La transition énergétique passe dans les prochaines années et décennies par une accélération spectaculaire de la fabrication de véhicules électriques et de capacités de production d’énergies renouvelables. Mais pour remplacer les énergies fossiles et plus particulièrement les hydrocarbures, il faudra une quantité considérable de métaux dits stratégiques. Il y a évidemment le lithium, le cobalt et le nickel pour les batteries, mais le métal le plus critique est sans doute le cuivre. Pourquoi? Parce que sous forme de fils, de câbles et de feuilles, il est indispensable pour relier et connecter les batteries, les moteurs électriques et les réseaux. Une voiture électrique utilise trois fois plus de cuivre que son équivalent à moteur à combustion. Les parcs éoliens et solaires nécessitent à production électrique équivalente, au moins en capacités théoriques du fait de leur intermittence, cinq fois plus de métal rouge que les centrales à gaz, au charbon et nucléaire.
Ainsi, la décision prise par les institutions européennes de contraindre les acheteurs d’automobiles neuves de passer au tout électrique à partir de 2035 pourrait se heurter à l’impossibilité de produire suffisamment de véhicules et de bornes de recharge, faute de cuivre… Sans parler de l’envolée des prix de ce métal si le déséquilibre entre l’offre et la demande devient structurel.
Investir plus de 23 milliards de dollars par an pendant 30 ans
Une étude approfondie publiée très récemment par le cabinet de conseil Wood Mackenzie,spécialisé dans l’énergie, montre que pour satisfaire d’ici 2050 les besoins en cuivre pour atteindre les objectifs zéro carbone fixés lors de l’accord de Paris à l’occasion de la COP 21, l’industrie du cuivre doit totalement changer de dimension. «L’industrie minière devra réaliser de nouveaux projets à une fréquence et à un niveau constant de financement jamais atteints auparavant» explique Nick Pickens, directeur de recherche de Wood Mackenzie sur les marchés du cuivre.
Uniquement au cours des dix prochaines années, pas moins de 9,7 millions de tonnes de production nouvelle de cuivre sont nécessaires à partir de projets et d’investissements qui même n’ont pas encore été approuvés. Cela représente près d’un tiers de la consommation actuelle de cuivre. Et ce n’est qu’une première étape. Pour au moins les 30 prochaines années, il faudra que l’industrie du cuivre investisse plus de 23 milliards de dollars par an dans de nouvelles mines, soit 64% de plus que les dépenses annuelles moyennes des 30 dernières années. Et cela compte tenu d’une accélération importante du recyclage du cuivre par l’industrie.
L’augmentation de la demande de cuivre viendra avant tout, toujours selon Wood Mackenzie, du développement des véhicules électrique, qui en représentera 55%. Mais la demande provenant de l’éolien marin sera multipliée par sept d’ici 2040 à raison d’un million de tonnes supplémentaires par an dans les 18 prochaines années. Le solaire sera sur une trajectoire similaire avec une consommation supplémentaire de 1,1 millions de tonne par an prévue au cours des 20 prochaines années pour se placer dans une trajectoire nette zéro émissions de CO2.
Obstacles environnementaux, sociaux et ralentissement de l’économie mondiale
«En théorie, des prix plus élevés liés à une production insuffisante pour répondre à la demande devraient encourager le lancement de nouveaux projets et une augmentation de l’offre. Mais les conditions de réalisation des projets sont difficiles, avec des obstacles politiques, sociaux et environnementaux plus élevés que jamais», souligne Eleni Joannides, directrice de recherche chez Wood Mackenzie. «Par exemple, les licences sociales et environnementales d’exploitation s’avèrent difficiles à atteindre dans les principaux pays producteurs, y compris le Chili et le Pérou», ajoute-t-elle.
Mais dans l’immédiat, les dirigeants du secteur minier affirment que le déficit d’offre est aggravé par le ralentissement de l’économie mondiale. Il a entraîné une baisse des prix du cuivre et un effondrement des investissements rendant encore plus probable des pénuries à moyen terme. Ainsi, Maximo Pacheco, président de Codelco, le plus grand producteur mondial de cuivre, a déclaré au Financial Times qu’il s’attendait à un déficit de 6 à 7 millions de tonnes de cuivre pr an au cours des dix prochaines années. Richard Adkerson, le Pdg du groupe américain Freeport-McMoRan, le plus important producteur de cuivre au monde côté en Bourse, fait exactement la même analyse. «Il va y avoir de très importantes pénuries de cuivre», a-t-il déclaré toujours au Financial Times.
«Les aspirations dépassent la réalité»
A l’occasion de la présentation des résultats au troisième trimestre de Freeport-McMoRan, M. Adkerson a expliqué «qu’un développement important de l’approvisionnement minier est nécessaire pour atteindre les objectifs de la transition énergétique mondiale, et les prix actuels du cuivre sont insuffisants pour soutenir le développement de nouvelles mines, ce qui devrait aggraver les déficits d’approvisionnement futurs».
Il a ajouté que «qu’il y a bien de nouveaux projets qui ont été lancés il y a quatre ans ou cinq ans et retardés par la COVID. Ils entreront en service au cours des deux prochaines années. Mais au-delà de cela, l’armoire est assez vide en termes de nouveaux projets d’approvisionnement de toute importance. On n’a jamais vu dans l’histoire un déficit de cette ampleur surmonté en l’espace d’une décennie. Si nous nous en tenons à la technologie actuelle et que vous regardez les défis, les aspirations dépassent la réalité».