Le stockage de l’énergie a toujours été un enjeu majeur et plus particulièrement celui de l’électricité techniquement très compliqué. En fait, l’électricité ne se stocke pas, elle se transforme chimiquement (batteries, hydrogène…) ou mécaniquement de façon hydraulique. Et dans le premier cas, les capacités sont très limitées. Car il s’agit de pouvoir délivrer suffisamment d’électricité durant les pointes de consommation. Pour cela, il est nécessaire soit de disposer de coûteuses capacités de productions dites pilotables (au gaz, au charbon ou au fioul), soit d’être capable de stocker l’électricité produite lors des heures creuses (la nuit par exemple) afin de délivrer celle-ci lors des pointes.
Et il n’existe pas des dizaines de technologies possibles utilisables à grande échelle. La seule ayant fait l’objet d’un déploiement à grande échelle est le stockage hydraulique : utiliser l’excédent d’électricité pour remplir des lacs pouvant être utilisés ensuite pour produire de l’énergie à la demande en faisant tourner des turbines. C’est ce qu’on appelle des Stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). La France en exploite ainsi six aujourd’hui, pour une capacité de production instantanée de 5 000 MW (soit l’équivalent de cinq réacteurs nucléaires).
Une STEP géante devait voir le jour en Corrèze à Redenat
Retour en arrière. En 1980, EDF choisit le site du nom de Redenat, situé dans le département de la Corrèze, sur le fleuve de la Dordogne, afin de construire une STEP. Ce projet représentait alors la deuxième plus grosse STEP du pays, soit un rajout de 1 100 MW de puissance disponible en turbinage, avec un stockage potentiel de 20 GWh d’électricité.
Tout était alors dans le gigantisme : une capacité de pompage de 110 m3/seconde couplée à une capacité de turbinage de 130 m3/seconde, une conduite forcée d’une hauteur de 300 mètres… Et pour cela, EDF avait un certain nombre de cartes en main. Le site a ainsi été intégralement acquis par l’opérateur, évitant toute expropriation. La retenue d’eau aval existe déjà, c’est le lac du barrage de Chastang.
Un chantier abandonné depuis quarante ans…
Pourtant, après un début des travaux en 1981 ayant vu le début de la construction de certains tunnels techniques nécessaires à la réalisation de cette STEP, tout s’arrête un an plus tard. La raison officielle est économique. Ainsi, EDF explique que l’ampleur du chantier (estimé à environ 1 milliard d’euros d’aujourd’hui de travaux restant à réaliser) ne permet pas d’être rentabilisé en l’absence de soutien public au stockage électrique.
Une autre raison serait que Redenat servirait de moyen de pression d’EDF sur l’État dans le dossier épineux (et qui empoisonne les questions hydroélectriques depuis des décennies) des concessions publiques sur les barrages. D’autres sources expliquent que ce brutal arrêt aurait une dimension avant tout politique et aurait été décidé par le nouveau président de la République à peine élu, François Mitterrand.
Et depuis quarante ans, rien n’a changé. C’est devenu un serpent de mer qui revient très régulièrement dans le débat politique et énergétique. Nicolas Sarkozy a un temps poussé à la relance de ce projet, et EDF avait commencé en 2008 à assécher les tunnels déjà créés, préalable indispensable à la reprise du chantier. François Hollande, qui avant d’accéder à l’Élysée, a aussi été président du conseil général de la Corrèze et donc bien au fait de ce dossier, a lui aussi envisagé un temps d’achever la STEP de Redenat. Mais rien n’a été fait.
La peur des écologistes et d’une nouvelle ZAD
Encore une fois, officiellement, c’est au niveau économique que cela coince. EDF assure n’avoir ainsi pas assez de garanties financières pour s’engager dans de tels projets, malgré les avancées réelles de la loi climat et résilience de 2021 introduisant la possibilité d’appels d’offres en soutien au développement du stockage. Officieusement, le sujet est bien plus complexe. En effet, la création de la retenue d’eau d’amont nécessaire à la création de cette STEP représenterait 300 hectares à noyer. Or souvenons-nous l’émotion provoquée par la construction du barrage de Sivens qui ne prévoyait pourtant de noyer « que » 12 hectares, ou encore plus récemment la lutte contre la bassine d’irrigation dans les Deux-Sèvres qui couvrait une surface de cinq hectares.
Il est donc probable que les mêmes mouvements se définissant comme écologistes et prônant le développement des énergies renouvelables intermittentes comme l’éolien ou le photovoltaïque seraient violemment opposés à ce projet. Et ce, même si ces énergies intermittentes nécessitent en parallèle un fort effort de développement du stockage.
Un important impact environnemental
Cela étant dit, l’impact d’un tel chantier est réel. Impact environnemental, en interrompant la continuité écologique du cours d’eau et en détruisant des prairies humides. Impact agricole, en supprimant des terres exploitées jusque-là pour l’élevage. Impact économique, car le fonctionnement de la STEP entraîne un marnage (fluctuation du niveau) au rythme des pompages et turbinages de plus de trois mètres l’été, et jusqu’à 20 mètres l’hiver, empêchant de facto tout usage touristique du site créé.
Tous ces désagréments existent, et il ne s’agit pas de les nier. Cependant, ils sont maîtrisables et peuvent être limités par des mesures de compensation. Et, comme souvent, la question doit être de peser le rapport bénéfices/risques d’un tel projet. Ainsi, la perte de quelques dizaines d’hectares agricoles peut être raisonnablement relativisée face au risque que fait peser sur l’agriculture le réchauffement climatique, et, de facto, le besoin de continuer à décarboner notre production électrique comme le permettrait la STEP de Redenat en effaçant certains recours à des centrales thermiques lors des pointes de consommation.
Ce grand projet oublié ne demande ainsi qu’à revivre. Mais pour cela, il faudra à la fois lever un certain nombre d’obstacles juridiques et économiques, mais surtout, faire preuve de courage politique pour affronter les mouvements d’opposition. Nous n’en prenons pas le chemin.