La ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, a confirmé qu’un plan de soutien à la création d’une filière compétitive de production d’hydrogène sera intégré dans le plan de relance économique présenté le 3 septembre. «Nous allons annoncer dans les prochains jours un plan sur l’hydrogène. Ce plan visera à développer des capacités de production industrielle», a déclaré Agnès Pannier-Runacher sur BFM Business.
«Aujourd’hui en France, nous avons beaucoup de composants dans la production d’hydrogène mais ce sont souvent des entreprises de taille modeste et la chaîne de production n’est pas complètement structurée à la différence de l’Allemagne… L’enjeu n’est pas d’équiper en infrastructures car si on allait dans cette direction on achèterait des solutions étrangères et finalement on répondrait certes au défi climatique, mais pas au défi industriel… Notre défi c’est d’accélérer la structuration de notre industrie de l’hydrogène. On a démarré avec deux projets qui sont financés en recherche et développement dans le cadre du plan automobile», a ajouté la ministre. La production, conception et usage des équipements et systèmes hydrogène pour la mobilité bénéficient du soutien du fonds d’investissement automobile, soit 150 millions d’euros dès 2020.
A la mode
La pression en faveur de l’hydrogène ne cesse de grandir depuis plusieurs semaines. Et le gouvernement a donc finalement décidé de développer une filière nationale compétitive de production d’hydrogène bas carbone ce qu’on déjà lancé la Chine, la Corée du sud, le Japon, l’Australie et récemment l’Allemagne. C’est l’annonce d’un plan d’investissement de 9 milliards d’euros en Allemagne pour créer une filière d’hydrogène vert ou bas carbone qui a joué le rôle d’électrochoc en France. D’autant plus que la Commission européenne a emboîté le pas à l’Allemagne quelques semaines plus tard. Jusque-là, les pouvoirs publics y étaient plutôt hostiles ou au mieux indifférents et les initiatives étaient avant tout locales et concernaient des prototypes de bus ou de vélos électriques fonctionnant avec de l’hydrogène et une pile à combustible. Les prototypes de trains à hydrogène fabriqués par le Français Alstom ne roulent même pas en France, mais en Allemagne et aux Pays-Bas.
Nicolas Hulot avait bien lancé un plan hydrogène, modeste, de 100 millions d’euros, en juin 2018, peu de temps avant son départ du ministère de la Transition écologique. Il avait fallu plus d’un an avant que ces 100 millions deviennent une réalité. Quant à la fameuse PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028, rendue officielle en avril avec 18 mois de retard, elle fait à peine allusion à l’hydrogène. Au début de l’année, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France (RTE) avait même commis un rapport qui était un enterrement de première classe de l’hydrogène. RTE ne voyait aucune urgence à la transition vers de l’hydrogène bas carbone et n’avait clairement pas la moindre envie de voir un réseau de distribution d’hydrogène vert lui faire de l’ombre.
Et puis le gouvernement a découvert que l’hydrogène est aujourd’hui le seul carburant substituable aux énergies fossiles dans des domaines aussi essentiels que les transports lourds et sur longue distance, la chaleur et l’industrie. L’hydrogène, même si le rendement de sa fabrication par électrolyse est faible, est aussi le seul moyen de stocker à grande échelle de l’électricité renouvelable. Le défi consiste à rendre compétitif et efficace une filière produisant de l’hydrogène vert, c’est-à-dire fabriqué par électrolyse par de l’électricité bas carbone, hydraulique, éoliennes, solaire ou nucléaire. Seuls les pouvoirs publics peuvent créer les conditions rendant cette filière économiquement viable. Aujourd’hui, ce gaz quand il est utilisé dans l’industrie est produit essentiellement avec des énergies fossiles, surtout du gaz naturel, via une technique appelée le vaporeformage qui émet beaucoup de CO2.
Le plan de l’Afhypac
L’hydrogène est devenu en France en quelques semaines un moyen idéal pour le gouvernement de démontrer son implication et son engagement en faveur de la transition. L’hydrogène, présenté comme l’énergie de l’avenir depuis des décennies, est peut-être en train finalement de le devenir et est en tout cas à la mode. Ainsi, fin juillet, une centaine de parlementaires a publié une tribune plaidant pour «un plan hydrogène massif au service de la relance économique et de la transition énergétique». L’Afhypac, (Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible), qui jusque-là était plutôt d’une grande discrétion et d’une grande prudence, a rendu public fin juillet un grand plan de développement de l’hydrogène en France.
Il consiste à mettre en service d’ici 2030 des électrolyseurs pour fabriquer de l’hydrogène pour un total de 7 GW et également des unités de capture et de stockage du CO2 dans les raffineries qui produisent aujourd’hui de l’hydrogène «sale» à partir de gaz naturel. L’ambition est de produire d’ici 2030 au moins 700.000 tonnes d’hydrogène vert par an. Mais cela nécessitera pas moins de 24 milliards d’euros d’investissements sur la période et ils ne se feront pas si l’Etat ne donne pas l’impulsion et ne garantit pas un cadre favorable aux acteurs de l’hydrogène.
Selon les calculs de l’Afhypac, sur les 24 milliards d’euros l’Etat devrait apporter en dix ans 6,7 milliards sous forme d’investissements et 3,6 milliards de soutien à la production d’hydrogène bas carbone. Cela devrait se traduire d’ici 2030 par «300.000 véhicules légers, 5.000 véhicules lourds, 250 trains et 1.000 bateaux alimentés par un total de 1.000 stations de recharge».
Le modèle allemand n’en est pas un
Maintenant, la France n’est pas l’Allemagne et ces problématiques énergétiques sont très différentes. L’Allemagne est contrainte de passer à l’hydrogène. Elle espère ainsi remédier aux problèmes de sa révolution énergétique, la fameuse Energiewende. A savoir, l’intermittence de la production d’électricité provenant des renouvelables. Elle a investit massivement depuis des décennies dans l’éolien et le solaire, mais se heurte au caractère aléatoire de cette production. Non seulement, elle est dépendante des conditions de vent et d’ensoleillement (la journée), mais il est presque impossible de les déterminer précisément à l’avance. Cela contraint le pays à avoir en permanence des centrales capables de prendre le relais, dites pilotables, pour faire face en temps réel à la demande. Et comme l’Allemagne a décidé d’abandonner le nucléaire, les centrales pilotables fonctionnent au charbon et au lignite et émettent des quantités considérables de gaz à effet de serre. Et ce sera encore le cas quand le charbon sera remplacé par le gaz.
L’hydrogène est aujourd’hui le meilleur et presque le seul moyen de stocker massivement de l’électricité. C’est pour cela que l’Allemagne affirme son ambition de devenir le numéro un de l’hydrogène vert. Pour la France, la question se pose différemment. Elle produit déjà une électricité très décarbonée grâce au nucléaire. L’hydrogène doit donc avant tout servir dans les transports, la chaleur et l’industrie. Et dans ces trois domaines, les technologies sont balbutiantes ou n’existent tout simplement pas…
L’hydrogène vert a aussi de nombreux adversaires, à commencer par les constructeurs automobiles qui ont investi des dizaines de milliards dans les véhicules électriques à batteries et les producteurs d’électricité pour qui le stockage par hydrogène changerait la façon de fonctionner des réseaux en leur donnant une certaine flexibilité par rapport à la production. Jusqu’à aujourd’hui et depuis les années 1970 -au lendemain des chocs pétroliers un grand plan hydrogène avait été conçu par une équipe de hauts fonctionnaires- le «lobby» de l’hydrogène a toujours perdu en France.