S’il était encore nécessaire de fournir une preuve de l’effondrement en cours de l’industrie automobile française, il suffirait de se pencher sur le déficit commercial de ce secteur passé inaperçu quand il a été annoncé il y a quelques jours. Il a encore grandi de près de 30% au premier semestre de cette année pour atteindre 11,3 milliards d’euros. L’industrie automobile française a été pendant des décennies fortement exportatrice avant de s’effondrer sous les coups de la désindustrialisation, de la non-compétitivité du travail en France liée notamment au niveau des charges sociales et des taxes, des erreurs stratégiques à répétition des constructeurs nationaux et du rejet idéologique de l’automobile. On peut même parler d’un travail de sape qui a démoli l’image de «la bagnole» auprès des élites politiques et culturelles et a débouché dans l’indifférence générale sur la destruction de fait de l’industrie automobile sur le sol français.
Il est d’ores et déjà trop tard pour se lamenter de l’effondrement industriel du pays. La part de l’industrie dans le PIB (Produit intérieur brut) se trouve maintenant au niveau de la Grèce, à 9%… Avec des conséquences sociales qui sont catastrophiques, la perte irréversible d’emplois qualifiés et bien rémunérés et la désertification économique des petites villes et des zones périurbaines.
Quinze années de désindustrialisation continue
La filière automobile représente aujourd’hui pas moins de 42% du déficit en biens manufacturés de la balance commerciale. Et on peut parler d’une nouvelle accélération du déclin. Le déficit commercial est passé en un an de 8,8 milliards d’euros, au premier semestre de 2022, à 11,3 milliards soit une augmentation de 28% ! Sur l’ensemble de l’année 2023, les véhicules et les équipements pour l’automobile devraient encore dépasser leur déficit commercial record de l’an dernier (-19,9 milliards). Les 19,9 milliards d’euros se décomposaient de la façon suivante, 15,6 milliards pour les véhicules et 4,3 milliards pour les équipements.
Il y a pourtant deux décennies la France avait encore sur son sol une industrie automobile performante qui dégageait un excédent de 9,4 milliards d’euros en 2000 et même de 12,3 milliards en 2004. Jusqu’en 2008, l’industrie automobile avait toujours apporté des excédents commerciaux à la France…
Et il ne faut pas se tromper. Si Renault et Stellantis affichent des performances financières satisfaisantes, c’est lié à leur présence industrielle et commerciale hors de France. La situation de l’industrie automobile en France doit être dissociée de celle des constructeurs nationaux qui n’ont eu de cesse de délocaliser leurs investissements et leurs productions. Ce qui explique pourquoi la production automobile dans l’hexagone baisse de façon continue. Cela s’explique notamment par leur positionnement en bas et milieu de gamme et le niveau de ce fait insupportable des coûts du travail en France. Le coût horaire dans l’industrie est de 10,3 euros en Roumanie où sont fabriquées les Dacia, 16,30 euros en Slovaquie où sont produites les Peugeot 208 et Citroën C3, 23,80 euros en Espagne où Renault assemble ses Captur, Austral et Espace, et Peugeot la 2008 et les Citroën C4 et C3 Aircross. En France, le coût horaire dans l’industrie est de 42,80 euros…
Il s’est fabriqué 1,38 million de véhicules l’an dernier en France métropolitaines selon les chiffres de l’OICA (Organisation internationale de la construction auto). Un niveau comparable à celui atteint en 1973, il y a 50 ans… La production totale en France était de 3,66 millions de véhicules en 2004 et s’est effondrée de 62% en vingt ans. La France ne représentait plus l’an dernier que 8,5% de la production européenne. Elle était encore le deuxième pays constructeur d’automobiles en Europe en 2011. Elle est aujourd’hui le cinquième…
Retard technologique et électrification à marches forcées
Et encore, la présence de Toyota, devenu le premier constructeur automobile sur le sol français, masque en partie la disparition accélérée des chaînes de production. Toyota est installé depuis vingt ans à Valenciennes où il produit des Yaris pour l’ensemble de l’Europe. La Yaris Cross était en 2022 la voiture la plus produite sur le sol français avec plus de 161.000 exemplaires.
Si Toyota réussit là où les constructeurs français ont échoué et renoncé, c’est notamment lié à un véritable retard technologique qu’il est difficile d’admettre. Qu’il s’agisse de l’hybride, de l’électrique et même de l’hydrogène, les constructeurs français, focalisés trop longtemps sur le diesel, ont manqué de volonté d’innover, de moyens financiers pour investir, de capacités d’anticipation et même d’ambitions par rapport à leurs concurrents japonais, coréens, américains, allemands et maintenant chinois. Où alors ils sont partis bien trop tôt et avec de mauvais choix technologiques (la location de batteries) comme Renault sur l’électrique il y a une douzaine d’années.
Et l’électrification à marches forcées en Europe d’ici 2035 des motorisations automobile ne va pas arranger les choses, au contraire. La PFA (Plateforme automobile française) redoute la perte pour la filière de plus de 30.000 emplois entre 2021 et 2025 et même 100.000 d’ici 2035. C’est même l’industrie automobile européenne dans son ensemble qui est menacée.
L’an dernier, les deux plus grands fabricants mondiaux de véhicules électriques étaient le chinois BYD et l’américain Tesla. Et ce n’est qu’un début. Derrière BYD, une floppée de jeunes constructeurs chinois sont promis à un brillant avenir comme SAIC, Geely, Li Auto, Nio, Xpeng… La Chine n’est pas devenue par hasard au premier semestre de cette année le premier exportateur mondial de voitures. L’industrie chinoise a pris le contrôle de fait de la production des batteries et de toute la filière et les fameuses gigafactories dont la construction en Europe et en France sont annoncées en fanfare sont souvent contrôlées par des industriels chinois qui de toute façon les approvisionneront en métaux critiques…