<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Gouvernement cherche homme providentiel pour sortir, enfin, EDF et la filière nucléaire française de l’ornière

22 mars 2025

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Gouvernement cherche homme providentiel pour sortir, enfin, EDF et la filière nucléaire française de l’ornière

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Pour sauver la filière nucléaire française et sortir EDF de l’ornière qui a abouti au désastre du chantier de l’EPR de Flamanville ou à l’échec de son projet de petit réacteur SMR, entre autres, il faut un choc psychologique et de management. Telle est la conclusion du gouvernement. Il espère que remplacer Luc Rémont, qui est loin d'avoir démérité en tout juste deux ans et dans des circonstances difficiles, par Bernard Fontana, Pdg de Framatome depuis dix ans, grand spécialiste reconnu et respecté du nucléaire, permettra de remettre enfin la filière nucléaire en ordre de bataille. Il lui faudra être capable de trancher, de mobiliser et de souder les équipes derrière lui. Vaste programme… Bernard Fontana, « c'est un industriel, c'est-à-dire qu'il a l'habitude de diriger des équipes, d'accélérer des chantiers, et donc le choix qui a été fait, c'est un choix pour projeter EDF vers l'avenir », a déclaré le Premier ministre, François Bayrou. Il faudra maintenant que le gouvernement fasse passer ses priorités politiques du moment après les considérations industrielles. A voir...

Comme nous étions les seuls ou presque à l’écrire il y a quatre jours, à l’issue du Conseil de politique nucléaire qui se tenait à l’Elysée, la relance du nucléaire en France patauge. Trois ans après l’annonce par Emmanuel Macron d’un programme de construction de nouveaux réacteurs EPR2, rien n’est en ordre de bataille. Que ce soit le financement, de l’ordre de 80 milliards d’euros, d’une première série de six réacteurs ou même les plans techniques des EPR2. La responsabilité d’une situation qui, selon la Cour des comptes, pourrait mener à un échec retentissant est partagée entre l’appareil d’Etat, incapable de mettre en œuvre les décisions politiques de l’exécutif, et… EDF.

Après les errements, le mot est faible, de la construction de l’EPR de Flamanville, l’échec de son projet de SMR (petit réacteur modulaire), le coût devenu exorbitant des deux réacteurs en construction au Royaume-Uni à Hinkley Point, le rejet de son offre d’EPR par la République tchèque qui a préféré le sud-coréen KHNP, l’entreprise publique s’enfonce dans la crise. Elle semble incapable de surmonter un sérieux déficit d’organisation et de compétences. Elle va devoir réapprendre et vite à mieux construire ses réacteurs.

Trouver l’homme-orchestre du nucléaire français

Le gouvernement cherche donc aujourd’hui un sauveur, un homme-orchestre capable de trancher, de mobiliser et de souder les équipes derrière lui. Bernard Fontana, Pdg de Framatome depuis 2015, pourrait être cet homme-là. Le gouvernement a ainsi décidé de débarquer Luc Rémont qui était loin pourtant d’avoir démérité en seulement un peu plus de deux ans. Il avait été nommé en novembre 2022 pour remplacer Jean-Bernard Lévy que le gouvernement trouvait alors trop peu conciliant… Il refusait qu’EDF prenne la responsabilité de l’affaiblissement de la filière nucléaire française. Il avait fini par s’emporter contre les injonctions contradictoires données par l’Etat à l’entreprise publique qui rendaient sa gestion impossible. A savoir fermer 12 réacteurs nucléaires, en plus des deux de Fessenheim, comme le souhaitait encore Emmanuel Macron en 2020, ou relancer un programme de construction de centrales.

Luc Rémont avait contre lui de ne pas être un « vrai industriel » et un spécialiste du nucléaire. Il s’était aussi lancé pour défendre son entreprise dans une véritable guerre larvée avec les gouvernements successifs qui n’ont jamais pu accepter que la gestion d’une entreprise, fut-elle publique, ne réponde pas aux intérêts politiques du moment.

« … les mains dans le cambouis… »

« Ce n’était plus possible, il faut un nouvel élan pour le programme de construction des EPR2, il faut de la confiance pour engager un tel programme et elle n’était plus là », expliquait-on à Bercy sous le couvert de l’anonymat. De la même façon, à l’Elysée on soulignait juste avant le conseil de politique nucléaire du 17 mars que « Luc Rémont est un grand capitaine d’entreprise, mais n’est pas un industriel… Le design des EPR2 n’est toujours pas terminé, les sous-traitants attendent de pouvoir faire leurs devis… On a besoin d’un patron qui mette les mains dans le cambouis. »

L’État exigeait une accélération des projets, tandis que Luc Rémont voulait des garanties financières avant d’engager son entreprise surendettée dans des investissements massifs. Et Luc Rémont est en plus réputé pour avoir un caractère difficile. Le polytechnicien et ancien dirigeant de Schneider Electric et de Merrill Lynch a bataillé avec les groupes industriels électro-intensifs, qui n’ont cessé de se plaindre, pour conclure des contrats d’approvisionnement d’électricité à long terme. Des négociations qui ont très mal tourné au point que les industriels française se sont dit « trahis » par EDF. Auparavant, il avait fallu à Luc Rémont pas moins de 17 rendez-vous à Bercy avec les équipes de Bruno Le Maire, alors ministre de l’Economie, pour négocier en 2023 la nouvelle régulation du marché de l’électricité. L’éviction de Luc Rémont était donc écrite même si l’an dernier, EDF a affiché de bonnes performances et dégagé un résultat net part du groupe appréciable de 11,4 milliards d’euros, en progression de 14% par rapport à 2023. Et il faut ajouter au crédit de Luc Rémont que la crise de 2022 et de la maintenance d’une partie du parc nucléaire, la fameuse découverte de problèmes de corrosion sous contrainte de canalisations sur un grand nombre de réacteurs, a été surmontée bien plus rapidement que prévu. Cela a notamment permis à EDF de battre l’an dernier des records d’exportation d’électricité.

« …projeter EDF vers l’avenir… »

Dans un communiqué publié le 21 mars dans l’après-midi, l’Elysée a fait savoir que le Président de la République envisage, sur proposition du Premier ministre, de nommer Bernard Fontana, le directeur général de Framatome depuis 2015, en
« qualité de président-directeur-général d’Electricité de France… Le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat sont saisis de ce projet de nomination, afin que la commission intéressée de chacune des assemblées se prononce dans les conditions prévues par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution ».

Bernard Fontana, « c’est le patron de Framatome, c’est-à-dire ceux qui ont joué un rôle dans la filière nucléaire très important. C’est un industriel, c’est-à-dire qu’il a l’habitude de diriger des équipes, d’accélérer des chantiers, et donc le choix qui a été fait, c’est un choix pour projeter EDF vers l’avenir », a affirmé le 21 mars le Premier ministre, François Bayrou.

Maintenant, le plus dur reste à faire et Bernard Fontana ne pourra pas y parvenir seul. La question du financement des nouveaux EPR n’est toujours pas réglée et entre les mains du gouvernement. Le différend entre EDF et l’industrie sur les tarifs de l’électricité est loin d’être surmonté. Et EDF ne pourra pas financer l’allongement du durée de vie de son parc de 57 réacteurs nucléaires, la construction des EPR2, son développement international et ses investissements dans les renouvelables avec une rentabilité trop contrainte. Enfin, les défis opérationnels et économiques liés à la construction des EPR2 sont immenses. Ils vont demander à EDF des changements profonds de management et de capacité à attirer et motiver les meilleurs ingénieurs et techniciens.

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La rédaction

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