Pour démontrer que la transition énergétique est une question complexe et qu’il faut éviter raisonnements simplistes et slogans, l’hydroélectrique est un exemple parfait. Il s’agit de la première source d’énergie renouvelable au monde. Les institutions internationales et de nombreuses ONG encouragent à juste raison la multiplication des projets de grands barrages, notamment en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Mais tous les barrages ne sont pas égaux et certains sont même néfastes. Car ils émettent des quantités importantes de gaz à effet de serre, méthane et CO2, en raison notamment de la décomposition de matières organiques dans leurs réservoirs.
Tous les barrages et toutes les centrales hydroélectriques ne méritent donc pas d’être construits. Et pour le savoir, il faut prendre en compte la quantité de béton utilisée, le ruissellement et la dégradation des sols, l’inondation des surfaces qui engloutit parfois des milliers d’hectares de terres agricoles ou de forêts. L’autre élément important à analyser est mis en avant dans une étude parue récemment dans la revue Environmental Science Technology. Certains barrages émettraient au cours de leur vie des quantités considérables de méthane et afficheraient de ce fait des émissions de gaz à effet de serre parfois supérieures à celles dse centrales à charbon! Comment cela est-il possible?
Lorsque la végétation est submergée par l’eau, elle se décompose et lorsque le taux d’oxygène est bas -comme c’est souvent le cas dans le fond des réservoirs-, le barrage émet alors du méthane, un puissant gaz à effet de serre 28 fois plus réchauffant que le dioxyde de carbone. Du CO2 et du protoxyde d’azote peuvent également être émis. Tout cela est connu depuis longtemps des scientifiques, mais les deux auteurs de l’étude ont calculé des émissions bien plus élevées que ce que l’on pensait jusqu’à présent. L’étude a analysé l’impact climatique de 1.473 barrages dans 104 pays, et a comparé leurs émissions à celles des autres énergies à la fois sur le court et le très long terme (200 ans).
Dans l’ensemble, les émissions moyennes mondiales des turbines hydroélectriques sont plus importantes que celles du nucléaire, du solaire et de l’éolien, mais plus faibles que celles des énergies fossiles comme le charbon et le gaz naturel. À court terme, la construction d’un nouveau barrage émet respectivement 8 à 30 fois plus de gaz à effet de serre que le solaire et l’éolien par unité d’énergie produite, et 35 à 40% des émissions d’une centrale à charbon. Sur le long terme, cette proportion descend toutefois à 10 ou 15%. Mais tous les barrages ne sont pas égaux. Une partie d’entre eux, 15 à 17% émettent plus de gaz à effet de serre qu’une centrale à charbon après 20 ans, et ces émissions sont encore supérieures après 200 ans pour 7 à 12% des barrages.
Déterminer soigneusement les emplacements
Les émissions d’un barrage varient considérablement selon la configuration du réservoir, sa profondeur et la température de l’eau. De manière générale, plus le ratio entre la surface du réservoir et l’électricité produite est élevé, plus les émissions de CO2 et de méthane seront proportionnellement importantes. De même, les barrages situés dans les régions où les températures dépassent les 40°C, comme en Inde, émettent davantage de gaz à effet de serre que les centrales à charbon.
L’étude ne préconise évidemment pas d’abandonner les barrages et l’hydroélectrique. D’autant plus que 40 à 44% d’entre eux ont un impact climatique inférieur à 10% de celui des centrales à charbon. Ils insistent en revanche sur la nécessité de bien prendre en compte les émissions sur le long terme pour choisir l’emplacement des nouveaux barrages. «Les centrales hydroélectriques en Europe de l’Ouest ont un impact climatique quasiment nul, tandis que celles construites en Afrique de l’Ouest émettent plus de gaz à effet de serre qu’une centrale à charbon», précisent les auteurs.
Or c’est justement dans les zones les moins favorables que se concentrent les plus gros projets. En Asie du Sud et en Inde, la production hydroélectrique devrait augmenter respectivement de 350% et 230% d’ici 2040. «Notre message est que l’hydroélectricité n’est pas universellement bénéfique pour le climat et qu’il faudrait étudier plus précisément l’impact des barrages pour parvenir aux meilleures chances de réduire le réchauffement global», concluent les auteurs.