menés par l’Arabie Saoudite et leurs 10 alliés menés par la Russie) ont décidé de procéder à une très légère augmentation de leur production. Et cela en dépit des demandes américaines répétés de produire plus, en dépit des cours élevés du baril et en dépit de l’annonce prochaine très probable d’une embargo européen progressif sur le pétrole russe. L’organisation se limitera donc à une hausse d’à peine 1%, 432.000 barils/jour pour le mois de juin, à comparer à une production d’environ 40 millions de barils par jour. Mais les producteurs de pétrole, qui ont souffert pendant des années de la faiblesse des cours du baril, notamment en 2020 au plus fort de la pandémie de Covid-19, entendent maintenant profiter d’un rapport de force en leur faveur et de recettes abondantes.
Lever l’immunité souveraine des pays producteurs
Pour faire monter la pression sur l’Opep+, le Congrès américain à sorti des tiroirs une proposition de loi anti-Opep que l’on pensait enterrée depuis plus de 10 ans. Plus précisément, la commission judiciaire du Sénat américain a approuvé un projet de loi antitrust nommé «No oil producing and exporting cartels act», (Nopec), Le texte vise à lever l’immunité souveraine des Etats membres de l’Opep aux Etats-Unis.
S’il est adopté par le Sénat et promulgué par le président Biden, ce qui est très loin d’être fait, le texte ouvre la voie à une action en justice contre l’Opep… Il modifierait la législation antitrust pour permettre de poursuivre pour collusion les pays de l’organisation afin de leur interdire de restreindre et contrôler la production d’hydrocarbures ou pour en manipuler les prix.
La proposition de loi a toujours été rejetée par les administrations, démocrates et républicaines, mais les choses changent puisqu’elle est soutenue par l’ancien président Donald Trump et un certain de parlementaires républicains proches de lui. Donald Trump s’en prend régulièrement à l’Opep.
Une version du Nopec a été votée par les deux chambres du Congrès en 2007 mais elle a été remisée quand le président George W. Bush a fait savoir qu’il opposerait son veto.
Une partie de bras de fer avec les républicains et certains élus démocrates
Une partie de bras de fer est en train de se jouer en ce moment dans la coulisse car l’envolée des prix des carburants rend aussi la mesure populaire dans l’opinion américaine et les élections législatives de la mi-mandat auront lieu dans six mois. Il y a un intérêt politique évident à rendre l’Opep responsable de l’envolée des prix de l’énergie. Et la Maison Blanche pourrait ainsi disposer d’un moyen de pression qu’elle n’a pas aujourd’hui sur les pays producteurs de pétrole.
Un sondage récent publié par CNN montre qu’une majorité d’Américains juge négativement la politique économique de Joe Biden et que 8 personnes interrogées sur 10 pensent que l’administration n’en fait pas assez contre l’inflation. Vexé par les refus répétés de Riyad de produire plus de barils, de nombreux démocrates demandent à Joe Biden d’être plus ferme avec l’Arabie Saoudite. Le mois dernier, une trentaine de Représentants démocrates ont demandé au Président de «recalibrer» sa relation avec l’Arabie Saoudite jugeant qu’il s’agit d’un partenaire stratégique qui n’en es plus un. Le ton monte aussi à Riyad. «Nous ne sommes pas des écoliers traités avec une carotte et un bâton» a déclaré le Prince Turki al-Faisal.
L’Arabie Saoudite prend la menace au sérieux
En tout cas, l’Arabie saoudite prend la menace au sérieux. Elle a lancé un intense lobbying auprès du gouvernement pour empêcher la loi de revenir sur la table et peut compter sur le soutien des compagnies pétrolières américaines..
Avec près de 1.000 milliards de dollars (868 millions d’euros) d’investissements aux Etats-Unis, Ryad aurait beaucoup à perdre si le Nopec prenait force de loi. Le ministre saoudien de l’Energie Khalid al-Falih a soulevé la question lors d’entretiens privés ces derniers mois avec des responsables américains, y compris le secrétaire à l’Energie Rick Perry, ont dit à Reuters deux sources sous couvert d’anonymat.
Deux organisations professionnelles de poids, la Chambre de Commerce américaine et l’American Petroleum Institute (API) ont d’ores et déjà plaidé contre la loi au Congrès en arguant que le boom de la production américaine de pétrole de schiste avait réduit l’influence de l’Opep.
La porte-parole de la Maison blanche, Jen Psaki, a déclaré que l’administration était préoccupée par les «implications potentielles et conséquences non intentionnelles» d’une telle loi, mais qu’elle étudiait toujours le texte.
Très clairement, l’administration Biden cherche à gagner du temps. La possibilité d’un vote cette année est faible puisqu’il ne reste plus que 16 jours de session parlementaire en raison des élections de mi-mandat prévues le 6 novembre. Mais si la Maison Blanche est contrainte de mettre un veto au vote du texte, cela la mettra dans une position politique difficile. Elle donnera alors un magnifique argument à ses opposants.