Quel que soit le sujet, le débat politique français se cantonne presque exclusivement à la France métropolitaine. Dans la plupart des domaines, l’existence même de nos compatriotes d’outre-mer voire même de Corse n’est pas prise en compte. Sans surprise, la politique énergétique n’échappe pas à la règle.
Ainsi, il est de bon ton de s’enorgueillir des excellentes (et réelles) performances françaises en termes de durabilité de son système électrique grâce notamment à son parc nucléaire. Ainsi, la France est parmi les pays les plus performants au monde avec plus de 90% de l’électricité produite bas carbone. Mais cela concerne seulement la Métropole. Ce n’est pas du tout le cas des zones non interconnectées (ZNI), vocable barbare pour désigner les territoires français non reliés au réseau national principal. Or, de la Corse à la Guadeloupe en passant par la Guyane, les performances dans ses territoires en termes d’émissions de gaz à effet de serre sont dignes de celles, que l’on aime moquer, de l’Allemagne et de ses centrales à charbon et au lignite.
Une production électrique qui s’appuie avant tout sur des centrales thermiques
En l’absence de raccordement au parc nucléaire métropolitain, la production électrique s’appuie massivement sur des centrales thermiques, comme celle de Bois-Rouge à la Réunion ou de Lucciana en Corse (voir la photographie ci-dessus). Se pose dès lors la question de l’avenir de ses systèmes électriques dans le cadre des objectifs nationaux de décarbonation.
Les nouvelles mini centrales nucléaires modulables (SMRs), dont les projets fleurissent aux quatre coins du monde, ne sont malheureusement pas adaptées à la problématique de ses zones. Elles ont le double inconvénient d’être à la fois peu peuplées et rarement proches d’autres territoires raccordables pour développer les interconnexions.
Indispensable de diversifier les sources de production
Rappelons-le, pour assurer la sécurité d’un réseau il faut éviter d’avoir une unité de production ayant un poids trop important. Si, par exemple un SMR assurait 80% de la production électrique martiniquaise, la moindre défaillance de celui-ci entraînerait immédiatement un black out total. Les périodes de maintenance sont aussi plus compliquées à organiser en l’absence de capacités suffisantes pour prendre le relais.
Pour ses raisons, il est – en l’état de la technologie, et en attendant d’éventuels micro réacteurs encore plus petits dans le futur – illusoire de compter sur le nucléaire pour permettre à nos compatriotes ultra-marins d’atteindre le niveau d’exigence environnemental que l’on a pour la métropole en matière électrique. Dès lors, seules restent les énergies renouvelables.
Des renouvelables pour remplacer autant que faire se peut l’électricité fossile
Se trouver dans le pacifique ou dans l’atlantique sud n’exonère pas des problématiques liées à l’intermittence de production de l’éolien comme du photovoltaïque. Mais la problématique est pourtant totalement différente de celle de la métropole ou de l’Allemagne. Déployer des énergies intermittentes qui, la plupart du temps, permettront d’effacer de la production fossile provenant d’une centrale thermique est un choix sans regret. Il ne permet pas – les Allemands le comprendront peut-être un jour – d’atteindre une performance globale du mix électrique à la hauteur des enjeux, mais il améliore la situation.
Certaines ZNI peuvent compter sur un potentiel hydroélectrique important qui mériterait d’être beaucoup plus développé pour disposer d’une électricité renouvelable, bas carbone et surtout pilotable. D’autres possèdent des ressources géothermiques liées à leur caractère volcanique. Mais c’est vers la biomasse liquide qu’EDF s’oriente pour l’instant.
La biomasse, moins d’investissements, moins d’oppositions locales
Une stratégie qui est certainement liée à la peur des oppositions qui ne manqueraient pas de se créer en cas de construction, par exemple, d’un grand barrage. Du coup, la priorité aujourd’hui est de moderniser les centrales thermiques existantes afin de pouvoir simplement en modifier le combustible. La biomasse liquide permet d’avoir une production électrique bas carbone sans modifier les installations ou le réseau existant.
Mais elle n’est pas sans inconvénients… Tout d’abord, il paraît acquis qu’elle ne pourra pas être produite localement en quantité suffisante, et devra donc être importée d’Europe. Nuisant sérieusement à son bilan carbone. Et en Europe, cette production sera évidemment consommatrice de terre agricole et donc entrera en compétition avec l’agriculture vivrière.
Un moindre mal sûrement. Mais qui mériterait d’être plus amplement débattu. Cela permettra aussi, peut-être et enfin aux Français de la métropole de se souvenir que certains de leurs compatriotes vivent des réalités énergétiques très différentes.
Philippe Thomazo