<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Géothermie d’extrême profondeur, une utopie aussi prometteuse que la fusion nucléaire

21 octobre 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Quaise Energy
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Géothermie d’extrême profondeur, une utopie aussi prometteuse que la fusion nucléaire

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Dans la poursuite du rêve d’une énergie propre et surabondante permettant de répondre aux besoins de l’humanité pendant des millénaires, le laboratoire de mécanique expérimentale des roches de l’École polytechnique fédérale de Lausanne a fait une découverte capitale. Il a montré qu’il était théoriquement possible à 10 kilomètres sous nos pieds avec une température de 400 degrés et des roches qui compte tenu de la chaleur et de la pression s’apparentent à du caramel mou d’y faire passer de l’eau et donc de récupérer de la vapeur pour alimenter des centrales. La géothermie d'extrême profondeur a tout d'une utopie, mais son potentiel théorique est illimité. Voila pourquoi les projets fous se multiplient, entre creuser à 20 kilomètres sous terre avec un gyrotron à partir de mines abandonnées par Quaise Energy, forer dans la chambre magmatique d'un volcan islandais avec Krafla Magma Testbed ou, avec CGG, exploiter les zones de fracture tectonique du fond des océans

Le rêve d’une source d’énergie presque infinie permettant de répondre à tous les besoins de l’humanité est caressé depuis des siècles par les scientifiques, les ingénieurs et les auteurs de science-fiction. Il se traduit aujourd’hui par les espoirs, parfois insensés, mis dans la fusion nucléaire, dans la création de centrales solaires dans l’espace et… dans la géothermie d’extrême profondeur.

Car il existe sous nos pieds, à quelques kilomètres de profondeur, une énergie surabondante et renouvelable. Elle pourrait alimenter l’humanité pendant des millénaires sans impact sur le climat. Faut-il encore réussir à y accéder et surtout à en capter une partie…

De l’eau dans un état « supercritique »

C’est sur quoi travaille notamment le laboratoire de mécanique expérimentale des roches de la très renommée EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne). Il vient de démontrer via une publication dans la revue scientifique Nature Communications que les roches malléables et collantes situées à des profondeurs supercritiques de l’ordre de 20 kilomètres peut être fracturée pour laisser passer de l’eau. Compte tenu des températures atteintes à ses profondeurs de l’ordre de 400 degrés Celsius de n’est évidemment pas de l’eau à l’état liquide mais à l’état gazeux avec néanmoins une densité comparable à celle de l’eau, une sorte de plasma. De l’eau qualifiée par les scientifiques de « supercritique ».

On peut en théorie en extraire de grandes quantités d’énergie. Cela pourrait permettre de faire fonctionner une centrale géothermique avec une puissance dix fois supérieure à celle d’une centrale classique utilisant de l’eau à plus basse température. Il y a évidemment de nombreux problèmes à résoudre avant d’y parvenir. L’un d’entre eux est que la géothermie nécessite un contact maximal entre les surfaces rocheuses et le fluide qu’elles chauffent. Mais comme personne n’ayant jamais foré aussi loin, la science n’était pas en mesure de dire si la roche peut se fissurer et laisser passer l’eau. D’après les expériences menées par une équipe du laboratoire de mécanique expérimentale des roches de l’EPFL dirigée par Gabriel Meyer, cela serait possible. En dépit du fait que les observations effectuées à 10 kilomètres de profondeur montrent que la roche commence à se comporter très différemment de ce qu’elle fait plus près de la surface. Au lieu d’être dur et cassant, elle devient molle, malléable et collante.

 « …caramel mou… »

Aujourd’hui, le forage le plus profond jamais réalisé a été fait en Russie en 1994 dans la presqu’ile de Kola, et a atteint 12,3 kilomètres. Il est presque impossible d’aller plus loin avec des technologies de forage classiques compte tenu de la chaleur, de la pression et du type de roches rencontrées.

« Lorsque l’on s’approche des 10 kilomètres, la roche ne se fracture plus mais se déforme uniformément, comme un caramel mou, et son comportement devient complexe », explique Gabriel Meyer. « La déformation se produit au niveau des structures cristallines du grain. Je voulais savoir si l’eau pouvait circuler dans une roche qui a évolué vers cette forme ductile inhabituelle ». Ce que Gabriel Meyer et son équipe ont été capables de faire est de reproduire la pression et les conditions que l’on trouve à ses profondeurs.

Le gyrotron de Quaise Energy, la chambre magmatique d’un volcan de Krafla Magma Testbed et le fond des océans de CGG

Quaise Energy, une startup américaine fondée par d’anciens chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology), pense avoir la technologie nécessaire pour développer la géothermie d’extrême profondeur et pouvoir aller capter de l’énergie à 20 kilomètres sous nos pieds. Elle est parvenue à lever 63 millions de dollars depuis son lancement en 2020.

Pour y parvenir, Quaise entend utiliser un gyrotron, un appareil capable de générer des ondes électromagnétiques millimétriques de très forte puissance et de faire fondre la roche. Ce dispositif permet de creuser près de deux fois plus profondément dans la Terre que les trous les plus profonds jamais réalisés à ce jour. Le gyrotron a été inventé en URSS et est aujourd’hui fabriqué par des sociétés comme Communications & Power industries (Etats-Unis), Thales (France), Canon (Japon), Toshiba (Japon), Gycom (Russie)… C’est un outil suffisamment puissant pour transformer la matière en plasma dans des expérimentations liées à la fusion nucléaire.

L’objectif de Quaise est de creuser un prototype et d’être à même d’ici 2028 de pouvoir transformer d’anciennes mines de charbon en complexes géothermiques de grande profondeur. Les équipes de Quaise ont identifié une centaine de mines aux Etats-Unis qui pourraient être transformées. L’opération de forage prendrait quelques mois et une fois celle-ci achevée, la région concernée disposerait d’une source d’énergie presque illimitée…On peut rêver.

C’est aussi ce que font en Islande les auteurs du projet baptisé Krafla Magma Testbed. Ils veulent aller chercher directement via un tunnel l’énergie de la chambre magmatique d’un volcan. La première mission de forage est prévue en 2026. Et puis il y a la société française de conseils en géoscience CGG qui est convaincue que l’énergie du centre de la terre doit être exploitée au fond des océans, là où le magma affleure. Mais comme les zones de fracture tectonique au fond des océans sont par nature très éloignées des zones de consommation d’énergie et des réseaux électriques. CGG affirme qu’il serait judicieux d’utiliser la chaleur captée pour fabriquer sur place dans des navires ou des plateformes de l’hydrogène avec des électrolyseurs et de l’eau de mer et d’expédier ensuite l’hydrogène vert ou décarboné vers les lieux de consommation…

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