Avec la pandémie, la demande de pétrole dans le monde s’est effondrée provoquant un contre choc pétrolier d’une rapidité et d’une ampleur sans précédent. Il a été d’autant plus violent que l’Arabie Saoudite et la Russie se sont lancés alors dans une guerre des prix pour augmenter leurs parts de marché. Les prix du baril sont tombés à moins de 20 dollars et même devenus un court instant négatif sur des contrats à terme débouclés dans la panique. Finalement, le cartel a été en quelque sorte reconstitué et un accord a été trouvé entre tous les producteurs, l’Opep et les autres, pour limiter le surplus d’offre par rapport à la demande. Les cours se sont stabilisés depuis quelques semaines entre 40 et 45 dollars le baril.
Pour donner une idée du choc, en avril la demande de pétrole dans le monde est tombée à 76 millions de barils par jour contre 102 millions en décembre 2019, une chute de 25%. L’industrie pétrolière et gazière a réagi comme elle le fait d’habitude quand elle est confrontée à une crise économique. Elle a immédiatement taillé dans les dépenses et les investissements et géré le plus étroitement les liquidités. Mais dans le passé, après les crises économiques et financières les rebonds de consommation de carburants fossiles ont toujours été forts. Cette fois, rien n’est moins sûr.
Prévisions de consommation encore en baisse
Car si avec la réouverture progressive des économies, la demande de pétrole augmente, il est difficile de savoir à quel niveau elle va se stabiliser. D’une part, parce que la reprise économique est inégale dans le monde et incertaine et la récession planétaire est d’une ampleur sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. D’autre part, car la pandémie accélère et amplifie des évolutions en cours plus profondes et plus structurelles.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient juste d’actualiser ses prévisions sur la demande mondiale de pétrole, et elle les a révisé en baisse. Cela confirme le diagnostic fait il y a quelques mois par le Directeur exécutif de l’AIE, Fatih Birol, qui considérait que 2020 pourrait être la«pire année de l’histoire du marché pétrolier».
La consommation devrait être en moyenne dans le monde de 91,1 millions de barils par jour cette année et de 97,1 millions de barils en 2021. «Les données récentes concernant les transports montrent que la reprise s’est stabilisée dans de nombreuses régions, même si, pour le moment, l’Europe est sur une tendance à la hausse», écrit l’AIE. «Pour ce qui est des carburants pour le transport routier, la demande au premier semestre de 2020 a été légèrement plus forte qu’anticipé, mais pour le second semestre nous restons prudent et la remontée du nombre de cas de Covid-19 nous amène à réviser à la baisse nos prévisions, notamment pour l’essence», ajoute l’agence. Son rapport a été publié juste au lendemain de l’annonce de pertes historiques par la plupart des grands groupes pétroliers.
Transport aérien en panne et risque de surproduction
Pour ce qui est d’une tendance à plus long terme, l’AIE estime que la pandémie change beaucoup de choses, notamment dans les transports, grands consommateurs de pétrole. Ainsi, le transport aérien a vu en juillet dans le monde son activité diminuer des deux-tiers au cours d’un mois qui est normalement l’un des plus actifs. Et si reprise d’activité il y a dans le domaine aérien, elle sera lente.
L’équilibre du marché pétrolier sera aussi difficile à trouver car les pays producteurs confrontés à des baisses importantes de recettes ont du mal à respecter les quotas qu’ils se sont eux-mêmes fixés. En juillet, l’offre était de l’ordre de 90 millions de barils par jour, l’Arabie Saoudite ayant renoncé à un surcroît de baisse de production, les Emirats arabes unis ayant dépassé leurs quotas et la production américaine de pétrole de schiste ayant tendance à redémarrer. «Les incertitudes autour de la demande liées au Covid-19 et la possibilité d’une augmentation de la production signifient que le rééquilibrage du marché pétrolier reste délicat», écrit avec diplomatie l’AIE.
La fin de l’âge du pétrole?
Mais l’évolution fondamentale est celle annoncée, souvent à tort, de la fin de l’âge de pétrole. Comme l’affirme depuis des années Michael Liebreich, le fondateur du très influent Bloomberg NEF (New energy foundation), la fin de l’âge du pétrole ne viendra sans doute pas d’une insuffisance de l’offre, le fameux «peak oil», prédit à tort à intervalles réguliers depuis des décennies, mais d’un déclin de la demande. Ce dernier sera lié notamment à une révolution dans les transports marquée par le déclin de l’automobile individuelle et le développement des véhicules électriques qu’ils soient à batteries ou alimenté, via l’hydrogène, par des piles à combustibles. On peut y ajouter également, mais avec des évolutions plus lentes, le rejet grandissant du chauffage au fioul et des matières plastiques issues de la pétrochimie.
Cela ne signifie pas que le monde pourrait se passer rapidement de pétrole, il en est très loin. Mais il en aura besoin progressivement de moins en moins. Comme le déclarait avec humour Ahmed Zaki Yamani, un ancien ministre saoudien du pétrole: «l’âge de pierre ne s’est pas terminé parce qu’ils sont manqué de pierres».
L’immédiat, le monde d’après et le futur
Dans le magazine Forbes, Deborah Byers, une spécialiste de l’énergie, explique que l’industrie pétrolière doit gérer maintenant cette tendance et qu’elle doit le faire en trois étapes: le maintenant, le monde d’après et le futur.
Le maintenant a été la réponse immédiate apportée par les groupes pétroliers à la crise. Une phase qui est aujourd’hui quasiment terminée. Elle a consisté à gérer le maintien de l’activité avec des chiffres d’affaires et des trésoreries en forte baisse. La demande étant repartie et les prix du baril étant remontés, la situation est aujourd’hui plus facile à maitriser. Mais il y a eu et il y aura encore des faillites, notamment aux Etats-Unis de producteurs de pétrole de schiste dont les coûts de revient sont souvent supérieurs à 50 dollars le barils. Plus d’une vingtaine de compagnies américaines petites et moyennes ont déposé leur bilan.
Les pétroliers ont commencé à passer du mode survie à celui de l’adaptation au monde d’après. Ils doivent durablement produire plus avec moins en faisant appel à plus de technologie et à de nouvelles façons de travailler. Tout cela s’accompagne de grandes manœuvres, de concentrations et de paris sur l’avenir. Il y a quelques semaines, l’Américain Chevron a annoncé le rachat pour 13 milliards de dollars de la compagnie pétrolière Noble Energy et Total dans le même temps a signé un accord de financement avoisinant les 15 milliards de dollars pour réaliser son grand projet gazier au Mozambique.
Concernant enfin le futur, il dépend de la façon dont le pétrole et le gaz vont s’adapter au nouveau monde de l’énergie. La pandémie et la décarbonisation des économies, plus ou moins rapide et plus ou moins efficace, poussent vers une stabilisation puis une baisse structurelle de la demande de pétrole et de gaz dans le monde. L’industrie devra s’adapter, se reconvertir, investir dans de nouvelles technologies, de nouveaux modèles. En un mot se réinventer. C’est ce qui est le plus difficile.