La transition énergétique est d’abord et avant tout une transformation physique, de nouvelles infrastructures. Ce qui est souvent perdu de vue par les militants en tous genres ou ceux qui bâtissent via leurs modèles informatiques des scénarios et des stratégies imparables en quelques décennies. Les obstacles juridiques rencontrés soudain pour la construction d’une nouvelle interconnexion électrique sous-marine entre la France et l’Espagne en apportent une saisissante illustration.
Parmi les freins à la transition énergétique, l’un des plus importants provient des oppositions locales farouches et plus ou moins légitimes à la construction voire à la modernisation des équipements. Ce que les anglo-saxons appellent le NIMBY, acronyme de Not In My Backyard, (« pas dans mon jardin »). C’est un paradoxe: tout le monde ou presque est d’accord sur le principe de la construction de nouvelles infrastructures énergétiques, sur la nécessité d’avoir une énergie abondante, abordable et décarbonée, mais il ne faut pas que cela perturbe son environnement immédiat…
Un juge plus que complaisant
Le cas est ainsi fréquent de voir les partisans les plus fervents de la transition énergétique et des renouvelables, y compris des groupes écologistes, devenir soudain des opposants farouches à de nouveaux équipements (éoliennes, lignes électriques à haute tension, usines de méthanisation, parcs solaires, …) s’ils sont installés près de leur domicile. C’est une des raisons qui explique la difficulté de multiplier relativement rapidement ses installations. Elles sont pourtant indispensables à la transition énergétique. A un moment donné, il faut savoir ce que l’on veut et être un peu responsable.
Une enquête réalisée en France il y a quelques années par l’Ademe, anciennement Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie qui s’est depuis rebaptisée Agence de la transition énergétique, donnait des résultats édifiants. Les Français étaient très majoritairement (à 64%) favorables aux énergies renouvelables, mais seuls 45% étaient prêts à accepter un parc d’éoliennes proche de chez eux.
Le dernier exemple en la matière nous est donc offert par des mouvements de défense de l’environnement qui contestent des sondages effectués pour construire une interconnexion électrique sous-marine entre la France et l’Espagne et qui ont trouvé un juge plus que complaisant et d’une compétence environnementale rare, plus particulièrement dans le domaine des mammifères marins…
La préfecture maritime de l’Atlantique n’aurait pas fait son travail correctement
Saisi en référé par l’association Sea Shepherd, il a suspendu à la fin de la semaine dernière une campagne de sondages sous-marins menée par RTE (réseau de transport d’électricité) dans le Golfe de Gascogne pour y faire passer une nouvelle petite interconnexion électrique entre la France et l’Espagne. L’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bayonne met en avant des nuisances que les sonars utilisés par RTE pourraient faire subir aux mammifères marins. Le magistrat estime que les autorisations délivrées par la préfecture maritime de l’Atlantique pour les sondages sous-marins ne l’ont pas été « dans les conditions permettant d’apprécier les impacts sur la faune marine »…
Il a donc suspendu pour quatre mois les études préalables à la pose de câbles conditionnant leur reprise à plusieurs mesures dont le fait de s’assurer de l’absence de mammifères marins dans un rayon de 750 mètres. Il ordonne parallèlement à RTE de produire, sous un mois avec astreinte de 10.000 euros par jour de retard, une étude d’impact, un plan d’atténuation des effets du bruit, ainsi qu’un rapport mensuel « écrit et détaillé » sur l’effectivité des mesures ordonnées.
La nouvelle ligne doit relier, sur environ 400 kilomètres, le poste de Cubnezais à proximité de Bordeaux à celui de Gatika près de Bilbao, dont les deux-tiers en sous-marin et le reste enterré dans le sol. Le chantier est mené par RTE en France et Red Eléctrica en Espagne.
Des défenseurs de l’environnement irresponsables
Petit retour en arrière. Au début des années 2000, les deux pays tombent d’accord sur le principe d’un renforcement des liaisons électriques entre la péninsule ibérique et la France. Dans un premier temps est envisagée une liaison on ne peut plus classique, aérienne, au travers des Pyrénées. L’aérien n’est pas esthétique. Mais il a l’avantage d’être facile à mettre en place, rapide, et relativement peu cher.
Mais la balafre créée est les incontournables problématiques environnementales ont rapidement déclenché une levée de boucliers des riverains comme des associations de protection de la nature. Nulle trace de demande d’abandon du projet pourtant à l’époque, mais une revendication d’une ligne enterrée, moins disgracieuse, mais aussi beaucoup plus chère. Et ils obtiendront gain de cause. Une quinzaine d’années plus tard, le projet est abandonné et remplacé par un nouveau projet qui préserve encore mieux l’environnement en ne passant plus par les majestueuses montagnes des Pyrénées mais dans le golfe de Gascogne. S’il voit le jour…
Cette décision n’est que l’illustration de l’irresponsabilité d’un bon nombre de défenseurs de leur environnement qui rêvent sans doute d’un monde débarrassé de l’homme et de son impact. La nouvelle religion. Le problème, c’est que l’énergie et la transition énergétique sont avant tout une question d’infrastructures. Et une infrastructure a forcément un impact sur son environnement immédiat. Si limiter cet impact autant que faire se peut doit être une priorité, espérer réussir la transition sans nouvelles infrastructures est une illusion et une impasse.
Philippe Thomazo