En clair, comment classer les activités économiques en fonction de leurs nuisances ou bienfaits pour le climat? Comment établir une classification fiable, homogène et reconnue dans le plus grand nombre de pays? Sans cela, la finance verte n’en a que le nom. Et les enjeux pour certaines activités d’en être ou pas sont immenses.
«Aujourd’hui, il n’existe pas de système de référence pour définir un investissement dans la transition énergétique», expliquait Hadrien Hainaut, responsable du panorama des financements climat à l’I4CE, lors d’une réunion du Conseil national de l’information statistique (Cnis.fr) consacrée à ce sujet. Adopté par le Parlement européen le 18 juin et promulgué le 22 juin dernier, le Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables, dit règlement « Taxonomie », doit remédier à ce manque en donnant un cadre commun aux entreprises et aux investisseurs dans les 27 pays de l’UE.
« Ce règlement détermine les critères de classification pour avoir une vue d’ensemble aussi détaillée que possible sur les ac- tivités économiques permettant la réduction des émissions de gaz à effet de serre (climate change mitigation), et une classification sur l’adaptation au changement climatique (climate change adaptation), sans porter atteinte à quatre autres objectifs envi- ronnementaux : la protection de l’eau et des ressources de pêche ; la protection des écosystèmes et de la biodiversité, la prévention de la pollution, notamment de l’air, l’économie circulaire et la gestion des déchets », explique Charlotte Gardes, qui s’occupe de la finance durable, du reporting ESG et du risque climatique à la direction générale du Trésor.
Voitures électriques, oui, électricité nucléaire, non
Le groupe d’experts techniques (TEG) ayant préparé le règlement «Taxonomie» a publié un rapport et une annexe avec des critères d’évaluation mis à jour pour 70 activités d’atténuation du changement climatique, et 68 activités d’adaptation au changement climatique, y compris des critères pour ne pas nuire significativement aux autres objectifs environnementaux. Ces 138 activités sont réparties dans huit grands domaines: 1. la forêt; 2. l’agriculture; 3. l’industrie; 4. la fourniture d’électricité, gaz, chauffage ou climatisation, 5. l’eau, ses réseaux d’assainissement, les déchets et leurs traitements; 6. le transport et stockage; 7. l’information et les communications; 8. la construction.
Mais le diable se cache toujours dans les détails. Et la Taxonomie n’échappe surtout pas à la règle. «Par exemple, les voitures électriques sont incluses car elles n’émettent pas de CO2, mais elles requièrent de produire de l’électricité. Or si le nucléaire est exclu, cela paraît antinomique, au moins en France», remarque Gunther Capelle-Blancard, professeur et chercheur en finance à l’université Panthéon-Sorbonne, lors de la séance du CNIS sur ce thème. Certaines activités sont aussi « repêchées », en dépit de leurs nuisances écologiques, quand elles sont requises pour des activités de transition. «C’est le cas par exemple de l’activité minière pour extraire cer- tains métaux rares nécessaires à la construction des turbines des éoliennes, précise Charlotte Gardes. Cette activité minière se- rait autorisée à des seuils très exigeants pour entrer dans la Taxonomie.»
Identifier et mesurer les activités concernées
Pour aider les entreprises et les investisseurs à s’y retrouver, et à procéder à l’évaluation des qualités environnementales des activités concernées, le groupe d’experts met même des outils Excel à la disposition des utilisateurs de la Taxonomie, afin de la mettre en œuvre dans leur propre activité. Car la difficulté ne s’arrête pas à la définition des critères d’activités favorisant la transition énergétique. Encore faut-il pouvoir identifier et mesurer les activités répondant à ces critères, au sein des entreprises ou des projets concernés.
C’est tout le problème du reporting extra-financier, c’est- à-dire la mesure et la communication par les entreprises des enjeux environnementaux de leurs activités. « Même si l’in- formation extra-financière des entreprises s’est fortement développée, elle se fonde essentiellement sur des méthodologies de reporting établies par des normalisateurs privés, ayant une certaine vision du développement durable, et un degré de transparence moins élevé que celui préconisé par le cadre européen », ajoute Charlotte Gardes.
La France a normalement une longueur d’avance dans ce domaine comme dans tout ce qui est contraintes réglementaires… Des exigences de transparence extra-financière ont été introduites dès la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001. Puis elles ont été renforcées et étendues à nos voisins par la directive européenne de 2014 sur l’information extra-financière des entreprises de plus de 500 salariés, transposée en 2017. Dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe (« Green deal »), la Commission européenne a lancé la révision de cette directive, afin d’y intégrer les exigences de la Taxonomie des activités vertes.
Gilles Pouzin