C’est un paradoxe difficile à comprendre. A l’heure où augmenter la production d’électricité renouvelable, avant tout solaire et éolienne, est considéré comme le meilleur moyen de faire face à la crise énergétique. Tandis que la production d’électricité éolienne a battu des records l’an dernier dans de nombreux pays dont le Royaume-Uni, la Chine et les Etats-Unis, l’industrie éolienne européenne et américaine se trouve en très mauvaise posture. Touchée par les augmentations des prix des matières premières, les problèmes de chaînes d’approvisionnement, la concurrence chinoise et un début de ralentissement des investissements.
Le numéro un mondial, le fabricant danois Vestas a annoncé une perte nette de 147 millions d’euros au troisième trimestre de 2022. Son chiffre d’affaires a lui chuté de 29% par rapport à la même période de 2021, à 3,9 milliards d’euros. Cela s’explique notamment par la baisse des livraisons en Europe du Nord et aux Etats-Unis ainsi que par divers retards liés à des difficultés de transport et d’exécution de projets.
Record d’exportations d’éoliennes chinoises
Plus significatif encore les propos il y a quelques semaines de Christian Bruch, le Directeur général de Siemens energy, à la chaîne de télévision américaine CNBC. Il affirme tout simplement que la transition énergétique va échouer si l’industrie éolienne ne surmonte pas la crise qu’elle traverse. Siemens Energy a vu sa performance économique «lourdement affectée par les difficultés de Siemens Gamesa Renewable Energy», le numéro deux Mondial des turbines d’éoliennes dont il contrôle la majorité du capital. De la même façon, General Electric (GE), quatrième fabricant mondial, a présenté un plan de restructuration de son activité dans l’éolien terrestre en Europe, qui se traduira par la suppression «d’environ 570 postes». Les activités de GE dans les renouvelables devraient avoir enregistré une perte de l’ordre de deux milliards de dollars pour l’ensemble de l’exercice 2022.
Vestas et Siemens Gamesa contrôlent à eux-deux 70% du marché des éoliennes dans le monde en-dehors de la Chine. Les fabricants chinois, Goldwind, Envision Energy, MingYang, Windey, Shangai Electric, et CSIC, sont eux respectivement les 3ème, 5ème, 6ème, 7ème, 9ème et 10ème producteurs mondiaux. Et pour le directeur général de Siemens Gamesa, Jochen Eickholt, les groupes chinois ne sont pas pour rien dans les difficultés qu’il traverse. Il expliquait, toujours à la fin de l’année dernière, que «la compétition est très féroce et dans le passé certaines entreprises ont trop souvent préféré les parts de marchés à la profitabilité». Selon les chiffres de Research and Markets, de janvier à octobre 2022, la Chine a exporté 66.400 turbines d’éoliennes dans le monde, une progression de 89% par rapport à la même période de 2021. Les principaux importateurs d’éoliennes chinoises ont été les Etats-Unis, la Belgique, la Pologne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Allemagne, le Canada et la Hongrie.
Le marché intérieur chinois est sans équivalent
Le capitalisme d’État chinois ou selon la terminologie officielle, «le socialisme avec des caractéristiques chinoises» a tout simplement changé les règles de la concurrence industrielle mondiale. Les fabricants chinois d’éoliennes adoptent une stratégie classique de l’industrie chinoise pour dominer le marché mondial, toujours la même. Il s’agit de subventionner une industrie entière, de lui permettre de développer technologies et moyens de production avec des investissements massifs presque illimités, de conquérir le marché chinois et fort de cette base de détruire ensuite la concurrence avec une production massive et des prix contre lesquels les producteurs étrangers ne peuvent lutter. Au passage, le contrôle des sources d’approvisionnement de composants et matières premières facilite les choses. Les panneaux solaires et les batteries sont de parfaits exemples de la réussite d’une telle stratégie. L’industrie éolienne chinoise peut ainsi s’appuyer sur un marché intérieur sans équivalent. En 2021, la Chine a fabriqué plus de capacités éoliennes marines que tous les autres pays réunis… au cours des cinq années précédentes.
L’éolien, c’est 10 fois plus de matériaux que les technologies conventionnelles
Et pour Christian Bruch, la crise de l’éolien n’est pas que le fait de la concurrence chinoise. «N’oubliez pas que les renouvelables comme l’éolien ont besoin, en gros, de 10 fois plus de matériaux par rapport aux technologies conventionnelles [à puissance équivalente]… Donc si vous avez des problèmes avec votre chaîne d’approvisionnement, cela vous affecte énormément et c’est ce que nous voyons…». Les fabricants d’éoliennes se retrouvent à honorer des contrats signés il y a plusieurs années, notamment avant la pandémie, avant que les coûts des matériaux, du transport et de l’énergie s’envolent. Cela se traduit par des pertes considérables, surtout quand les projets terrestres ou marins se comptent en dizaines d’éoliennes.
Et pour faire face à la compétition chinoise, les groupes européens ont pris des risques considérables en investissant des centaines de millions d’euros dans des turbines toujours plus grandes et plus puissantes. Mais leurs profits sont aujourd’hui insuffisants pour financer ces développements. Conséquences, la plupart des fabricants de turbines non chinois qui sont maintenant en compétition sur un nombre de projets plus limités et sur un nombre plus restreint de marchés tentent dans le même temps d’augmenter leurs prix, de réduire leurs gammes et de diminuer les coûts de production.