Gerard Reid, un des cofondateurs et dirigeants d’Alexa Capital, un fonds d’investissement spécialisé dans l’énergie, a écrit un excellent article pour Energy Post, mettant en avant six contradictions majeures qui, d’après lui, freinent considérablement la transition énergétique. Ces six paradoxes impactent quasiment tous les marchés et toutes les technologies.
-Le premier paradoxe est celui des grands groupes producteurs d’électricité nationaux
Un peu partout dans le monde, ils ont été découpés en morceaux, privatisés, regroupés, séparés des réseaux et puis liés à nouveau aux réseaux… Une série de mesures de régulation prises depuis des années de façon anarchique visant soi-disant à «améliorer» l’efficacité des marchés de l’électricité. Mais tout cela n’a servi à rien à la transition. Les grands électriciens n’ont aucune incitation à réduire la consommation de leurs clients et même à réduire les émissions de gaz à effet de serre. «Aussi longtemps que la rentabilité d’une société dépend de la quantité d’énergie vendue, nous ne devons pas espérer une baisse significative de la consommation», souligne Gerard Reid.
-Le deuxième paradoxe est celui des renouvelables
Le solaire et l’éolien sont peut-être devenus dans de nombreuses régions du monde la façon la plus économique de produire de l’électricité, ils sont pourtant intermittents et aléatoires. Cela signifie que d’autres moyens de produire de l’électricité à la demande, dits pilotables, sont indispensables pour assurer en permanence la fourniture d’électricité et cela tant que des moyens de stockage massifs et économiquement accessibles de l’électricité n’existeront pas. De fait, et contrairement aux discours simplistes, les renouvelables ne sont donc pas aujourd’hui une vraie solution de substitution.
Ils créent même le chaos sur le marché en effondrant les prix de l’électricité dans les périodes ou il y a beaucoup de vent et de soleil et en faisant, en revanche, s’envoler les prix quand il n’y a pas de vent et de soleil. Cela signifie que sur un marché important, un investisseur, sans subventions, a peu de raisons d’investir dans un champs d’éoliennes ou un parc solaire. Il vend son électricité de façon intermittente et à des prix bas. Il vaut mieux, du point de vue de l’investisseur, investir, par exemple, dans une centrale au gaz dont les prix sont constants et la rentabilité prévisible.
-Le troisième paradoxe est celui de l’efficacité très relative des marchés de l’énergie
Dans des conditions optimales de concurrence et de transparence, le marché est l’outil le plus efficace pour affecter et utiliser les ressources. Mais dans le domaine de l’énergie, la règle est plutôt celle des monopoles et des oligopoles, un petit nombre d’acteurs qui de fait s’entendent. Cela a été vrai pour le marché pétrolier pendant des décennies (plus vraiment aujourd’hui) et aussi pour la production d’électricité.
Dans ce dernier domaine, le consommateur ne peut pas vraiment ajuster ses besoins aux variations des prix de l’offre. En fait, c’est le producteur qui ajuste sa production à la demande et peut ainsi bien plus facilement maintenir les prix et même les augmenter. Les deux Etats où la part des renouvelables est la plus importante dans la production électrique, l’Allemagne et la Californie, sont aussi ceux où les prix de l’électricité ont le plus augmenté au cours des dernières années.
-Le NIMBY paradoxe, acronyme de Not In My Backyard, («pas dans mon jardin»)
Le cas est fréquent de voir les partisans les plus fervents de la transition énergétique et des renouvelables, y compris des groupes écologistes, devenir soudain des opposants farouches à de nouveaux équipements (éoliennes, lignes électriques à haute tension, usines de méthanisation…) s’ils sont installés près de leur domicile. C’est une des principales raisons qui explique la difficulté de multiplier rapidement ses installations.
Une enquête réalisée récemment en France par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en est une parfaite illustration. Les Français sont très majoritairement (à 64%) favorables aux énergies renouvelables, mais seuls 45% accepteraient un parc d’éoliennes proche de chez eux.
-Le cinquième paradoxe est le Jevons paradoxe
Il tient son nom de l’économiste anglais du 19ème siècle William Stanley Jevons. Ce dernier avait observé, entre autre, que la consommation de charbon s’était envolée avec l’apparition sur le marché de machines à vapeur plus efficaces et moins chères qui consommaient moins. En fait, quand les choses deviennent plus efficaces et moins coûteuses, en règle générale, nous en consommons plus. Au lieu de continuer à acheter la même quantité et d’utiliser l’argent économisé à autre chose.
On trouve un bon exemple de ce paradoxe avec l’éclairage. Nous avons augmenté l’utilisation d’ampoules basse consommation qui nous font faire des économies sur notre facture d’électricité. Mais nous avons aujourd’hui bien plus d’ampoules dans nos habitations et nos bureaux qu’il y a dix ans…
-Le dernier et sixième paradoxe est le paradoxe dit philosophique
Il met en avant les différences radicales d’approche de la transition énergétique entre l’Europe et les Etats-Unis. Outre-Atlantique, le soutien aux renouvelables se fait (selon les Etats) via des crédits d’impôts accordés aux entreprises qui construisent et gèrent les équipements. En Europe, le soutien aux renouvelables se fait à coup de subventions garantissant un prix d’achat minimum aux producteurs d’électricité renouvelable.
Dans le cas américain, le producteur prend des risques et doit être capable de fournir une énergie à un prix compétitif au consommateur. Dans le cas européen, le producteur a une rentabilité garantie, en général pendant 20 ans, et le prix payé par le consommateur est la variable d’ajustement.