<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> De l’hydrogène vert, mais pour quel usage?

5 octobre 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Pile combustible hydrogène HDF
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De l’hydrogène vert, mais pour quel usage?

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Le gouvernement, fraîchement converti à l’hydrogène vert, fabriqué sans émissions de gaz à effet de serre, veut éviter que la France rate cette révolution énergétique après avoir échoué dans le photovoltaïque. Il va falloir faire vite. Article paru dans le numéro 6 du magazine Transitions & Energies.

Après le faux départ de 2018 avec le plan de Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, le gouvernement met l’hydrogène au menu du plan France Relance doté de 100 milliards d’euros sur deux ans. Ce sont 2 milliards d’euros qui seront affectés à la filière française de l’hydrogène vert sur 2021 et 2022 auxquels s‘ajouteront 5 milliards d’euros d’ici 2030. Soit 7 milliards d’euros sur dix ans.

Quel est l’enjeu? Quels sont les objectifs? Le plan est-il suffisant?

L’enjeu est clairement d’éviter que la France, après celui du solaire, ne rate le coche de l’hydrogène. La perspective n’est pas anecdotique. Il s’agit de remplacer progressivement le pé- trole et le gaz par une ressource qui n’émet pas de CO2. En conciliant cet objectif avec la construction d’une industrie nationale créatrice d’emplois. C’est-à-dire éviter l‘échec du solaire avec des importations massives de panneaux photo- voltaïques chinois qui ont déséquilibré la balance commerciale et conduit à ralentir très fortement le développement du solaire en France. Ce dernier ne dépasse guère aujourd’hui les 2% de la consommation française d’électricité.

Le spectre du solaire explique l’urgence du plan hydro- gène actuel. D’où l’empressement du gouvernement qui a annoncé, le 8 septembre, sa volonté de dépenser, d’ici 2023, près de la moitié (3,4 milliards d’euros) des 7 milliards d’euros pré- vus d’ici 2030. Il s’agit, en particulier, de mettre en place des mécanismes de financement pour combler le surcoût engendré par le passage de l’hydrogène gris à l’hydrogène vert.

Aujourd‘hui, environ 96% de l’hydrogène produit en France (soit 1 million de tonnes par an sur les 75 millions de tonnes de la production mondiale) est obtenu par le procédé de vaporeformage des hydrocarbures. Or, cette méthode peu coûteuse (1,5 euro/kg) induit la production de 10 tonnes de CO2 pour obtenir une tonne d’hydrogène. Pour passer au vert, c‘est-à-dire pour éviter toute émission de CO2, il faut adopter l‘électrolyse de l’eau qui revient à environ 6 euros/kg. Pour rendre l’hydrogène vert compétitif, le gouvernement va donc le subventionner pour faire baisser son prix. Il pourrait aussi jouer sur la taxe carbone. Certains experts estiment que son doublement, c’est-à-dire le passage de 45 euros par tonne aujourd‘hui à 100 euros permettrait de rendre compétitif l‘hydrogène vert, ce qui est toutefois contesté par l’Ademe.

Pas une source d’énergie, un «vecteur d’énergie»

Les subventions de l’Etat pour passer du gris au vert supposent que la France produise plus d‘hydrogène en développant son utilisation dans le transport (train, bus, camions, voiture individuelle, avions, navires), le chauffage et l’industrie. Et cela n’est pas aussi simple qu’il y paraît à première vue. En effet, l’hydrogène n’est pas une source d’énergie comme le pétrole, le gaz, le charbon ou le nucléaire. Il s‘agit en fait d’un « vecteur d’énergie ». Cela signifie que l’hydrogène sert à transporter de l’électricité entre une source et une utilisation. Pour cela, il faut donc d’abord disposer d’une source. Et cette source doit être constituée par un excédent d’électricité. Il serait en effet ab- surde de convertir simplement du courant en hydrogène car cela ne ferait que réduire le rendement de l’énergie primaire utilisée.

Prenons l’exemple de l‘énergie solaire. Les panneaux photovoltaïques produisent de l’électricité en captant l’énergie du soleil. Ce courant électrique est, aujourd‘hui, directement réinjecté dans le réseau national. Lorsqu’il est utilisé pour produire de l’hydrogène, les pertes sont importantes. L’électrolyse de l’eau, la compression pour le stockage dans un réservoir et la reconversion en électricité dans une pile à combustible conduisent à un rendement final de 20 à 30%. Ce qui peut paraître peu. En fait, un moteur à essence ne dépasse pas, à lui seul, un rendement de 36% qui tombe à 15% en ville. Néanmoins, il reste absurde d’utiliser de l’électricité que l’on peut exploiter directement pour produire de l’hydrogène.

Utiliser de l’électricité en excédent, des renouvelables et nucléaire

En revanche, il existe des sources d’électricité pour lesquelles le rendement ne doit pas être pris en compte de la même façon. D’abord les excédents provenant des énergies renouvelables, solaire et éolien. Si l’on stigmatise souvent leur caractère intermittent, elles ont également le «défaut» d’une surproduction, ponctuelle lorsque le vent ou l’ensoleillement sont forts à un moment de faible demande. Dans ce cas, la surproduction, perdue aujourd’hui, peut être transformée en hydrogène et stockée dans des réservoirs afin d’être utilisée plus tard et ailleurs.

Ensuite, le nucléaire. Aujourd‘hui, les centrales modulent leur puissance pour adapter leur production à la fois aux variations de la demande et… à l’afflux de l’électricité provenant du solaire et de l’éolien. Mais ce « suivi de charge » est une contrainte négative pour EDF dont les centrales fonctionnent mieux à régime constant. Ainsi, le nucléaire dispose d‘une marge importante de production inutilisée aujourd’hui et qui pourrait servir à fabriquer de l’hydrogène par électrolyse à l’intérieur même des centrales.

