<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’hydrogène peut-il remplacer le pétrole?

30 avril 2020

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L’hydrogène peut-il remplacer le pétrole?

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Remplacer les énergies fossiles par de l’électricité et de l’hydrogène est une utopie à prendre au sérieux. Article publié dans le N°3 de Transitions & Energies.

101. Comme un code binaire de l’univers, l’hydrogène se décrit par 1 proton, 0 neutron et 1 électron. Il n’existe pas d’élément plus simple. On le trouve en haut et à gauche de la classification périodique des éléments où il trône avec son numéro atomique de 1. À l’état gazeux, la molécule d’hydrogène (dihydrogène) comporte deux atomes (H2). C’est elle que l’on appelle couramment « hydrogène ». Principal constituant du soleil, l’hydrogène produit l’énergie de l’étoile par fusion thermonucléaire, celle-là même que l’on tente de reproduire avec le projet ITER, à Cadarache, et qui a servi à fabriquer la bombe H en 1952. Mais l’hydrogène flotte également dans les espaces intergalactiques et constitue le composant majeur des étoiles et des planètes géantes gazeuses. À lui seul, il représente 75 % de la masse de l’univers et 92 % du nombre de ses atomes.

PARTOUT ET NULLE PART. Sur la terre, l’hydrogène est présent dans les composants les plus vitaux : associé à l’oxygène dans l’eau (H2O) et au carbone dans la chimie organique. Ainsi, 63 % du nombre des atomes du corps humain et 10 % de sa masse sont constitués par de l’hydrogène. Baptisé par Antoine Lavoisier en 1783 pour signifier qu’il « engendre l’eau », il s’agit donc d’un élément aussi essentiel pour nous que le carbone. Mais si l’hydrogène est partout, il est rarement seul en raison de sa forte propension à s’associer avec l’oxygène et le carbone, par exemple dans les hydrocarbures (méthane (CH4), propane (C3H8), butane (C4H10)… Or, certaines utilisations dans l’industrie chimique (textile, verre, électronique, métallurgie, carburant des fusées…) nécessitent d’utiliser de l’hydrogène pur. Il en va de même pour la production d’électricité grâce aux piles à combustible. Dans ce cas, l’hydrogène sert de « vecteur d’énergie ». C’est-à-dire qu’il assure la fonction de stockage intermédiaire de l’électricité, en remplacement des batteries dont on connaît les limites (poids, délai de recharge, pollution…).

LE FABRIQUER OU LE RÉCUPÉRER. Pour obtenir de l’hydrogène pur, deux solutions. Soit le séparer de l’oxygène ou du carbone, c’est-à-dire le fabriquer. Soit le capter à partir de sources d’hydrogène dit naturel puisque produit par la terre et, dans ce cas, l’utiliser comme source primaire d’énergie.

Aujourd’hui, c’est la première voie qui est exclusivement exploitée. Pour des raisons de coût énergétique, l’hydrogène est obtenu à 95 % à partir d’hydrocarbures, principalement du méthane, par l’opération dite de réformage, en faisant réagir ce dernier avec de l’eau à des températures de 700 à 1 000 °C en présence de catalyseurs. On obtient ainsi de l’hydrogène (H2) et du dioxyde de carbone (CO2). Ce qui est loin d’être satisfaisant pour lutter contre le réchauffement climatique. En effet, la production d’une tonne d’hydrogène à partir du méthane génère 11 tonnes de CO2 qui sont, la plupart du temps faute de captation, rejetées dans l’atmosphère.

La production annuelle mondiale actuelle d’hydrogène, estimée à 70 millions de tonnes par an par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), provoque ainsi l’émission de 830 millions de tonnes de CO2, soit les rejets annuels cumulés de la Grande-Bretagne et de l’Indonésie. Pas loin du double des émissions de la France (445 millions de tonnes en 2018).

Pour éviter le piège du CO2, il faut se tourner vers l’électrolyse de l’eau qui ne représente aujourd’hui que 4 % environ de la production mondiale d’hydrogène. Le processus fait appel à l’électricité qui sépare l’hydrogène de l’oxygène, ce qui consomme beaucoup d’eau et beaucoup d’électricité. D’où un coût qui atteint entre le double et le triple de celui du réformage du méthane, en fonction du prix du kilowatt électrique local. De plus, il faut neuf litres d’eau pour produire un kilo d’hydrogène. Pour obtenir par électrolyse les 70 millions de tonnes produites aujourd’hui, il faudrait 617 millions de m3 d’eau (deux fois plus que ce que consomme le réformage du méthane) et 3 600 terawatt-heures, soit plus que la production électrique annuelle de l’Europe… Or, ces 70 millions de tonnes ne représentent que les applications industrielles actuelles de l’hydrogène. L’utiliser pour alimenter des moteurs de voiture via les piles à combustible ou des systèmes de chauffage d’immeuble ferait exploser ce chiffre. Et encore faut-il, pour préserver le climat, que cette électricité ne soit pas produite avec du pétrole ou du charbon. La bonne nouvelle, c’est que les énergies vertes, comme le solaire ou l’éolien, peuvent servir à produire l’électricité nécessaire à l’électrolyse. En Corse, les plates-formes Myrte (2012) et Paglia Orba (2014), réalisées par l’université de Corse et le CNRS, explorent la production d’hydrogène par hydrolyse pour stocker les excédents de l’énergie solaire collectée par des panneaux photovoltaïques. L’hydrogène, via une pile à combustible, produit de l’électricité qui est injectée dans le réseau. Air Liquide a annoncé, début 2019, la construction du plus important système d’électrolyse au monde (20 MW) dans son usine du Canada (Becancour). L’équipement augmentera de 50 % la capacité de production d’hydrogène du site en évitant l’émission de 27 000 tonnes de CO2 par an. Pas de quoi, pour autant, bouleverser le marché mondial de la production d’hydrogène. Mais il s’agit d’un pas significatif vers l’électrolyse. 

