C’est une révolution silencieuse qui est en marche. Sur un marché automobile en plein marasme dans le sillon de la crise sanitaire –les ventes de voitures neuves ont plongé de 24% en Europe en 2020 par rapport à 2019– les ventes de véhicules électriques (VE, comprenant les véhicules 100% électriques et les hybrides rechargeables) ont explosé en 2020. En particulier en Europe, dorénavant premier marché des VE au monde devant la Chine. C’est l’analyse que nous avons menée avec d’autres chercheurs dans un rapport publié par l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques.
Alors qu’ils ne représentaient que 3% des ventes d’automobiles en Europe en 2019, ils ont dépassé les 10% de parts de marché en 2020, avec une nette accélération en fin d’année. En décembre dernier, leur part a ainsi atteint 20 à 25% sur les principaux marchés européens (Allemagne, France, Royaume-Uni, et nettement plus sur les marchés pionniers du nord de l’Europe comme la Suède (50%), les Pays-Bas (75%) et surtout la Norvège, où ils contribuent désormais pour plus de 85 % des ventes – contre moins de 20 % il y a seulement 5 ans, et où les ventes de voitures à essence et diesel sont devenues insignifiantes, respectivement 5 et 2,5% du marché en décembre 2020.
Cette évolution spectaculaire, qui intervient alors même que le prix du pétrole est resté structurellement bas durant toute l’année 2020, s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs.
Pression réglementaire et fiscale
En moyenne, la batterie représente à elle seule plus de la moitié du prix d’une voiture électrique, mais les progrès technologiques continus ont déjà permis une réduction substantielle de leur coût de fabrication.
Avec ce coût en baisse et une autonomie en hausse, les VE comblent progressivement leur manque de compétitivité par rapport aux voitures à moteur thermique, d’autant que la plupart des pays européens accordent de généreuses aides financières à l’achat et que de nombreuses municipalités réservent d’appréciables avantages aux conducteurs de VE : bornes de recharge mises à disposition, accès privilégiés aux voies de bus ou aux parkings, etc.
L’autre facteur clé expliquant l’envolée des ventes de véhicules électriques tient à l’évolution de la législation européenne en matière d’émission de CO2 des voitures. L’abaissement continu –et annoncé longtemps à l’avance– des seuils d’émission autorisés pour les automobiles neuves pousse depuis plusieurs années les constructeurs à proposer une gamme toujours plus large de véhicules électriques : en 2020, près de 65 nouveaux modèles ont été mis sur le marché européen et ils devraient être autour de 100 cette année.
Au contraire des aides financières gouvernementales ponctuelles qui ont un impact temporaire, la stratégie de l’Union européenne a permis le développement d’un écosystème complet de véhicules électriques en offrant aux constructeurs la prévisibilité à long terme indispensable pour engager les lourds investissements nécessaires.
Cette conjonction de facteurs – financiers, réglementaires, industriels – permet au véhicule électrique de s’imposer désormais comme une nouvelle norme de la mobilité individuelle.
Le pétrole détrôné
Au rythme actuel, l’essentiel des nouvelles immatriculations en Europe sera électrique d’ici quelques années à peine. Il s’agit d’un changement radical de paradigme de la mobilité.
Un siècle après s’être imposé comme l’énergie incontournable dans le transport, le pétrole va ainsi perdre une grande partie de son statut de ressource stratégique dont chaque gouvernement doit impérativement assurer le bon approvisionnement pour la sécurité et l’économie du pays.
Le transport de marchandises, routier et maritime, dépend encore quasi exclusivement du pétrole –à 99% pour le transport maritime (AIE), et en 2020 en Europe, les ventes de camion étaient à 96% au diesel, même si les alternatives (gaz naturel, biocarburants, hydrogène, électricité…) gagnent en compétitivité.
Quant au transport aérien, il devrait rester encore totalement tributaire du pétrole pour de nombreuses années.
Pour autant, la capacité des sociétés de se mouvoir et des armées de mener des opérations militaires est progressivement en train de cesser de reposer exclusivement sur la disponibilité du pétrole. De plus, l’électrification de la mobilité routière, qui représente près de la moitié de la consommation globale de l’or noir, pourrait rapidement placer l’industrie pétrolière en surcapacité de production.
Nombre de prospectivistes ont longtemps considéré que c’était l’épuisement inéluctable des ressources pétrolières qui allait rendre nécessaire la transition énergétique dans le domaine du transport.
C’est en réalité le réchauffement climatique et dans une moindre mesure, la pollution de l’air, qui apparaissent comme les principales motivations derrière cette électrification de la mobilité. Comme aimait à le rappeler l’ancien ministre du pétrole saoudien, Cheikh Ahmed Yamani, « l’âge de la pierre n’a pas pris fin par manque de pierre », mais parce que l’homme a réalisé des progrès scientifiques lui permettant de développer des technologies plus performantes.
Une ressource réservée aux plus pauvres
Dans le monde inégalitaire dans lequel nous vivons, cela ne signifie pas pour autant que le pétrole cessera rapidement d’être consommé à grande échelle – en particulier dans les pays en développement où l’accès aux technologies de pointe est souvent limité.
C’est en particulier le cas de l’Afrique subsaharienne, devenue depuis longtemps le réceptacle des vieilles voitures européennes et asiatiquesne répondant plus aux normes environnementales ou de sécurité de leurs pays d’origine.
Mais l’or noir est très certainement en train de changer de statut: d’énergie stratégique pour laquelle les grandes puissances étaient prêtes à se battre, il s’apprête à devenir l’énergie du pauvre, celle qu’utiliseront les populations des États n’ayant pas les moyens d’acquérir les technologies les plus avancées.
Philippe Copinschi Enseignant en relations internationales à Sciences Po Paris, Sciences Po
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.