Ceux qui suivent attentivement les derniers développements de la science du climat ont été stupéfaits par les gros titres de la semaine dernière proclamant que « Le Gulf Stream pourrait s’effondrer dès 2025, selon une étude » à la suite d’une publication récente dans Nature Communications. « Soyez très inquiets: L’effondrement du Gulf Stream pourrait provoquer un chaos mondial d’ici 2025 », annonçait le New York Post. Un système crucial de courants océaniques se dirige vers un effondrement qui « affecterait chaque personne sur la planète », affirmait CNN aux États-Unis tout comme CTV News au Canada. On ne peut qu’imaginer comment les personnes déjà affectées par l’angoisse climatique ont intériorisé ces nouvelles apocalyptiques tandis que des records de température étaient battus dans le monde entier.
Cette rhétorique alarmiste est un exemple typique de la manière dont il ne faut pas communiquer sur la science du climat. Ces titres ne contribuent en rien à sensibiliser le public, et encore moins à influencer les politiques publiques en faveur des solutions climatiques.
Nous voyons le monde tel que nous le décrivons
Il est bien connu que l’angoisse liée au climat est alimentée par les messages des médias sur la crise climatique imminente. Ces messages poussent de nombreuses personnes à se renfermer sur elles-mêmes et à baisser les bras, persuadées que nous sommes tous condamnés et que personne ne peut rien y faire. La présentation alarmiste d’une catastrophe imminente par les médias est devenue la quintessence de l’angoisse climatique individuelle et, lorsqu’elle est amplifiée par des messages sensationnels, elle apparaît rapidement comme un facteur dominant de l’esprit du temps de notre époque, l’Anthropocène.
Ce n’est pas la première fois que de tels titres apparaissent. En 1998, le mensuel Atlantic Monthly publiait un article sonnant l’alarme sur le fait que le « réchauffement climatique pourrait conduire, paradoxalement, à un refroidissement drastique – une catastrophe qui pourrait menacer la survie de la civilisation ». En 2002, des éditoriaux du New York Times et du magazine Discover prédisaient un effondrement prochain de la formation des courants profonds dans l’Atlantique Nord qui conduirait à une prochaine période glaciaire.
S’appuyant sur les affirmations infondées de ces articles, la BBC Horizon diffusaient en 2003 un documentaire intitulé The Big Chill (Le grand froid) et, en 2004, le magazine Fortune publiait « The Pentagon’s Weather Nightmare » (Le cauchemar météorologique du Pentagone), reprenant la thèse des articles précédents. Y voyant l’opportunité d’un film catastrophe à succès, Hollywood s’était empressé de réaliser The Day After Tomorrow (Le jour d’après), un film dans lequel toutes les lois connues de la thermodynamique sont violées de manière créative.
Les courants ne s’effondreront pas (de sitôt)
S’il est relativement facile de démontrer qu’il est impossible que le réchauffement climatique provoque une ère glaciaire, cela n’a pas empêché certains de promouvoir cette fausse idée. La dernière série de titres alarmistes n’a peut-être pas mis l’accent sur l’imminence d’une ère glaciaire, mais elle laisse entendre que la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique pourrait s’effondrer d’ici à 2025. Il s’agit là d’une affirmation au mieux scandaleuse, au pire totalement irresponsable.
Diagramme du flux de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique. R. Curry, Woods Hole Oceanographic Institution/Science/USGCRP, CC BY
Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) évalue depuis des décennies la probabilité d’un arrêt de la formation des courants profonds dans l’Atlantique Nord. En fait, j’ai fait partie de l’équipe de rédaction du quatrième rapport d’évaluation de 2007, dans lequel nous avons conclu: « qu’il est très probable que la circulation méridienne de retournement (MOC) de l’océan Atlantique ralentisse au cours du XXIe siècle. Il est très peu probable que la MOC subisse une transition abrupte de grande ampleur au cours du XXIe siècle. »
Des déclarations presque identiques se trouvent dans le 5e rapport d’évaluation de 2013 et dans le 6e rapport d’évaluation en 2021. D’autres évaluations, notamment le rapport de l’Académie nationale des sciences intitulé Abrupt Impacts of Climate Change: Anticipating Surprises (Impacts soudains du changement climatique: Anticiper les surprises), publié en 2013, ont également abouti à des conclusions similaires.
Le 6e rapport d’évaluation du Giec va même plus loin en concluant« qu’il n’y a tout simplement pas de preuves résultant d’observations d’une évolution de la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC), sur la base de l’enregistrement décennal de l’AMOC complète et des enregistrements plus longs des composantes individuelles de l’AMOC ».
Comprendre et soutenir l’optimisme climatique
Hannah Ritchie, rédactrice adjointe à Our World in Data et chercheuse à l’Oxford Martin School, a récemment écrit un article pour Vox dans lequel elle propose un cadre pour décrire la façon dont les gens voient le monde et leur capacité à faciliter le changement. Le cadre de Ritchie regroupe les gens en quatre catégories générales basées sur des combinaisons entre ceux qui sont optimistes et ceux qui sont pessimistes quant à l’avenir, ainsi que ceux qui croient et ceux qui ne croient pas que nous avons le pouvoir de façonner l’avenir en fonction des décisions et des actions d’aujourd’hui.
La faiblesse de la communication sur le climat se trouve dans l’optimisme et dans l’idée que le changement est possible. (Andrew Weaver), Auteur fourni
Mme Ritchie montre de façon convaincante qu’avoir un plus grand nombre de personnes dans la case verte « optimistes et changeantes » est nécessaire pour faire avancer les solutions en matière de climat. Les personnes se trouvant ailleurs ne sont pas vraiment utiles pour faire avancer ces solutions.
Plus important encore, plutôt que d’instiller un sentiment d’optimisme sur le fait que le réchauffement climatique est un problème que l’on peut résoudre, le comportement extrême (alarmisme ou désobéissance civile) du groupe « pessimiste et changeant » (à l’image de nombreux membres du mouvement Extinction Rebellion) ne fait souvent rien d’autre que de pousser le public vers le groupe « pessimiste et non changeant »
La responsabilité de communiquer de manière responsable
Malheureusement, des scénarios de rupture très peu probables et souvent mal compris finissent souvent par être interprétés à tort comme des événements climatiques probables et imminents. Dans de nombreux cas, les nuances de l’incertitude scientifique, notamment les différences entre la formulation d’une hypothèse et la vérification d’une hypothèse, sont perdues pour le lecteur profane lorsqu’une étude devient virale sur les médias sociaux. Ce phénomène est encore amplifié quand les scientifiques font des déclarations dans lesquelles ils prennent une licence créative avec des possibilités spéculatives. Des possibilités que les journalistes en mal de lecteurs ne sont que trop heureux d’exploiter avec des titres racoleurs.
Grâce à la recherche indépendante et à la rédaction des rapports du Giec, la communauté des scientifiques du climat jouit d’une position privilégiée dans le discours public sur la science du changement climatique, ses impacts et ses solutions.
Les scientifiques du climat ont un rôle à jouer dans l’avancée des solutions climatiques, et ce rôle s’accompagne de la responsabilité d’éviter le sensationnalisme. En ne modérant pas leur discours, ils risquent de faire monter la rhétorique sans rien offrir en termes de solutions ou de réduction des risques.
Andrew Weaver Professor, School of Earth and Ocean Sciences, University of Victoria
Cet article est republié à partir de The Conversation Canada sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation (en anglais).