<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les GNL américain et qatari ne pourront pas compenser le manque de gaz russe

30 septembre 2022

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Méthanier Wikimedia Commons
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Les GNL américain et qatari ne pourront pas compenser le manque de gaz russe

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Au cours des dix prochaines années, le Gaz naturel liquéfié (GNL) devrait pouvoir couvrir plus de 50% de la demande de gaz en Europe indique une étude récente de Rystad Energy. Mais à court et moyen terme, 3 à 5 ans, les Etats-Unis et le Qatar ne pourront pas compenser en totalité l’effondrement de l’approvisionnement en gaz russe. Un effondrement encore plus certain avec le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2. Cela s’est déjà traduit et va continuer à se traduire par des prix extrêmement élevés qui mettent en danger l’existence même de l’industrie lourde européenne. Par ailleurs, l’Europe doit absolument changer de stratégie et accepter de signer des contrats à long terme et diversifier ses sources d’approvisionnement pour ne pas simplement remplacer sa dépendance à la Russie par une autre envers les Etats-Unis. Le refus idéologique européen d’exploiter son propre gaz de schiste, abondant dans son sous-sol, va lui coûter très cher.

Le Gaz naturel liquéfié (GNL) américain et dans une moindre mesure provenant du Qatar vont jouer un rôle essentiel pour remplacer le gaz russe et approvisionner l’Europe. Mais les capacités d’exportation américaines et qataris ne pourront pas compenser en totalité le manque de gaz russe dans les trois à cinq prochaines années. Telles sont les principales conclusions d’une étude récente réalisée par Rystad Energy pour l’American Petroleum Institute et l’International Association for Oil & Gas Producers.

La nécessité de prolonger l’exploitation du champ de Groningue

L’Europe va devoir faire face à un manque de gaz considérable estimé à 19% de ses besoins l’an prochain, si la production est stoppée aux Pays-Bas à Groningue, ou 12% si elle est maintenue. Il est prévu que le champ de Groningue ne soit plus exploité à partir de 2023 pour des raisons environnementales, en raison notamment de secousses sismiques liées à son exploitation, et parce qu’il s’épuise. Mais sa fermeture serait aujourd’hui une catastrophe. D’un point de vue technique, l’augmentation de la production de gaz du gisement est réalisable dans des conditions de sécurité acceptables, car l’infrastructure est toujours en place. Pour 2024, le manque de gaz est évalué à 16% de la demande en Europe sans Groningue et 10% avec. Et en 2025, le manque se réduit à 14% sans Groningue et 8% avec.

Une menace existentielle pour l’industrie lourde

Selon Rystad Energy, après 2025 les possibilités d’approvisionnement devraient nettement s’améliorer, mais resteront très coûteuses. Reste à savoir comment l’Europe va traverser les trois prochaines années et si elle va pouvoir s’assurer pendant ce temps les approvisionnements dont elle a besoin. Une chose est sûre, l’Europe va souffrir.  Car au cours des prochains hivers, les prix du gaz deviendront si élevés qu’ils attireront des exportations ponctuelles et opportunistes de GNL et freineront la demande. Dans tous les scenarios la consommation de gaz en Europe va baisser.  Et cela représente un risque sérieux de perdre une partie de la puissance industrielle qu’il lui reste. Il est tout simplement impossible de soutenir l’industrie et d’éviter les faillites pendant trois ans.

Pour donner un ordre d’idée des enjeux, plus de 70% des producteurs européens d’engrais -qui dépendent de l’ammoniac extrait du gaz naturel- ont d’ores et déjà mis à l’arrêt leurs usines. Et ils ne sont pas les seuls. Les verriers et la sidérurgie sont aussi touchés de plein fouet. Le premier constructeur automobile européen, Volkswagen, a indiqué que l’augmentation des tarifs de l’électricité allait le contraindre à relocaliser sa production vers des pays moins dépendants du gaz russe et à la réduire en Allemagne, en République Tchèque et en Slovaquie.

Même s’il existe des possibilités pour l’Europe d’importer plus de gaz par gazoducs de Norvège, d’Azerbaijan et d’Algérie, l’étude Rystad considère que cela ne permettra pas de remplacer le gaz russe, seule l’importation de GNL pourra le faire progressivement. Ainsi, d’ici 2030, le GNL pourrait représenter 50% de la demande et 75% d’ici 2040. La consommation de GNL en Europe va augmenter de 150% en 2040 par rapport à 2021. Et la situation s’améliorera progressivement avec la signature de contrats d’approvisionnement à long terme. Mais il faudra du temps. Et à quel prix ?

Changer de stratégie, contrats à long terme et diversification des approvisionnements

D’ores et déjà, remplir les réservoirs de gaz naturel européens a coûté dix fois plus cher que d’habitude à cause du passage au GNL. Notamment parce que tout le GNL a été acheté en urgence sur le marché spot. Cela explique pourquoi des cargaisons de GNL prévues pour aller en Asie ont finalement terminé en Europe. Bruxelles, au nom de la concurrence, a toujours préféré les marchés spot aux contrats à long terme. Une aberration dans la situation actuelle.

L’Europe doit absolument changer de stratégie et passer à des contrats de long terme et diversifier ses sources d’approvisionnement. Acheter en catastrophe des cargaisons de gaz sur le marché spot se comprend, notamment pour remplir les réservoirs avant l’hiver, mais sur le moyen et long terme cela n’a aucun sens sur le plan économique. Comme le montre l’étude Rystad, l’Europe aujourd’hui remplace tant bien que mal un fournisseur majeur, la Russie, par un autre fournisseur majeur, les Etats-Unis. Ce n’est pas exactement une diversification. Alors bien sûr, le Qatar et l’Afrique peuvent aussi devenir des fournisseurs importants de GNL, mais ils le feront et engageront les investissements nécessaires pour produire plus que si l’Europe s’engage sur le long terme en signant des contrats de longue durée. Et pour ce qui est de l’Afrique, le potentiel existe, mais les gisements ne sont pas encore développés.

Pas assez de capacités de production

Le problème des capacités de production ne peut pas être effacé en quelques mois. Le chancelier allemand Olaf Scholz vient d’en faire l’expérience en se rendant il y a quelques jours dans trois pays du Golfe persique. Il n’en a ramené qu’un accord avec les Emirats Arabes Unis pour la livraison d’un méthanier de GNL et un engagement non formel pour en livrer cinq de plus…

Les Etats-Unis font aussi face à de sérieux problèmes de production. Il n’y a tout simplement pas assez de capacités de gazoducs pour acheminer le gaz des champs vers les usines de liquéfaction qui se trouvent notamment dans le Golfe du Mexique. Les producteurs de gaz de schiste américains ont aussi du mal à faire face en même temps à une augmentation de la demande domestique et internationale. Aux Etats-Unis, le gaz est de plus en plus utilisé pour la production d’électricité en lieu et place du charbon et dans le même temps les besoins européens et asiatiques ne cessent de grandir. Si le pays a d’énormes réserves potentielles, les transformer en gisements productifs est une autre affaire.

Le refus idéologique européen de même envisager l’exploitation de ses propres réserves de gaz de schiste semble rétrospectivement une terrible erreur. D’un point de vue environnemental, l’acheter aux Etats-Unis ou le produire en Europe ne change rien, en revanche, en termes de souveraineté énergétique et de prix cela change tout…

 

 

 

 

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