DES SOURCES NATURELLES. Comme on le voit, fabriquer de l’hydrogène n’est pas simple. D’où l’espoir de récupérer celui qui s’échappe naturellement de la Terre. Contrairement au pétrole piégé dans la roche de la croûte terrestre, l’hydrogène s’échappe grâce à sa légèreté et à la faible taille de sa molécule. D’où vient-il ? Les scientifiques cherchent encore.

L’une des hypothèses avancées par les géologues mise sur la réduction de l’eau par le fer présent dans la croûte terrestre. Nul doute, néanmoins, que de l’hydrogène naturel est bien produit par la terre. Reste à le récupérer… Difficile lorsqu’il s’échappe du fond des océans, mais envisageable quand il émane de la croûte continentale. Ce phénomène apparaît très ancien et se manifeste par des flammes jaillissant du sol.

Dans l’Antiquité, il serait à l’origine de la flamme des Jeux olympiques qui contiendrait 12 % d’hydrogène. Sur l’île de Luzon, aux Philippines, des émanations de gaz composé à 60 % d’hydrogène brûlent en permanence. D’autres sources d’hydrogène naturel ont été découvertes en Russie, aux États- Unis et au Canada. Au Mali, à 60 km de Bamako, un forage réalisé en 1987 pour trouver de l’eau est tombé, à 107 mètres de profondeur, sur une poche d’hydrogène pur à 98 %. Cette réserve est aujourd’hui estimée à 1,5 milliard de m3. Et elle semble renouvelable !

Contrairement au pétrole et au gaz naturel issus de la décomposition de matières organiques accumulées entre 20 et 350 millions d’années et qui ne se renouvellent pas, l’hydrogène naturel serait produit de façon continue par la terre. Sa très faible masse ne permet pas à la gravité de le retenir dans l’atmosphère. Il poursuit donc sa course dans l’espace.

On trouve la trace de ce passage fugace dans la composition de l’atmosphère où il ne représente que 0,55 partie par million (ppm) en volume de l’ensemble des gaz qui la compose (78 % d’azote, 21 % d’oxygène, 0,1 à 4 % d’eau). Malgré les études récentes, en particulier en Russie, il reste aujourd’hui impossible d’évaluer les ressources en hydrogène naturel réellement exploitables.

Parcours et usages de l'hydrogène

Parcours et usages de l’hydrogène

UN MILLIARD DE TONNES D’HYDROGÈNE POUR REMPLACER TOUT LE PÉTROLE. Le réformage du méthane émet trop de CO2. L’hydrolyse consomme beaucoup d’électricité et d’eau. L’hydrogène naturel demeure largement une inconnue… L’avènement de « l’économie hydrogène » prônée par Jeremy Rifkin dans son livre publié en 2002 semble compromis à court terme. Pourtant, l’économiste américain n’en démord pas. Dans son dernier ouvrage, Le New Deal vert mondial, publié le 16 octobre 2019, il affirme que la civilisation fondée sur les énergies fossiles va s’effondrer… d’ici 2028. Le déclencheur principal de cette transition serait la forte baisse du coût des énergies vertes (solaire et éolien) devenu, selon lui, inférieur à celui du nucléaire, du pétrole et même du gaz naturel. Un tel phénomène conduira, selon lui, au remplacement de toutes les énergies fossiles par un recours à l’électricité et à l’hydrogène produit par électrolyse.

Le défi est considérable. En 2018, la consommation mondiale de pétrole a atteint 4,66 milliards de tonnes. Le secteur des transports utilise environ 60 % de ce chiffre, soit 2,8 milliards de tonnes. Étant donné qu’un kilo d’hydrogène contient autant d’énergie que 3 kilos de pétrole, il faudrait environ 1 milliard de tonnes d’hydrogène pour remplacer tout le pétrole utilisé dans les transports. Soit 14 fois plus que la production annuelle mondiale actuelle. Difficile, mais pas impossible… D’autant qu’une part du transport pourrait être assurée par de l’électricité sur batterie.

Dans tous les cas, il apparaît que c’est bien cette électricité qui jouera un rôle déterminant, soit pour recharger les batteries, soit pour assurer l’hydrolyse de l’eau. À moins qu’une partie de ce milliard de tonnes d’hydrogène ne soit fournie par les gisements naturels. Beaucoup d’inconnues, en somme. Mais qui aurait prédit, en 1919, que la production annuelle de pétrole d’alors pourrait être multipliée par 75 vers l’an 2000 ? Et comment ne pas être tenté par une énergie qui, à partir de l’eau, ne rejette que de l’eau ?

Michel Alberganti

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