La géo-ingénierie, un enjeu géopolitique? Pour les pays en surchauffe, la tentation de modifier le climat

25 mai 2024

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Atmosphère
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La géo-ingénierie, un enjeu géopolitique? Pour les pays en surchauffe, la tentation de modifier le climat

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Rejetée farouchement par les écologistes, ayant parfois toutes les apparences de technologies d’apprentis sorciers, la possibilité d’une intervention humaine pour modifier le climat et limiter le réchauffement est pour le moins controversée. Mais les choses changent. Avant tout parce que si les émissions de gaz à effet de serre continuent à croître, des technologies permettant de transformer le climat pourraient être la dernière option de pays où les conditions de vie deviendraient intenables.

 L’emblématique accord de Paris sur le climat a donné naissance à un nouveau slogan dans les pays en développement : « 1,5 pour rester en vie ». Il se réfère à l’objectif international de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Mais le monde dépassera probablement ce seuil d’ici une décennie, et le réchauffement climatique ne montre que peu de signes de ralentissement.

Le monde est déjà confronté à des catastrophes naturelles qui prennent des proportions épiques en raison de l’augmentation des températures. Les records de chaleur sont régulièrement battus. Les saisons des feux de forêt sont de plus en plus extrêmes. La violence des ouragans augmente. L’élévation du niveau de la mer, enfin, submerge lentement les petites nations insulaires et les zones côtières.

La seule méthode connue pour arrêter à court terme cette hausse des températures est l’ingénierie climatique. Elle recoupe des techniques appartenant à la géo-ingénierie. Certaines permettent de réduire artificiellement l’ensoleillement, ce qui est aussi connu sous le nom d’interventions solaires sur le climat. Il s’agit d’un ensemble d’actions visant à modifier délibérément le climat.

L’intention est d’imiter l’effet refroidissant des grandes éruptions volcaniques historiques, soit en plaçant dans l’atmosphère de grandes quantités de particules réfléchissantes, soit en éclaircissant les nuages bas au-dessus de l’océan. Ces deux stratégies permettraient de renvoyer une petite partie de la lumière du soleil vers l’espace afin de refroidir la planète.

De nombreuses questions restent toutefois sans réponse quant aux effets d’une modification délibérée du climat. Est-ce une bonne idée de seulement se poser la question ? Il n’y a pas de consensus scientifique.

Techniques potentielles d’ingénierie climatique. Chelsea Thompson/NOAACIRES

L’une des principales préoccupations de nombreux pays en matière de changement climatique est la sécurité nationale. Il ne s’agit pas seulement de guerres : les risques pour l’approvisionnement en nourriture, en énergie et en eau sont des questions de sécurité nationale, tout comme les migrations humaines provoquées par le climat.

L’ingénierie climatique pourrait-elle contribuer à réduire les risques du changement climatique pour la sécurité nationale, ou au contraire aggraverait-elle la situation ? Répondre à cette question n’est pas simple, mais les chercheurs qui, comme nous, étudient les liens entre changement climatique et sécurité nationale ont quelques idées sur les risques à venir.

Le changement climatique, un problème majeur

Pour comprendre à quoi pourrait ressembler l’ingénierie climatique à l’avenir, examinons d’abord les raisons pour lesquelles un pays pourrait vouloir l’essayer.

Depuis la révolution industrielle, l’homme a rejeté environ 1 740 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO₂) dans l’atmosphère, principalement en brûlant des combustibles fossiles. Ce dioxyde de carbone emprisonne la chaleur et réchauffe la planète.

L’une des choses les plus importantes que nous puissions faire est de cesser de rejeter du carbone dans l’atmosphère. Mais la situation ne s’améliorera pas rapidement, car le CO2 met des siècles à être éliminé de l’atmosphère. La réduction des émissions ne fera qu’empêcher la situation de s’aggraver davantage.

Les pays pourraient extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère et le confiner quelque part, processus appelé élimination du dioxyde de carbone (en anglais, Carbon Dioxyde Removal, ou CDR). À l’heure actuelle, les projets d’élimination du dioxyde de carbone, notamment le fait de planter ou replanter des arbres et les dispositifs de capture directe du CO₂ de l’air, permettent de retirer de l’atmosphère environ 2 milliards de tonnes de CO₂ par an.

Mais l’humanité rejette actuellement dans l’atmosphère plus de 37 milliards de tonnes de CO₂ par an du fait de la consommation de combustibles fossiles et des activités industrielles. Tant que la quantité de CO2 ajoutée dans l’atmosphère sera supérieure à la quantité éliminée, les sécheresses, les inondations, les ouragans, les vagues de chaleur et l’élévation du niveau de la mer, parmi les nombreuses autres conséquences du changement climatique, continueront de s’aggraver.

