La stratégie de Donald Trump consiste, dans l’optique de son affrontement avec la Chine, à renouer avec l’Arabie Saoudite, qui s’est éloignée des Etats-Unis depuis plusieurs années, et à éviter un affrontement direct avec la Russie. Dans cette logique, une dimension semble avoir échappé à bon nombre d’observateurs lors des premières négociations directes menées en Arabie Saoudite entre les Etats-Unis et la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Cette dimension, c’est évidemment celle du pétrole. Car se retrouvaient autour de la table les trois principaux producteurs de pétrole au monde, dans l’ordre les Etats-Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite, et les deux premiers exportateurs, dans l’ordre l’Arabie Saoudite et Russie.
Vladimir Poutine a même appelé il y a quelques jours à des discussions entre la Russie, les États-Unis et l’Arabie saoudite sur les marchés mondiaux de l’énergie. La Russie et l’Arabie saoudite coopèrent déjà étroitement puisqu’elles mènent le cartel élargi de l’Opep+. L’Arabie Saoudite dirige de fait l’Opep historique et ses 13 membres et la Russie les 10 pays producteurs alliés du cartel pour en faire l’Opep+.
Une promesse de campagne de Donald Trump
Donald Trump et Vladimir Poutine ont d’ailleurs parlé énergie lors de leur conversation téléphonique du 12 février, et par ailleurs Donald Trump a appelé l’Arabie saoudite à « faire baisser le prix du pétrole ». Un accord entre les trois grands du marché pétrolier est-il possible ? Il faudrait que les Saoudiens et les Russes acceptent d’aller à l’encontre de leurs intérêts économiques et financiers et obtiennent pour cela des contreparties considérables…
Rappelons que Donald Trump a annoncé dans ses promesses de campagne une baisse rapide des prix de l’énergie aux États-Unis afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages américains et de redonner de la compétitivité à l’industrie américaine. Il souhaite également augmenter les exportations américaines de pétrole et de gaz pour réduire le déficit commercial du pays, même si ces objectifs sont contradictoires. Et il propose de manier l’énergie à la fois comme une carotte et comme un bâton dans la poursuite de ses objectifs géopolitiques vis-à-vis de la Russie et de l’Arabie Saoudite, mais aussi et surtout de l’Europe.
Un marché pétrolier mondial tendu
Pour l’instant, l’administration Trump fait monter la pression sur deux pays pétroliers, le Venezuela et l’Iran. Elle a annoncé le 27 février supprimer l’autorisation donnée à Chevron d’exploiter et d’exporter le pétrole vénézuélien notamment vers les raffineries américaines. Par ailleurs, le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, a déclaré que l’administration était déterminée à renforcer les sanctions contre l’Iran, en réduisant ses exportations d’environ 1,6 million de barils par jour actuellement à 100.000 barils par jour. Des décisions, qui même si elles sont en partie contournées, auront un impact sur le marché du pétrole qui est relativement tendu.
Même l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui ne cesse depuis des années de mettre en garde contre une surabondance de pétrole, estime que l’excédent du marché mondial n’a pas dépassé 450.000 barils par jour en moyenne au cours de l’année 2024. Ainsi, retirer jusqu’à 1,5 million de barils par jour ou plus des marchés mondiaux est la meilleure recette pour voir les cours du pétrole s’envoler. On comprend mieux pourquoi l’administration Trump chercher à convaincre les grands pays producteurs d’augmenter leur production et leurs exportations.
Le potentiel de production supplémentaire sur le sol américain est très limité
Parce que les compagnies pétrolières américaines ne sont pas capables à court terme de produire plus. Le potentiel supplémentaire des gisements de pétrole de schiste se trouvant sur le sol américain est très limité. Les Etats-Unis sont bien redevenus, grâce au pétrole de schiste, le premier producteur au monde d’or noir, mais ils ne pourront pas extraire beaucoup plus de pétrole de leur sous-sol à moins d’investir massivement ce qui sur le plan économique ne fait pas beaucoup de sens avec des cours du baril faibles, autour de 70 dollars. Le prix de revient de la production de pétrole de schiste est très élevé, supérieur en moyenne à 50 dollars le baril.
La croissance de la production d’énergie fossile aux Etats-Unis depuis 2015 est surtout le fait du gaz. Dans une étude récente, la banque Standard Chartered explique que la production américaine de pétrole et de gaz est aujourd’hui d’environ 40,7 millions de barils équivalent pétrole par jour. Cette production de pétrole et de gaz a augmenté en moyenne d’environ 123.000 barils par jour, par mois, depuis 2015. Et 42% de cette augmentation provient du gaz naturel, 29% du GNL (Gaz naturel liquéfié) et seulement 29% du pétrole brut.
