Le petit émirat du Qatar a réussi le tour de force de se rendre indispensable, en termes énergétiques, financiers, politiques et même sportif. Il est l’un des principaux investisseurs dans les pays occidentaux et abrite sur son sol la plus grande base militaire américaine hors des Etats-Unis tout en étant gouverné par un régime autocratique et le financier de nombreux mouvements islamistes dans le monde.
Pour en revenir à l’énergie, le Qatar a été de 2011 à 2022 le premier exportateur mondial de Gaz naturel liquéfié (GNL). Il a été dépassé l’an dernier par les Etats-Unis, une situation très provisoire. L’avenir de cette forme d’énergie est radieux tout comme les perspectives de la poursuite de son développement au Qatar. Non seulement, l’Asie en importe massivement (la Chine, le Japon, la Corée…) mais l’Europe est aussi contrainte de le faire pour remplacer le gaz russe. Le Qatar s’est ainsi lancé dans des investissements massifs qui vont lui permettre d’ici 2030 de presque doubler sa capacité de production et d’exportation de GNL et d’être encore plus puissant…
La première phase de développement doit permettre au Qatar d’augmenter sa capacité de production de 43%, passant de 77 à 110 millions de tonnes par an d’ici la fin de l’année prochaine. La deuxième phase fera passer d’ici 2027 la capacité de production de 110 à 126 millions de tonnes, soit une augmentation totale de 64%… Et il y aura enfin une étape supplémentaire avec des capacités devant atteindre 142 millions de tonnes d’ici 2030. Selon les calculs de l’agence Bloomberg, cela devrait augmenter les revenus de l’émirat de plus de 30 milliards de dollars par an et selon l’agence Reuters lui donner 25% du marché mondial du GNL.
Les entreprises tenues responsables des dommages humains et environnementaux
L’Europe sera ainsi approvisionnée en gaz mais a troqué une dépendance envers la Russie pour une autre. Pour preuve, le ministre de l’Énergie du Qatar, qui dirige aussi l’entreprise publique QatarEnergy, n’a pas hésité à faire ouvertement du chantage à l’Union Européenne (UE). Il a menacé de mettre un terme aux livraisons de GNL si les pays de l’UE appliquent la directive européenne CSDDD instituant un « Devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ». Les pays de l’Union devront transposer la directive dans leurs législations nationales d’ici la fin de 2026. Adoptée en mai cette année, elle prévoit que les grandes entreprises s’assurent à partir de 2027 que l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement ne contrevienne pas aux droits de l’homme et à la protection de l’environnement. En cas de manquement à ces dispositions, les entreprises seront tenues responsables des dommages causés. Une amende pouvant aller jusqu’à 5% de leur chiffre d’affaires annuel mondial pourra leur être infligée.
La directive a été fortement critiquée par bon nombre de grandes entreprises, européennes ou non, qui estime qu’il est presque impossible de contrôler leurs milliers de fournisseurs et partenaires et que les technocrates de la Commission européenne tout comme les parlementaires européens ne comprennent rien au fonctionnement des entreprises. C’est ce qu’a déclaré sans ambages Saad al Kaabi.
« Je ne bluffe pas »
Il a expliqué au Financial Times qu’il cesserait de fourni du GNL à l’Europe si un seul pays de l’Union venait à imposer une amende à QatarEnergy. « S’il s’avère que je perds 5% de mon chiffre d’affairs en allant en Europe, alors je n’irai plus en Europe…Je ne bluffe pas. Je ne bluffe pas. Ces 5% de revenus générés par QatarEnergy signifient également 5% de revenus pour le Qatar. Il s’agit de l’argent du peuple… je ne peux donc pas perdre une telle somme – et personne n’accepterait de perdre une telle somme ». « Avec la taille de mon entreprise et les milliards que nous dépensons, j’aurais probablement besoin d’un millier de personnes, ou alors [il faudrait] dépenser des millions pour qu’une entreprise de service […] effectue des audits auprès de chaque fournisseur », a-t-il ajouté. QatarEnergy a signé au cours des derniers mois des contrats à très long terme, 27 ans, de fourniture de GNL avec des grandes compagnies pétrolières européennes comme Shell, Eni et TotalEnergies.
On peut d’ores et déjà prendre le pari et sans trop de risques que l’Union Européenne cédera au chantage…