Enfin, la troisième solution pour disposer d’une source d’électricité adaptée à la production d‘hydrogène vert consiste à augmenter les capacités en énergies renouvelables au-delà des besoins de la demande immédiate. Avec plus de solaire et plus d’éolien. Et, peut-être, plus de nucléaire malgré l’opposition des écologistes. On parle de petits réacteurs modulaires (SMR) de 10 à 300 MW qui pourraient fonctionner à proximité des lieux de consommation de l’hydrogène. Là encore, cette source d’électricité supplémentaire serait dédiée au rem- placement du pétrole dans les transports, le chauffage et l’industrie.

De grandes différences entre l’Allemagne et la France

Face à ces multiples contraintes, la France et l’Allemagne affichent de grandes différences. Outre-Rhin, les énergies renouvelables ont fourni, en 2019, 43% de la demande d’électricité, soit 22% pour l’éolien terrestre et en mer, 8% pour le solaire, 8% pour la biomasse et 3% pour l’hydroélectricité. En France, les énergies renouvelables ont couvert 23% de la consommation d’électricité en 2019, dont 7,2% d’éolien et 2,5% de solaire, 11,7% d’hydroélectricité et 1,6% de bioénergies.

Ainsi, les énergies intermittentes, éoliennes et solaires, représentent 30% de la consommation d’électricité en Allemagne et 9,7% en France. Ce constat permet d’évaluer les ressources disponibles pour produire de l’hydrogène dans ces deux pays, sachant que la part de l’électricité excédentaire produite par les sources intermittentes ne représente qu’une partie de ces chiffres. Néanmoins, sa croissance est proportionnelle à la production. C’est-à-dire que plus les éoliennes et les panneaux solaires produisent d’électricité, plus la part excédentaire augmente. Même si l’ensoleillement joue un rôle important dans l’équation. De 3 kWh/m2 en Allemagne à 4 kWh/m2 en moyenne pour la France.

Ainsi, force est de constater que le potentiel français en matière de production d’hydrogène grâce aux excédents des éoliennes et des panneaux solaires est extrêmement limité. Pas de quoi commencer à remplacer le pétrole… D’où l’importance du recours aux centrales nucléaires, seules à même de fournir, très rapidement et sans investissements supplémentaires, de l’électricité excédentaire.

Est-il déjà trop tard?

Les différences sont telles, entre la France et l’Allemagne, qu’elles pourraient jouer en faveur d’une complémentarité. Cela explique peut-être l’espoir ouvertement exprimé par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, d’un «projet commun franco-allemand». Il s’est rendu à Berlin le 11 septembre pour en discuter. Les 7 milliards du plan français ajoutés aux 9 milliards du plan allemand annoncé en juin font 16 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable.

Reste à mieux cerner les intérêts allemands dans ce rapprochement. L’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustibles (Afhypac) a publié sur son site l’historique des dépenses fédérales depuis… 1974. Elles ont atteint environ 200 millions d’euros sur la période 1974-2003. En 2007, le programme national d’innovation hydrogène et piles à combustibles (NIP) est doté de 500 millions d’euros de soutien public. Ainsi, sur la période 2007-2016, le budget fédéral atteint 1,4 milliard d’euros. Il permet de d’installer plus de 1 000 cogénérateurs résidentiels à pile à combustible et de faire passer le nombre de stations-service hydrogène de 15 en 2013 à 100 en 2017. En France, il existe aujourd’hui 32 stations-service hydrogène ouvertes, selon Vig’Hy, l’observatoire de l’hydrogène.

Cette antériorité a favorisé le développement des entre- prises allemandes de l’hydrogène tout comme la recherche et le développement. Ainsi, Daimler et Siemens trônent en tête en Allemagne qui a obtenu 300 brevets sur les piles à combustibles en 2011 selon l’Ademe, contre 70 pour la France. La concurrence internationale est rude : plus de 1000 brevets pour le Japon en 2011, 800 pour les États-Unis, 300 pour la Corée du Sud…

Toute la question, pour la France, est de savoir s’il n’est pas trop tard. D’où l’importance de frapper fort et vite. Prenons l’exemple du train à hydrogène,
une application qui fait l’unanimité. Alsthom a ainsi annoncé
la commande de 41 trains à
hydrogène Coradia iLint par
l’Allemagne. Les tests ont été
réussis en mars 2020. Un inves
tissement d’un million de livres
sterling a été annoncé en juillet
pour le développement du train
à hydrogène Breeze en Angle-
terre. Pourtant, le 7 septembre,
Alsthom a reconnu que le projet
de train à hydrogène avec la
SNCF avait pris un an de re-
tard, avec des prototypes prévus pour 2023 et des rames de série pour 2025 alors qu’ils circulent en Allemagne depuis deux ans…

Dans ce contexte, il faut noter le caractère stimulant de l’objectif concret que se fixe le gouvernement : une capacité de production de 6,5 GW d’hydrogène par électrolyse en 2030. Cela représente environ 10% de la puissance installée du parc nucléaire français. Pour y parvenir sans ouvrir la porte à des importations massives, il est impératif que l’industrie française de l’hydrogène, avec des entreprises telles que Faurecia, McPhy ou Symbio, explose. L’univers de l’hydrogène promet de ne pas rester à l’échelle de ces PME, si brillantes soient-elles. Des acteurs comme Air Liquide, EDF ou Total devraient jouer un rôle moteur. L’hydrogène concentre ainsi deux des défis majeurs que le gouvernement doit relever : amorcer une véritable transition énergétique en remplaçant le pétrole et le gaz tout en réindustrialisant la France.

Michel Alberganti

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