Pour Jean-Marc Jancovici, il n’y a pas de transition énergétique en France

20 mars 2020

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Jean-MarcJancovici YouTube
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Pour Jean-Marc Jancovici, il n’y a pas de transition énergétique en France

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Jean-Marc Jancovici est un expert incontestable et craint de la transition énergétique. Il dénonce aujourd'hui le fait que la France n'a aucune véritable stratégie dans ce domaine si ce n'est de remplacer de l'électricité nucléaire, qui émet peu de CO2, par de l'électricité renouvelable, qui émet peu de CO2. Une imposture.

Jean-Marc Jancovici est une figure importante et dérangeante de la transition énergétique en France. Polytechnicien, Professeur à Mines Paris Tech, Fondateur et président de The Shift Project, «think tank de la décarbonation de l’économie», et membre du Haut Conseil pour le climat, son expertise et sa connaissance du sujet sont incontestables tout comme son franc parler. Dans une interview accordée à Transitions & Energies et publiée dans le numéro de l’hiver 2019, il expliquait «qu’on ne peut pas s’affranchir du réel, même par des raisonnements sophistiqués. Par exemple, si nous avons pour objectif de remplacer du nucléaire, qui émet peu de CO2, par des renouvelables qui émettent elles aussi peu de CO2, cela ne modifie pas nos émissions de gaz à effet de serre, et nous ne pouvons pas invoquer que cette action relève d’un objectif climatique».

Il vient de récidiver dans des entretiens accordés successivement à Marianne et au Point dans lesquels il souligne que la France n’a pas vraiment commencée une véritable transition énergétique et que dans ce domaine le gouvernement n’a aucune stratégie autre que la communication et l’électoralisme.

«On ne fait quasiment rien de sérieux»

«Notre président et son gouvernement ne donnent aucune preuve qu’ils disposent d’une vision structurée et cohérente sur ce sujet» explique-t-il. «A part faire des grands discours sur le «défi climatique», il n’a pas mieux compris les réels enjeux que ses prédécesseurs, et notamment que l’énergie est le sang de la société moderne.»

La France ne se préoccupe que de l’électricité, qui ne recouvre qu’un cinquième des besoins en énergie, et le fait sans réel progrès en matière d’émissions de CO2. Elle remplace de l’électricité nucléaire, qui émet très peu de CO2, par des sources renouvelables qui émettent peu de CO2. Le gain est nul.

«La réalité, c’est que remplacer le tiers du nucléaire par de l’électricité renouvelable ne nous fera rien gagner en CO2, et mobilisera des centaines de milliards d’euros que, du coup, nous n’utiliserons pas pour rénover les logements, changer les chaudières, construire des infrastructures pour vélos, électrifier une partie des transports, modifier le paysage agricole, etc. Dans ces domaines, on ne fait quasiment rien de sérieux, on balbutie, déclare Jean-Marc Jancovici. «Supprimer du nucléaire, physiquement supérieur aux énergies diffuses et non pilotables que l’on veut mettre à la place, c’est se distraire sur un objectif accessoire pendant que nous ne faisons rien sur l’objectif principal. C’est donc augmenter l’instabilité future», ajoute-t-il.

Il rappelle les chiffres de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui n’a pas vraiment pour habitude de soutenir le nucléaire: le nucléaire produit 6 grammes de CO2 par kWh électrique. Contre 10 grammes pour l’éolien, 50 grammes pour le photovoltaïque, entre 50 et 200 grammes pour les technologies de stockage nécessaires pour augmenter la part des énergies renouvelable non pilotables dans le mix électrique, 400 grammes pour une centrale à gaz moderne, 800 grammes pour une centrale à charbon moderne, 1.000 grammes pour une centrale à charbon moyenne du parc installé.

«L’imposture» du gouvernement sur le nucléaire

Jean-Marc Jancovici insiste aussi sur une donnée négligée,  celle de l’espace occupé au sol, pour lequel, «le nucléaire, grâce à sa très grande concentration énergétique, bat tous les autres modèles énergétiques. J’ai fait un rapide calcul: en utilisant du solaire, il faut environ 500 fois l’espace du nucléaire pour produire la même quantité d’électricité à la fin de l’année». Et cela ne tient même pas compte du fait qu’avec le solaire, il faut en stocker une partie, avec des pertes au moment du stockage. Il faut encore augmenter la surface de 20 et 40%. Enfin, en termes de matériaux, «le nucléaire nécessite, selon ce que l’on considère (ciment, cuivre, acier, etc), jusqu’à une centaine de fois moins de quantités par kWh produit que le solaire et l’éolien. Le cout inférieur par kWh des modes diffus (éolien, solaire) est d’une part le résultat d’un service qui n’est que partiel comparé aux modes pilotables, et d’autre part une situation nécessairement transitoire au regard des matériaux nécessaires.»

Jean-Marc Jancovici  va plus loin en dénonçant les mensonges du gouvernement. «Dans les faits, nous ne sommes pas si éloignés que cela de Donald Trump! Lui raconte des contre-vérités scientifiques sur le climat, chez nous c’est sur le nucléaire… Le gouvernement écrit «sur son site Internet, que la fermeture de cette centrale [ndlr Fessenheim] «vise à faire du Haut-Rhin un territoire de référence à l’échelle européenne en matière d’économie bas carbone». Que de fermer une source de production électrique bas carbone «contribue à l’économie bas carbone» est tout simplement un mensonge, et comme il figure sur le site du gouvernement, on peut parler de mensonge d’État. Et sur le même site du gouvernement, il y a une page pour expliquer comment débusquer les fake news! Nos amis politiques ne manquent pas d’humour…»

Ce mensonge se double d’une imposture ajoute-t-il quand le gouvernement justifie sa décision en invoquant des questions de sécurité, la centrale étant «trop vieille et située sur une zone sismique». «Un ministre est-il plus compétent que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), dont c’est le métier que d’ausculter nos installations ? Si le politique a raison (sur la vétusté et le risque sismique), alors il faut d’urgence licencier tous les gens de l’ASN pour incompétence, puisqu’ils sont incapables de correctement évaluer le risque.»

Pour conclure, Jean-Marc Jancovici s’en prend aux médias. «Si cette dernière [ndlr la presse] avait pour première règle de ne pas diffuser d’opinions qui soient en porte à faux avec les faits, et pour premier but de faire la pédagogie de ces derniers, probablement que l’imaginaire collectif ne se structurerait pas de la même manière. Pour cela il faudrait qu’elle ait la même exigence de charge de la preuve quand il s’agit d’environnement que quand il s’agit de n’importe quoi d’autre. Cela vaut pour les climatosceptiques comme pour les arguments erronés sur le nucléaire

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