La stratégie menée depuis des années par l’industrie et le gouvernement chinois consiste à dominer et contrôler les filières clés de la transition énergétique. Cela revient à contraindre les occidentaux, notamment les Européens, de passer d’une dépendance à l’autre, de celle des producteurs d’hydrocarbures à celle des fabricants chinois de panneaux solaires, de cellules de batteries électriques, de pales et de turbines d’éoliennes, de métaux stratégiques et terres rares raffinés et même un jour de réacteurs nucléaires. Beijing est déjà parvenu à ses fins dans le domaine solaire, dans celui des métaux stratégiques et en prend le chemin dans l’éolien.
Pas moins de 85% des composants viennent de Chine
La grande crainte aujourd’hui des groupes industriels européens encore très présents sur le marché des éoliennes est de connaître le même sort que celui des fabricants de panneaux photovoltaïques il y a quinze ans. Etre balayés par le dumping chinois dans l’indifférence totale des pouvoirs publics et des autorités bruxelloises. Le modèle économique des constructeurs européens d’éoliennes est en péril. Ils sont fragilisés par les bouleversements de la chaîne logistique, par l’explosion des coûts des matières premières et par leur dépendance aux composants fabriqués en Chine. «Pas moins de 85% des composants de l’industrie proviennent de Chine», reconnait José Luis Blanco, directeur général du groupe allemand Nordex, le numéro huit mondial de la fabrication d’éoliennes.
Au moment même où la volonté politique en Europe (et en France) est d’accélérer l’implantation de parcs éoliens terrestres et maritimes, les industriels européens de la filière sont menacés par les ventes à perte et la destruction d’emplois. Le numéro 1 mondial du secteur, le géant danois Vestas, a perdu 765 millions d’euros au premier trimestre 2022 et annoncé son intention de fermer trois usines et supprimer 275 postes. De son côté, Siemens Energy, numéro deux mondial, a dû lancer en mai une offre publique d’achat pour sauver de l’hémorragie financière sa filiale espagnole Gamesa, spécialisée dans la fabrication d’éoliennes.
Le prix de l’acier multiplié par trois
La hausse des prix de l’acier utilisé notamment massivement pour la fabrication des tours et d’autres matériaux critiques comme le cuivre, ont fait s’nevoler le coût des infrastructures. Sans compter les défaillances de la chaîne logistique. «L’état de la chaîne d’approvisionnement est malsain à l’heure actuelle […] parce que nous avons un marché inflationniste qui dépasse ce que quiconque avait prévu même l’année dernière. Le prix de l’acier est multiplié par trois! Si le gouvernement pense qu’en un clin d’œil, cette chaîne d’approvisionnement va pouvoir se retourner et répondre à deux ou trois fois la demande, ce n’est pas raisonnable», a prévenu il y a déjà trois mois Sheri Hickok, directrice générale du groupe français GE Renewable Energy (numéro quatre mondial) pour l’éolien terrestre.
Les fabricants se trouvent face à un cercle vicieux. Ils ne maîtrisent pas les coûts des composants, qui représentent jusqu’à 80% du prix final de l’électricité générée. Et ils sont coincés sur les prix de vente pour remporter les marchés par le système des appels d’offres concurrentiels mis en place par les pays européens pour sélectionner les opérateurs. C’est un système conçu avant tout pour sélectionner l’offre qui propose le tarif au MWh le moins élevé. Cela devient impossible quand entre la soumission d’une offre à l’appel d’offre et le début du chantier les prix des équipements et des composants se sont envolés, sans parler des délais de livaison à rallonge.
Conséquence, les équipementiers européens se replient, réduisent leurs coûts fixes, se mettent en concurrence sur moins de projets et moins de marchés, rationalisent leurs gammes de produits. Ils laissent ainsi la porte ouverte à leurs concurrents chinois qui proposent des prix nettement inférieurs, De fait, les grands groupes chinois du secteur, de Goldwind à Envision en passant par Ming Yang et Shanghai Electric (respectivement numéros trois, cinq, six et neuf au monde, entrent en force sur les marchés européens. D’autant plus que les perspectives sont radieuses… La Commission entend faire passer la capacité éolienne installée dans les 27 pays de l’Union de 190 GW à 480 GW d’ici à 2030. Un quasi-triplement des équipements installés que l’industrie européenne sera incapable dans l’état d’assurer. Aujourd’hui, le vrai risque est de la voir installer ses usines dans des pays à bas coûts pour survivre.