Il faudra sans doute beaucoup de temps pour réduire à zéro nos émissions nettes de CO2, c’est-à-dire pour ne plus augmenter les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. L’ingénierie climatique pourrait être utile dans cet intervalle.

Qui veut s’essayer à l’ingénierie climatique?

Différents organismes de recherche gouvernementaux dans élaborent déjà des scénarios examinant qui pourrait décider de mettre en œuvre l’ingénierie climatique et comment.

L’ingénierie climatique devrait être peu onéreuse par rapport au coût que représente l’élimination des émissions de gaz à effet de serre. Mais il faudrait tout de même des milliards de dollars et des années de développement et de fabrication pour obtenir une flotte d’avions capable de transporter, chaque année, des mégatonnes de particules réfléchissantes dans la stratosphère. Tout milliardaire envisageant une telle entreprise se retrouverait rapidement à court d’argent, en dépit de ce que la science-fiction pourrait suggérer.

Malgré tout, un seul pays ou une coalition de pays constatant les effets néfastes du changement climatique pourrait faire un calcul géopolitique et financier. Et décider de mettre en place des pratiques d’ingénierie climatique de sa propre initiative.

C’est ce que l’on appelle le problème du « free driver », c’est-à-dire que si le coût de ces technologies n’est pas prohibitif, un pays moyennement riche pourrait décider unilatéralement de modifie le climat de la planète.

  • Par exemple, les pays confrontés à des vagues de chaleur de plus en plus dangereuses pourraient vouloir provoquer un refroidissement du climat.
  • Les pays qui dépendent des précipitations de la mousson pourraient vouloir rétablir une certaine fiabilité que le changement climatique a perturbée.
  • L’Australie étudie actuellement la possibilité de refroidir rapidement la Grande Barrière de Corail pour éviter sa disparition.

La création de risques pour les pays voisins

Sauf que le climat ne respecte pas les frontières nationales. Ainsi, un projet d’ingénierie climatique dans un pays serait susceptible d’affecter les températures et les précipitations dans les pays voisins. Cela pourrait être une bonne ou une mauvaise chose pour les cultures, l’approvisionnement en eau et les risques d’inondation. Cela pourrait également avoir des conséquences inattendues à large échelle.

Certaines études montrent qu’un niveau modéré d’ingénierie climatique aurait probablement des effets bénéfiques à grande échelle quant au changement climatique. Mais tous les pays ne seraient pas affectés de la même manière.

Une fois les mesures d’ingénierie climatique déployées, les pays pourraient également être plus enclins d’accuser la géo-ingénierie d’être à l’origine des événements extrêmes tels que les ouragans, les inondations et les sécheresses, quelles que soient les preuves.

L’ingénierie climatique peut déclencher des conflits entre les pays, conduisant à des sanctions et à des demandes de compensation. Le changement climatique peut rendre les régions les plus pauvres plus vulnérables encore, et l’ingénierie climatique ne devrait pas exacerber ces dommages. Certains pays, en bénéficiant de l’ingénierie climatique, seraient plus résilients face aux conflits géopolitiques, tandis que d’autres seraient lésés – et d’autant plus vulnérables.

Certes, des expériences de faible échelle ont été menées, mais personne n’a encore pratiqué l’ingénierie climatique à vaste échelle. Cela signifie que beaucoup d’informations sur ses effets reposent sur des modèles climatiques. Or, si ces modèles sont d’excellents outils pour étudier le climat, ils ne permettent pas de répondre aux questions liées à la géopolitique et aux conflits. En outre, les effets physiques des mesures d’ingénierie climatique dépendraient aussi pour beaucoup de l’approche utilisée.

La prochaine étape

Pour l’instant, l’ingénierie climatique suscite plus de questions que de réponses. Il est difficile de dire si l’ingénierie climatique risque d’aggraver les conflits ou si elle pourrait désamorcer certaines tensions internationales en réduisant le changement climatique.

Il est toutefois probable que des décisions internationales sur l’ingénierie climatique seront bientôt prises. Lors de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement de mars 2024, les pays africains ont demandé un moratoire sur l’ingénierie climatique, appelant à la prudence. D’autres nations, dont les États-Unis, ont insisté pour qu’un groupe formel de scientifiques étudie les risques et les avantages de ces technologies avant de prendre toute décision.

L’ingénierie climatique pourrait faire partie d’une solution équitable au changement climatique. Mais elle comporte aussi des risques. En résumé, l’ingénierie climatique ne saurait être ignorée, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour que les décideurs politiques puissent prendre des décisions en connaissance de cause.

Ben Kravitz Assistant Professor of Earth and Atmospheric Sciences, Indiana University

Tyler Felgenhauer Research Scientist in Civil and Environmental Engineering, Duke University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.

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