Dirigeant et fondateur de la société GPC IP, spécialisée depuis 1998 dans l’exploration et l’exploitation des fluides du sous-sol, Pierre Ungemach a une expérience de plus de quarante ans en géophysique. Il a dirigé dans les années 1980 le programme de recherche géothermique de la Commission européenne. Il répond aux questions de Transitions & Energies. Entretien paru dans le numéro 5 du magazine Transitions & Energies.
-T&E : La géothermie semble être une source d’énergie idéale. Elle n’émet quasiment pas de gaz à effet de serre, elle est renouvelable, elle n’est pas intermittente comme l’éolien et le solaire, elle est locale. Il s’agit d’une technologie mature et si elle demande initialement des investissements importants, les coûts de fonctionnement sont réduits. Comment se fait-il que la géothermie ne soit pas devenue une priorité nationale ? Mais d’abord, est-ce que le potentiel est important en France ?
-Pierre Ungemach : Le potentiel est inégal. Il est validé et important en Île-de-France et dans le fossé rhénan. Dans le bassin parisien avant tout pour le chauffage et en Alsace, on peut produire de l’électricité. Il existe aussi, mais il demande à être étudié de façon approfondie dans la vallée du Rhône et dans le massif central.
Il y a actuellement en Île-de-France, 50 doublets –un forage qui capte l’eau chaude et un autre qui la réinjecte dans le réservoir – géothermiques de chauffage urbain dont certains ont plus de 35 ans. La géothermie est renouvelable et durable. La filière est mature. Le taux de charge est de 95 %, cela veut dire qu’elle fournit de l’énergie24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 tout au long de l’année. Sur le long terme, c’est toujours la géothermie qui gagne.
Pour en revenir au potentiel, cela dépend aussi des techniques utilisées et de ce qui est recherché, la chaleur pour des maisons, pour des quartiers et des villes ou l’électricité.Car la géothermie offre un très large éven- tail de possibilités. Avec des sondes thermiques à faible profondeur, on peut, sans réservoir d’eau chaude, capter des températuresde 10 à 15 degrés et avec une pompe à chaleur chauffer et refroidir une maison pour un investissement de 15 à 20 000 euros. Et on peut faire cela presque partout.
Des doublets géothermiques à une profondeur peu importante peuvent récupérer une puissance thermique plus élevée de 15 à 30 de- grés. Il y a un aquifère important dansle Bassin parisien, l’Albien, permettant, entre 500 et 800 mètres, d’avoir de 25 à 30 degrés. Après, à des profondeurs de quelques mil- liers de mètres et via des failles, on aaccès à des réservoirs d’eau avec des températures élevées. On gagne en moyenne 30 degrés par kilomè- tre. Cela représente 150 degrés à 5000 mètres.»
-Comment se fait-il que la grande période de la géothermie en France, c’était les années 1980 ?
-C’est vrai, à l’époque on construisait simultanément une douzaine de doublets. Nous sommes retombés à 2 ou 3. Cela est lié d’abord à un recul des investissements, notamment locaux. Ce sont des investissements importants. Par exemple, un doublet qui a la capacité de produire 50 000 mégawattsheure par an sous forme de chaleur ou de froid, soit de quoi alimenter plus de 5 000 logements, représente un investissement de l’ordre de 30 millions d’euros. L’industrie est par ailleurs devenue conservatrice et n’a plus vraiment innové, notamment parce que le BRGM a freiné pendant des années tout progrès technique. Les choses sont à nouveau en train de changer avec de nouvelles technologies et stratégies de forage.
La construction d’environ une vingtaine de doublets est progra mée en Île-de-France pour la prochaine décennie, mais on pourrait faire bien plus. On a beaucoup trop d’opérateurs. On en aurait un seul par exemple dans le bassin parisien, cela lui permettrait d’avoir plus de moyens, plus d’expertise et de mieux répartir les risques. On a quasiment un opérateur par doublet! Nous sommes en quelque sorte victimes des intérêts locaux.
Propos recueillis par E.L