Le chantier à rallonge et à multiples malfaçons de l’EPR de Flamanville apporte au moins un considérable retour d’expérience qui, souhaitons-le, permettra de ne pas répéter les mêmes errements. Ainsi, la conception même du réacteur, l’organisation de l’industrie et les méthodes d’ingénierie devraient grandement changer et permettre de préparer au mieux les 6 chantiers suivants, d’un EPR2 amélioré et simplifié, qui s’annoncent.
Mais c’est aussi du côté des moyens à mobiliser pour financer les nouveaux réacteurs que des enseignements peuvent être tirés de ce qui s’est passé à Flamanville. D’autant plus que le coût initial, totalement irréaliste de 3,5 milliards d’euros, devrait au final être multiplié par quatre… La construction d’un réacteur nucléaire a par ailleurs comme spécificité d’avoir un coût d’usage (combustible, personnel, entretien) relativement faible comparé à l’amortissement de l’investissement initial pour le bâtir. Un projet nucléaire est donc une immobilisation capitalistique majeure dont le coût de construction dépend beaucoup des conditions du marché, c’est-à-dire des taux d’intérêt.
A Flamanville, un tiers du coût du chantier est celui du capital
Ainsi, concernant le réacteur de Flamanville, le coût du capital représente environ un tiers du coût global de la construction, alors même qu’EDF a pu bénéficier au cours des dernières années de conditions de marché exceptionnellement favorables en termes de taux.
Alors pour un projet de 6 réacteurs et dans un contexte de remontée du coût de l’argent le dossier est un casse-tête. Car le nucléaire, contrairement aux énergies renouvelables, ne peut pas bénéficier en France d’un prix garanti de rachat de son électricité. Prix garanti qui, en faisant énormément diminuer le risque, rassure les investisseurs sur la rentabilité future de l’investissement et permet donc d’obtenir de meilleures conditions de financement.
Contourner les marchés financiers
Le gouvernement vient donc de lancer un ballon d’essai et de soumettre une autre idée pour financer ce projet d’intérêt général à moindre coût lui permettant de contourner les marchés financiers: utiliser les fonds déposés par les épargnants sur leur livret A afin d’assurer une ressource stable et un taux d’emprunt préférentiel à EDF.
Cette annonce a immédiatement entraîné l’ire des anti-nucléaires et des démagogues qui sont pourtant en théorie adversaires des marchés financiers. EDF a ainsi été accusé de «faire la poche des contribuables» et le gouvernement de «préférer les centrales aux logements sociaux». Car il est encore ancré dans l’imaginaire collectif que les sommes collectées par le livret A sont intégralement utilisées pour financer le logement social. La réalité est toute autre.
La popularité jamais démentie du livret A fait que les sommes collectées chaque année dépassent de très loin les besoins des organismes HLM en matière de prêts bonifiés. La caisse des dépôts et consignation se charge donc de faire fructifier le reste, que ce soit en placements sur les marchés financiers, soit avec des mécanismes de prêts en direction de projets d’intérêt général (comme le financement d’écoles, d’hôpitaux, de crèches).
Intérêt général
Ce caractère «d’intérêt général» est extrêmement important, puisqu’il conditionne la capacité de la caisse à faire profiter aux bénéficiaires de taux extrêmement bonifiés pour son financement. Or ce critère semble à priori bien rempli par le programme EPR2 et les besoins français de sécurisation de l’approvisionnement électrique, tout comme le besoin d’électrification afin de se passer des énergies fossiles.
Il y a donc tout lieu de croire qu’il sera possible de mobiliser une partie des 50 milliards d’euros nécessaires pour le projet à un taux préférentiel en s’appuyant sur des prêts de la caisse des dépôts. Ce qui aurait pour impact direct de faire baisser grandement le coût global du projet, et, au final, de l’énergie produite… pour tout le monde.
Phillipe Thomazo