Les annonces de plans sociaux se multiplient, notamment dans de grands groupes industriels comme Michelin. L’industrie automobile française fait face à une crise sans précédent et a déjà perdu 32.000 emplois au premier semestre. Cela est la conséquence avant tout de la transition à marche forcée vers la motorisation électrique qui lui fait perdre, et à l’industrie automobile européenne dans son ensemble, tout avantage comparatif technologique, économique et industriel. Ce secteur n’est pas le seul.
En dépit des discours répétés depuis des années sur la réindustrialisation et des satisfecits de l’exécutif et d’organismes publics (Bpifrance, la Banque des Territoires…), en dépit du succès médiatique du salon du Made in France, le pays a trop de handicaps structurels pour reconstruire une industrie compétitive. Cela ne peut pas se faire même avec des milliards de subventions publiques, dont la France d’ailleurs n’a plus les moyens.
Trop de handicaps structurels
Créer ou recréer des écosystèmes pérennes et dynamiques ne se décrète pas par un gouvernement ou un Etat. A fortiori quand un pays cumule aujourd’hui une multitude de handicaps structurels dans la compétition industrielle planétaire : le prix de l’énergie, le coût du travail, l’insuffisance des investissements, le manque de compétences, le nombre et la complexité des normes et pour finir la mauvaise image persistante et absurde de l’industrie dans l’opinion. La production industrielle de la France a encore baissé de 10% entre 2002 et 2024. Et il n’y a aucune raison pour que cette évolution ne se poursuive pas… avec les conséquences dramatiques que l’on admet enfin.
La disparition en France en un quart de siècle d’une partie importante du tissu industriel a été une catastrophe économique et sociale. Elle a appauvri le pays, pesé sur sa balance commerciale et sa productivité et sur sa cohésion. Elle met non seulement en péril sa souveraineté mais aussi la transition énergétique tant la Chine, devenue l’usine du monde, domine outrageusement toutes les filières industrielles de la transition (batteries, véhicules électriques, panneaux solaires, éoliennes, minéraux critiques, terres rares, pompes à chaleur, électrolyseurs…).
Aucun avantage comparatif par rapport aux concurrents
La désindustrialisation a fait disparaitre, notamment dans la France dite périphérique, une multitude d’usines qui offraient des emplois relativement bien rémunérés et qualifiés. Elle a détruit la diversité sociale dans les territoires en accélérant encore la concentration dans les métropoles et les grandes agglomérations des emplois les plus qualifiés et les mieux rémunérés. Des « réserves de cadres » pour reprendre l’expression du géographe Christophe Guilluy. Et la désindustrialisation a fait disparaître bon nombre de savoir-faire et de filières qu’il est parfois impossible aujourd’hui de ressusciter.
La part de la valeur ajoutée industrielle dans le Pib français était l’an dernier de 18,7% plus proche de celle de la Grèce (15,7%) que de l’Allemagne (28,1%) ou l’Italie (23,1%). La part du « fabriqué en France » dans la demande intérieure finale française pour les produits manufacturés a perdu 44 points entre 1965 et 2019, passant de 82% à 38%, selon une analyse de l’Insee publiée l’an dernier. En parallèle, le déficit commercial dépasse 80 milliards d’euros sur une année glissante.
Les discours volontaristes n’y changeront rien. La France n’a plus aucun avantage comparatif favorable à l’industrie, aucun atout par rapport à ses concurrents qu’ils soient européens, chinois, américains, coréens, japonais…
Un niveau de connaissances et de formation très insuffisant
Le niveau en mathématiques ou en sciences des jeunes Français ou des adultes est très médiocre, ce que montrent toutes les enquêtes (Pisa, PIAAC, TIMMS). La proportion des ingénieurs et techniciens parmi les diplômés est tout aussi faible (12 %). L’industrie nucléaire en offre une bonne illustration. Elle fait face aujourd’hui à un véritable casse-tête qui consiste pour relancer un programme de construction de réacteurs et assurer la prolongation de vie du parc existant à recruter 10.000 techniciens et ingénieurs par an pendant plusieurs années. Le problème est tel qu’EDF a dû créer une école spécialisée dans le Cotentin pour former des soudeurs de haut niveau. Et la question se pose dans les mêmes termes pour la géothermie, l’entretien et l’installation des parcs éoliens et solaires, la réparation des véhicules électriques, l’ouverture de nouvelles mines…
Les dépenses en recherche développement représentent 2,2% du PIB en France contre 3,5% du PIB aux États-Unis. Le taux d’investissement dans les nouvelles technologies est de 2,3% du PIB en France, contre 5,4 % du PIB aux États-Unis.
Coûts de l’énergie et du travail trop élevés
Pour ce qui est du prix de l’énergie, l’écart existe pour l’électricité avec les Etats-Unis et la Chine et plus encore pour le gaz naturel. Ainsi, 1 MWh de gaz coûte environ 40 euros en Europe contre 10 dollars aux États-Unis, ce qui explique pourquoi de plus en plus de sociétés industrielles européennes sont tentées de traverser l’Atlantique. La transition pour l’industrie passe obligatoirement par l’électrification des processus de production et donc l’accès à une électricité suffisamment abondante et compétitive. Selon une étude très récente de La Fabrique de l’industrie, les usines françaises pourraient consommer en 2050 deux fois plus d’électricité qu’actuellement, soit 207 térawattheures contre 103 TWh en 2023. Mais faut-il encore que les programmes de maintenance et de modernisation du parc nucléaire existant et de construction de nouveaux réacteurs soient mis en œuvre et les calendriers respectés. Il est de plus en plus douteux que le premier nouveau réacteur de la génération EPR2 puisse entrer en service en 2035 comme prévu. Combien y en aura-t-il en fonctionnement en 2050 ? Mystère…
Et puis, il y a le coût du travail. Une heure de travail dans l’industrie, y compris les charges sociales, coûte 47 dollars en France, 34 dollars en Italie, 27 dollars en Espagne, 36 dollars aux États-Unis, 12 dollars en Pologne et en République tchèque, 11 dollars au Brésil, 6 dollars en Chine et en Roumanie, 5 dollars au Mexique…
Capacité à faire plutôt qu’à dire
Enfin, il faut y ajouter le nombre et la complexité des normes industrielles imposées par les bureaucraties européenne et française et la mauvaise image persistante de l’industrie dans la population et en particulier chez les jeunes.
Impossible de réindustrialiser le pays, sans faire disparaître, au moins en partie, ces handicaps structurels. Pour le coût du travail et ceux de l’énergie, cela semble impossible à court et même à moyen terme. Améliorer les compétences, augmenter les dépenses dans la recherche développement et les investissements dans les nouvelles technologies, alléger les régulations, sont en théorie plus faciles à faire rapidement. Mais cela demande une volonté politique et une capacité à faire plutôt qu’à dire qui vont au-delà des professions de foi dont on peut douter de l’existence.