L’Arabie Saoudite a besoin de cours du baril élevés
Donald Trump souhaite donc fortement que les pays de l’Opep+ disposant de capacités inutilisées s’engouffrent dans la brèche et augmentent leur production. A commencer par l’Arabie saoudite. Mais est-ce vraiment dans l’intérêt de l’Arabie Saoudite ?
La monarchie dirigée par le prince héritier Mohammed ben Salman s’est lancée dans une stratégie très ambitieuse visant à diversifier l’économie du pays pour qu’elle ne dépende plus uniquement de l’extraction et des exportations de pétrole. Pour cela, il faut des investissements massifs qui, selon les projections du ministère des finances, se traduiront par un déficit budgétaire de 27 milliards de dollars en 2025. Le ministère n’a pas divulgué le prix du pétrole sur lequel il s’est basé pour établir son budget. Mais un rapide calcul fait par plusieurs experts montre que Riyad compte sur un prix moyen pour 2025 légèrement inférieur à 80 dollars le baril. L’Arabie saoudite dispose d’une grande marge de manœuvre financière pour emprunter, de sorte que le gouvernement peut se permettre de creuser le déficit si nécessaire. Néanmoins, Riyad n’a pas du tout intérêt à voir le prix du pétrole baisser par rapport à son niveau actuel d’environ 71 dollars le baril de Brent, déjà assez nettement inférieur à ses prévisions.
Cela signifie que la stratégie saoudienne actuelle est de continuer à limiter l’offre en pompant beaucoup moins que les 12 millions de barils par jour de capacité d’Aramco, la compagnie nationale. Les dirigeants saoudiens ont été marqués par la guerre des prix qu’ils ont menée contre la Russie au début de l’année 2020 et n’ont aucune envie de se retrouver dans un nouveau conflit de ce genre. Il est très difficile d’imaginer qu’ils vont accéder aux demandes de Donald Trump d’une augmentation de leur production.
La Russie fait passer la discipline du cartel Opep+ avant le reste
Pour le moment, l’Opep+ prévoit de lever progressivement les restrictions de production « volontaires » existantes. Dans le cadre de ce plan, l’Arabie saoudite augmentera sa production d’environ 55.000 barils par jour chaque mois entre avril et septembre 2026, ce qui augmentera au total sa production de 1 million de barils par jour par rapport à aujourd’hui (environ 8,9 millions de barils quotidiens). Au cours de la même période, la Russie augmentera sa propre production de 471.000 barils par jour au total et produit aujourd’hui environ 9,7 millions de barils quotidiens.
Donal Trump espère qu’un accord de paix avec l’Ukraine et l’annulation des sanctions du G7 inciteront la Russie à augmenter sa production de pétrole de 1 million de barils par jour ou plus. Mais Vladimir Poutine qui se sent en position de force ne veut la paix qu’à ses propres conditions et il est peu probable qu’elles comprennent le type d’augmentation de la production de pétrole que Donald Trump espère.
La production russe est actuellement inférieure de 1,3 million de barils par jour à son niveau record d’avant la guerre. Mais cela n’a rien à voir avec les sanctions. Ces derniers mois, la Russie a continué à exporter environ 7 millions de barils par jour de brut et de produits raffinés malgré les restrictions occidentales. Même le durcissement des sanctions américaines dans les derniers jours de l’administration de Joe Biden n’a eu que peu d’impact.
Si la Russie produit du pétrole en dessous de sa capacité ce n’est pas à cause des sanctions, mais parce qu’elle a accepté, en tant que membre du cartel Opep+, de limiter sa production afin de soutenir les prix. Tant que cet accord est en vigueur, ni la paix en Ukraine, ni l’assouplissement des sanctions, ni les exhortations de Trump ne sont susceptibles de persuader la Russie de rompre les rangs. Cela risquerait de déclencher une nouvelle guerre des prix avec l’Arabie Saoudite. En termes de revenus, il est bien plus logique pour la Russie d’exporter 7 millions de barils quotidiens à 70 dollars que 8 millions de barils à 50 dollars comme le souhaite l’administration américaine.
L’impact de la production pétrolière en pourcentage du PIB pour la Russie est plus de 10 fois plus élevé que pour les États-Unis. Et pour l’Arabie saoudite, il est plus de 20 fois plus élevé. Cela signifie que pour la Russie et l’Arabie saoudite obtenir des prix relativement élevés du pétrole exporté est une nécessité. Il n’y a aucune raison qu’ils sacrifient leurs économies pour les beaux yeux du Président des Etats-Unis…