L’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe est une nécessité absolue compte tenu des stratégies énergétiques adoptées et des besoins industriels et de chauffage des logements. La contrepartie d’une politique imposée notamment par les institutions européennes imposant les renouvelables intermittents éolien et solaire est d’avoir, quand il n’y a pas de vent ou de soleil, des centrales capables d’alimenter les réseaux en quelques minutes, des centrales à gaz… Au point que pour la Commission européenne, le gaz naturel a même obtenu le qualificatif d’énergie de transition s’il permet de remplacer des centrales à charbon. Certes, le charbon émet presque deux fois plus de CO2 que le gaz naturel, mais ce dernier n’en reste pas moins un hydrocarbure fossile…
Aujourd’hui, les réserves de gaz naturel de l’Europe sont remplies à 95% ce qui permet d’aborder la saison froide sans craintes. Il ne faut pas oublier que la principale raison pour laquelle l’Union Européenne a traversé sans trop de mal la crise énergétique de l’hiver 2022-2023 s’appelle la chance. Celle d’avoir une saison froide particulièrement douce. A l’époque, les réserves de gaz étaient alors loin d’être remplies.
L’offre de gaz dans le monde a du mal à répondre à l’augmentation de la demande
Mais, contrairement aux manifestations répétées d’autosatisfaction par la Commission européenne, la dernière il y a encore deux mois, l’Europe n’a toujours pas réglé le problème de fond de la sécurité de son approvisionnement en gaz dans des conditions financières pas trop pénalisantes.
Car comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un rapport publié au début du mois, la consommation mondiale de gaz devrait connaitre une forte hausse dans les prochaines années ce qui pose un problème pour la sécurité d’approvisionnement compte tenu du potentiel limité à court terme d’augmentation de l’offre de GNL et des tensions géopolitiques. Illustration, pour la première fois depuis 24 ans, la production américaine de gaz de schiste a légèrement diminué lors des premiers mois de 2024. Cela tient notamment à la faiblesse des prix du gaz aux Etats-Unis qui fait que la production n’est plus rentable dans certaines régions. Le prix du gaz aux Etats-Unis est environ trois fois moins élevé qu’en Europe ce qui n’est pas sans conséquences importantes sur la différence d’activité et de compétitivité des économies américaine et européenne.
Destruction de la demande
Car une autre des raisons majeure, en-dehors d’une météorologie clémente, ayant permis à l’UE de surmonter la crise née de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et du sabotage des gazoducs NordStream 1 et NordStream 2 en septembre 2022 tient à une baisse considérable de sa consommation de gaz. Elle est la conséquence d’une désindustrialisation accélérée du fait de l’envolée des prix de l’énergie et de la perte de compétitivité. On peut éventuellement s’en féliciter au nom de la limitation des émissions de gaz à effet de serre et d’une amélioration (réelle) de l’efficacité énergétique, mais c’est un appauvrissement de fait. Selon le rapport sur l’état de l’Union de l’énergie, cette destruction de la demande s’est élevée à 138 milliards de mètres cubes entre août 2022 et mai 2024, ce qui est considérable.
L’Europe est en fait toujours confrontée à deux difficultés. Pouvoir accéder à des quantités de gaz suffisantes et ne pas trop subir les fluctuations permanentes des cours. La semaine dernière, les prix de référence du gaz en Europe ont atteint leur niveau le plus élevé depuis un an à la suite de l’annonce d’un incident de production en Norvège. Les cours sont montés jusqu’à 43,68 euros par MWh. La Norvège est actuellement le plus important fournisseur de gaz naturel de l’Union européenne et satisfait environ 30% de ses besoins. Lorsque Equinor a signalé l’incident, l’entreprise norvégienne a immédiatement indiqué qu’il ne mettait pas en danger ses engagements en matière d’exportation. Pourtant, les prix du gaz ont immédiatement grimpé en flèche…
Le gaz russe assure encore 18% des importations européennes
Dans les faits, l’UE est toujours incapable de se passer totalement du gaz russe et elle a échangée une dépendance pour une autre à savoir aujourd’hui les cargaisons de GNL (Gaz naturel liquéfié) venues des Etats-Unis et du Qatar. La Commission européenne l’a elle-même admis dans son rapport sur l’état de l’Union de l’énergie, publié en septembre. « La part du gaz russe dans les importations de l’UE est passée de 45% en 2021 à 18% en juin 2024, tandis que les importations en provenance de partenaires de confiance comme la Norvège et les États-Unis ont augmenté », écrit l’UE. Mais peu importe à quel point elle met en avant le passage au gaz norvégien et américain, le fait est que la Russie fournit encore plus de gaz à l’Europe que les États-Unis…
Une des pistes poursuivies par l’Union Européenne pour diversifier ses sources d’approvisionnement s’appelle l’Azerbaïdjan. Elle pourrait remplacer, pour partie, le gaz russe circulant encore jusqu’à la fin de l’année vers l’Europe dans le réseau de gazoducs ukrainien. Le contrat qui permettait encore, de façon assez incongrue, à du gaz russe de transiter via un gazoduc par le territoire ukrainien pour arriver en Europe, a été finalement dénoncé par l’Ukraine. L’an dernier, 14 milliards mètres cubes de gaz russe avaient transité via le territoire ukrainien. L’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie et l’Italie en étaient les principaux bénéficiaires.
À moins que l’UE ne trouve un substitut au gaz russe, elle pourrait terminer l’hiver, s’il est rigoureux, avec des stocks de gaz remplis à 30% seulement et des prix élevés. Elle sera alors dans une situation compliquée en 2025-2026. À titre de comparaison, l’hiver dernier, l’Europe a traversé sans encombre la saison froide avec des stocks remplis à 58%. Mais on ne peut pas, surtout en matière d’énergie, toujours parier sur la chance.