La transition énergétique n’a aucune chance de réussir sans une augmentation massive de la production de minéraux et métaux dits stratégiques ou critiques. Les éoliennes, panneaux solaires, moteurs électriques, batteries, lignes à haute tension, transformateurs, piles à combustibles, électrolyseurs… nécessitent pour être fabriqués des quantités considérables de cuivre, nickel, lithium, platine, palladium, cobalt, zinc, graphite, aluminium, étain, manganèse, terres rares… Des activités lucratives qui ont des conséquences lourdes pour l’environnement et se heurtent ainsi fréquemment à l’opposition des populations locales. Une industrie idéale pour les réseaux mafieux…
Cela se traduit d’ores et déjà par la multiplication des exploitations minières illégales. Des gangs criminels sont ainsi impliqués dans l’extraction clandestine de minéraux comme l’étain, le cuivre ou le manganèse, notamment en Amazonie.
La partie émergée de l’iceberg
Le Brésil souffre depuis longtemps de l’exploitation minière illégale notamment de l’or. Mais tout récemment un réseau criminel a été découvert en train d’extraire de grandes quantités de cassiterite (voir la photographie ci-dessus), l’un des deux principaux minerais permettant de fabriquer de l’étain. Même si ce n’est pas le plus connu des métaux critiques, l’étain est un composant clé pour le revêtement des panneaux solaires, pour les batteries au lithium-ion et les soudures de nombreux appareils électroniques. Les cours de l’étain ont augmenté de 29% au cours des six premiers mois de l’année et le Brésil est l’un de ses plus grands exportateurs.
Bien que le prix de la cassiterite soit nettement inférieur à celui de l’or, entre 14 à 21 dollars le kilo, il est beaucoup plus abondant et facile à trouver et extraire. Les gangs peuvent extraire jusqu’à 300 kg de cassiterite par jour sur les terres du peuple autochtone Yanomami, contre environ 4 kg d’or par mois. L’extraction de cassiterite aide en fait à financer l’extraction illégale de l’or, ce qui en fait une activité vitale pour les gangs criminels. « La cassitérite est la base ; elle paie le carburant, elle paie les travailleurs, elle paie tout », explique au Guardian Diego Milléo Bueno, directeur de l’agence environnementale brésilienne Ibama à Roraima.
Les gangs paient les camionneurs pour faire passer illégalement de la cassiterite à travers les frontières brésiliennes, caché parmi d’autres produits, tels que les fruits et le poisson. En 2022, 60 tonnes de cassiterite en route vers la Chine ont été saisies dans le cadre d’une seule opération au port de Manaus.
Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. En juin dernier, la police brésilienne a saisi 23.000 tonnes de manganèse qui étaient en train d’être exportées aussi vers la Chine. Cela a permis à la police fédérale de fermer un site minier illégal dans l’État du Pará. Les autorités de l’État ont également perquisitionné plusieurs sites miniers de cuivre et d’or et ont alors constaté que les travailleurs y étaient traités comme des esclaves.
« Triangle du lithium » et Panama
Pour Caio Luchini, le chef de la police fédérale de Roraima, l’État le plus septentrional du Brésil, il est extrêmement difficile de s’attaquer aux nouvelles activités minières illégales. Car il est bien plus facile de cacher les origines illégales de la cassiterite et des minéraux similaires que de l’or dont l’origine est beaucoup plus sévèrement contrôlée.
Le Brésil n’est pas le seul pays d’Amérique latine à être victime de l’exploitation minière illégale. Dans le « Triangle du lithium », une région, comme son nom l’indique, où se trouve d’importantes réserves de lithium située entre l’Argentine, la Bolivie et le Chili, les gangs cherchent à entrer dans cette activité.
Au Panama, le gouvernement a mis en garde contre les risques liés à l’exploitation minière illégale à la suite de la fermeture de la gigantesque mine de cuivre Cobre Panamá en novembre 2023. D’une valeur de 10 milliards de dollars, la mine produisait 400.000 tonnes de cuivre par an à partir de ce qui est considéré comme l’un des plus grands gisements au monde. La décision du gouvernement a été prise à la suite de protestations et de conflits politiques qui ont abouti à l’annulation de la licence d’exploitation de la mine qui appartenait à la société canadienne First Quantum Minerals par la Cour suprême du pays.
Le cobalt de la RDC
Le ministre de la sécurité du Panama, Frank Ábrego, dénonçait récemment « des méthodes inappropriées et des produits chimiques très dangereux tels que le cyanure utilisés pour ces pratiques [l’exploitation clandestine de la mine]. Il y a des informations selon lesquelles des groupes criminels organisés sont impliqués dans cette entreprise illégale ».
En avril, l’ONU a monté un groupe de travail afin d’aider plus d’une centaine de pays à lutter contre la dégradation de l’environnement et les violations des droits de l’homme liées à l’extraction de minéraux critiques. L’extraction du cobalt, par exemple, a entraîné une recrudescence du travail illégal et de violations des droits de l’homme, en particulier en République démocratique du Congo (RDC). La seule solution consiste en fait à exiger la transparence sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pour suivre les minéraux de l’extraction à l’utilisation industrielle.