Les derniers mois et même les dernières semaines ont balayé toutes les illusions sur la transition énergétique. L’énergie est vraiment une affaire trop importante pour la gérer avec des slogans, des postures, des recettes simplistes et des calculs politiciens à courte vue. Les militants comme les technocrates allemands et bruxellois ont oublié un enseignement essentiel et universel. Il y a un lien direct entre la sécurité et la souveraineté énergétique et le pouvoir économique et politique. Un territoire qui ne maîtrise pas son approvisionnement et ses risques énergétiques est condamné à ne pas être maître de son destin.
L’envolée des prix de l’énergie tout comme celle des matières premières et des matériaux dits critiques, indispensables à la transition, vient ainsi de poser les limites des stratégies de transition irréalistes. On ne peut pas détruire l’ancienne économie avant d’avoir commencé à construire la nouvelle. Nous sommes aujourd’hui sous la menace d’une période durable de stagflation verte. Faute d’investissements suffisants depuis de nombreuses années, l’offre de gaz, de pétrole, de charbon, d’électricité et celle de lithium, de cuivre, de cobalt, de graphite, de nickel, de terres rares… mais aussi de blé ou de café sera insuffisante pour faire face à la demande. Nous sommes entrés durablement dans un monde de pénuries. Dans nos économies de marché développées et sophistiquées, cela ne se traduit pas en général par des queues interminables devant les stations-service et des coupures de gaz ou d’électricité mais par des prix durablement plus élevés et une ponction de fait sur le pouvoir d’achat et la croissance.
Le danger est que la transition aggrave la situation, car elle nécessite des investissements considérables pour construire de nouvelles infrastructures et de nouveaux équipements. Des réseaux électriques renforcés et intelligents, des réacteurs nucléaires de nouvelles générations, des panneaux solaires, des éoliennes marines, des véhicules électriques, des bornes de recharge, des installations de géo- thermie, des nouvelles mines pour aller chercher et moins dépendre des autres du lithium, du nickel, de l’alu- minium ou du cuivre, des installations de production, de stockage et de distribution d’hydrogène vert, des équipements industriels de captage et de stockage du CO2…
Pour faire tout cela et pouvoir s’en passer un jour, il faut des énergies fossiles, des matières premières et des matériaux critiques en grande quantité et une mobilisation des savoir- faire, des populations et de moyens financiers publics et privés.
La transition ne se fera pas si elle n’est socialement acceptable et acceptée. Elle ne peut pas faire peser les contraintes sur les populations les plus vulnérables comme aujourd’hui sur la France dite périphérique condamnée à utiliser une voiture pour vivre et à faire le plein de gazole et condamnée à voir ses paysages envahis d’éoliennes terrestres très coûteuses et peu efficaces.
Il faut enfin sortir des postures moralisatrices. Un analyste financier d’une grande banque faisait remarquer récemment que parmi les 400 clients institutionnels de son établissement, un seul acceptait encore d’investir dans le pétrole et le gaz. De la même façon, les investissements dans l’exploitation de nouveaux gisements de cuivre et d’aluminium sont déprimés par la multiplication des contraintes environnementales et sociales. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les prendre en compte, mais que si les prix de l’énergie et de ces métaux continuent à s’envoler, le remède sera pire que le mal.
Paradoxalement, la crise énergétique que nous connaissons aujourd’hui porte en elle les germes d’un redressement et d’une transition devenue légitime, car un élément de la sécurité nationale. Il faut substituer des énergies décarbonées aux carburants fossiles pour des raisons climatiques et aussi pour des raisons de souveraineté et de maîtrise de notre destin économique et politique.
E.L