Le constat est sans appel. La transition énergétique nécessite des investissements massifs dans les infrastructures et l’innovation. Les technologies actuelles des batteries, des panneaux solaires, des piles à combustible, de la géothermie de faible profondeur, de gestion des réseaux électriques… sont très insuffisantes. Celles de l’hydrogène vert (produit sans émettre de CO2), de la concentration de l’énergie solaire, de la capture et du stockage du CO2, de l’utilisation de l’hydrogène dans l’industrie lourde… sont balbutiantes. Et il faut développer les filières, les réseaux, les pilotes comme les villes nouvelles à hydrogène construites au Japon et en Corée du sud.
L’impulsion doit venir des Etats et des institutions internationales, via des financements, des normes et des incitations fiscales, mais elle doit être impérativement relayée et amplifiée par les investisseurs privés et les grandes entreprises. Sinon les projets purement étatiques sont voués à l’échec. L’histoire a amplement démontré l’inefficacité des économies administrées par des bureaucraties.
Il y a trois mois, le Centre Energie & Climat de l’Ifri (Institut français des relations internationales) publiait une étude montrant que sans financements massifs privés de l’innovation et de nouvelles infrastructures, la transition énergétique n’avait aucune chance de réussir.
Un rapport de 144 pages du député Alexandre Holroyd
Alors comment faire pour orienter l’épargne et l’investissement vers la transition? Dans un rapport rendu public il y a quelques jours et remis à la ministre de la Transition écologique et solidaire Barbara Pompili, Alexandre Holroyd, député des Français de l’étranger, préconise une mobilisation massive du livret A, du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) et de l’assurance vie. C’est-à-dire de l’essentiel de l’épargne des Français.
«Mobiliser l’épargne des Français pour financer une relance économique axée sur la transition écologique est un impératif politique majeur… Les besoins en capitaux pour faire émerger l’économie verte sont colossaux», affirme Alexandre Holroyd. Dans un document de 144 pages, il rappelle que «l’épargne financière des Français n’a cessé de gonfler ces dernières années, pour atteindre un volume historique supérieur à 5.000 milliards d’euros». De l’argent majoritairement investi sur des produits de taux peu risqués comme le Livret A, le LDDS ou l’assurance vie en euros, et qui ne contribue presque pas à l’innovation.
Le député préconise une fusion du Livret A et du LDDS qui fonctionnent de la même manière ou de les différencier davantage. Dans ce cas, le LDDS participerait spécifiquement au financement de la transition. Quant à l’assurance vie, elle serait associée à la transition au travers de l’instauration de «trajectoires de part minimum d’investissement labellisé dans les produits d’assurance vie». Alexandre Holroyd souhaite aussi la création d’un label, baptisé Transition, destiné aux fonds d’investissement et d’un nouveau cadre pour l’émission d’obligations vertes.
L’emballage doit correspondre au produit
La création de ce label est tout simplement une nécessité. Il est à peu près impossible aujourd’hui de savoir quelle est la définition d’un investissement vert. Le boom dans le monde de la finance durable est une réalité. Il est marqué par la progression impressionnante des émissions d’obligations dites «vertes». Elles ont plus que quintuplé entre 2015 et 2019 pour atteindre 257 milliards de dollars l’an dernier. La capitalisation mondiale des obligations vertes dépassait en décembre dernier 500 milliards de dollars.
Le potentiel de la finance verte apparait immense si l’on mesure l’importance des fonds gérés dans le monde à partir de critères dits de durabilité. Selon la Global Sustainable Investment Alliance, ils représentaient 30.700 milliards de dollars en 2018, en augmentation de 34% par rapport à 2016. Et dans la seule Union Européenne, ils sont passés de 12.040 à 14.075 milliards de dollars, toujours de 2016 à 2018.
Mais si la définition des investissements verts reste floue et s’il y a des doutes sur la finalité réelle de ces mêmes investissements, la finance verte court de grands risques. Notamment celui d’être considérée comme une tromperie. Car à en juger par la frénésie des collectes de fonds et des engagements des investisseurs, banquiers et régulateurs, la finance entend aujourd’hui sauver la planète. Pas moins de 500 fonds adoptant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont vu le jour l’an dernier. Il faut que l’emballage corresponde au produit… Et ce n’est pas facile.
Il est ainsi presque impossible aujourd’hui de mesurer avec précision l’empreinte carbone réelle de bon nombre d’activités industrielles, notamment dans l’énergie. Quelle est l’empreinte carbone de la fabrication d’un panneau photovoltaïque dans une usine chinoise à partir de matière premières provenant d’Afrique et d’Amérique du sud et qui ensuite traverse les océans pour être installé en France?
L’enjeu majeur de la taxonomie européenne
Le principal problème aujourd’hui est celui dit de la taxonomie. Un mot barbare qui désigne la définition, en cours d’élaboration par l’Union Européenne, de ce qui est réellement un investissement vert. Quels sont les types d’énergies qui rempliront les critères? En être ou pas, ouvrira ou fermera l’accès à des financements considérables.
Depuis des mois, les batailles entre les différents lobbies et les Etats sont donc acharnées. A titre d’exemple, la France défend le nucléaire comme énergie permettant de produire de l’électricité bas carbone, ce dont nombre de pays, notamment du nord de l’Europe, ne veulent pas entendre parler. En revanche, l’Allemagne, adversaire du nucléaire, plaide pour considérer le gaz comme une énergie de transition… qui lui permettra de remplacer ces centrales à charbon. Si tout se passe bien, rien n’est moins sûr, la taxonomie pourrait être définie à Bruxelles en 2021.