L’invasion russe en Ukraine et les tensions internationales qui en découlent nous rappellent qu’un quart de l’énergie mondiale est assurée par la combustion du gaz naturel. Une part qui reste à peu près constante dans les projections mondiales à l’échéance 2040, même pour des scénarios de transition énergétique optimistes.
Le gaz est d’ailleurs considéré comme une énergie de transition indispensable pour pallier l’intermittence du renouvelable, même si le contexte international actuel met en évidence les besoins de diversification d’approvisionnement en gaz naturel et la réduction de la consommation (-30 % en 2030). En effet, le gaz est une énergie fossile dont l’Europe veut se débarrasser pour atteindre la fin des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050 dans le cadre du «pacte vert pour l’Europe».
Cet objectif de réduction se trouve néanmoins confronté à la réalité du marché. D’une part, par sa forte consommation: en 2019, l’Europe a consommé 123 Gigajoules d’énergie par habitant, alors que la moyenne mondiale est de 75 Gigajoules par habitant. D’autre part, l’Europe est un acteur mineur en termes de production d’énergie fossile (1,7 % des réserves mondiales).
Importations massives de gaz
La situation de l’UE s’applique également à la France. La production de gaz en France (gaz de mine et biogaz) était de 2,4 TWh PCS (milliards de kWh en pouvoir calorifique supérieur) en 2020, ce qui ne représente qu’environ 1 % de sa consommation. La majeure partie du gaz consommé par la France est donc importé, et provient de Norvège (36%), de Russie (17%), d’Algérie (8%), du reste de l’UE (8%), du Nigeria (7%), du Qatar (2%) mais également de sources dont l’état français ne précise pas la provenance (22%).
Une situation qui ne va pas s’arranger. La France a en effet adopté en 2017 une loi mettant fin à la recherche et à la production de pétrole et de gaz d’ici 2040… sans pour autant interdire sa consommation.
La France se retrouve dès lors en pleine contradiction. Elle s’interdit depuis 2017 de produire des gaz de schistes, mais est devenue la première destination mondiale du gaz naturel liquéfié (ou GNL) américain.
Cette contradiction se retrouve aussi dans les mouvements associatifs, qui s’opposent fortement aux projets de production de gaz sur le territoire, mais sont très discrets sur nos importations. Ainsi, en Lorraine, un projet d’exploitation de gaz de charbon suscite la controverse, alors que le pipeline acheminant le gaz russe n’alimente pas d’oppositions. Ce comportement s’inscrit dans le réflexe NIMBY («not in my backyard», ou «pas dans mon arrière-cour»), prédominant en Europe à l’échelle locale comme nationale.
Un impact carbone qui explose
Or, ces importations ont un coût environnemental et un bilan carbone loin d’être négligeables.
En effet, entre les phases exploratoires et de mises en production et l’utilisation finale, un certain nombre d’opérations viennent alimenter le budget carbone de la filière gazière. Ainsi, avant sa livraison au consommateur, le gaz subit des traitements pour le purifier, le pressuriser et le transporter (déshydratation, élimination des gaz pénalisants, traitement des résidus, pompage, compression, transport, liquéfaction…). Dans certains cas, viennent s’ajouter des fuites de gaz liées à des défaillances techniques et des manques de surveillance des installations. En résumé, plus un gaz est produit loin du consommateur, plus son empreinte CO₂ sera élevée.
Le calcul montre que pour une consommation française, un gaz hollandais conventionnel présente un bilan carbone 13 fois moins élevé qu’un gaz liquéfié provenant du Qatar, et 15 fois moins élevé qu’un gaz russe acheminé sur une très longue distance. Comme pour le secteur alimentaire, le choix du locavorisme s’impose donc.
Face à ce constat et à la crise ukrainienne qui rebat les cartes, face aussi au pragmatisme que nous impose la dépendance européenne aux énergies fossiles, les opportunités de production nationale de gaz doivent être considérées en imposant des technologies de surveillance et de traitement du CO2 émis. Trop vite oubliés, ce sont les objectifs que s’était fixée l’Europe à l’horizon 2020, à savoir un marché énergétique transfrontalier, une plus grande indépendance des régulateurs nationaux et une compétitivité accrue en faveur d’un marché de l’énergie intracommunautaire!
Le gaz de charbon lorrain: un potentiel non négligeable
C’est dans cette optique que l’Université de Lorraine, le CNRS et La Française de l’Énergie se sont associés au sein du projet REGALOR. Ce projet vise à quantifier la ressource en gaz de charbon du bassin carbonifère lorrain, et à développer des technologies de surveillance, de récupération et de valorisation du méthane, tout en réduisant l’impact carbone en piégeant le CO2 émis. Cela doublé d’une absence de recours à la fracturation hydraulique, et à la production d’un méthane quasiment pur (97%).
Les enjeux de REGALOR prennent tout leur sens dans le cadre de l’indépendance énergétique française. La ressource gazière en Lorraine est ainsi estimée comme étant équivalente à 370 milliards de m³, ce qui correspond à 8 ans de consommation nationale. Couplé à une réduction des émissions de CO2, ce gaz lorrain aurait de plus un bilan carbone bien inférieur à celui d’un gaz importé.
Oui, les pays européens, dont la France, ont des ressources pour contribuer à une indépendance énergétique à faible impact carbone. Cependant, la réorientation actuelle du marché gazier continue de maintenir notre dépendance extraeuropéenne, avec un bilan carbone encore plus défavorable.
Jacques Pironon Directeur de recherche au CNRS, Université de Lorraine
Philippe de Donato Directeur de recherche au CNRS, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.