La transition énergétique, faut-il encore le rappeler, a un seul objectif, permettre à l’humanité de surmonter sa dépendance extrême aux combustibles fossiles et remplacer progressivement le charbon, le pétrole et le gaz par des sources d’énergie décarbonées. Ces dernières représentant encore plus de 80% de l’énergie primaire consommée dans le monde, il faut procéder par étapes et établir des priorités. Se débarrasser du charbon en est une. Tout simplement parce que cette énergie fossile, qui produit environ un tiers de l’électricité dans le monde, est la plus émettrice de gaz à effet de serre et la plus polluante. Il faut le marteler. Le charbon est la principale source d’émissions de CO2 dans le monde provenant de l’énergie. Les efforts réalisés pour la transition n’ont presque aucun sens si la consommation de charbon continue sans cesse à augmenter. Qui s’en préoccupe parmi les multiples bonnes consciences morales et politiques ?
Car la consommation de charbon dans le monde a atteint un nouveau record l’an dernier à 4,8 milliards de tonnes, elle était de 3,9 milliards de tonnes en 2020, en dépit des annonces répétées depuis des années de son reflux par la plupart des institutions internationales guidant le monde sur la voie de la décarbonation, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Statistical Review of Energy, le BP Energy Outlook, le World Economic Forum… Selon elles, l’année 2014 devait marquer le pic de la demande mondiale de charbon (peak coal). Il y a onze ans… Le plus révoltant est que le déclin du charbon ne se profile toujours pas à l’horizon.
Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent
La capacité mondiale de production d’électricité à partir de charbon a augmenté de 13% depuis 2015, selon les données du Global Energy Monitor (GEM). Il existe aujourd’hui plus de 6.500 centrales électriques au charbon dans le monde. Depuis 2015, et le fameux accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius, le monde a augmenté de 259 gigawatts (GW) sa capacité de production d’électricité à partir de charbon. Mais les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. Celles de renoncer au charbon faites à la COP26 de Glasgow en 2021 et réitérées à la COP28 en 2023 à Dubaï sont restées lettre morte. À la fin de l’année 2024, la capacité totale de production d’électricité à partir de charbon a atteint le niveau record de 2.175 GW, tandis que 611 GW supplémentaires sont en cours de développement, selon le GEM.
Pour une fois, les pays occidentaux ne sont pas coupables. Ils ont tourné résolument le dos au charbon… à quelques rares exceptions près dont l’Allemagne. La mise hors service des centrales au charbon aux États-Unis continue à un rythme soutenu tout comme la baisse de la demande de charbon en Europe et la fin l’an dernier de toute production d’électricité à partir de charbon au Royaume-Uni, pour la première fois depuis 142 ans. Pour autant, la demande mondiale de charbon a donc atteint un nouveau record l’année dernière. Et la consommation devrait se maintenir à des niveaux élevés, voire battre de nouveaux records au cours des prochaines années.
La Chine et l’Inde ne peuvent pas s’en passer
Ce sont les économies émergentes d’Asie, menées par les deux pays de loin les plus peuplés de la planète, la Chine et l’Inde, qui portent la croissance de la demande mondiale de charbon depuis une décennie. Les deux pays prévoient encore d’augmenter leur capacité de production d’électricité à partir du charbon afin de soutenir l’essor des renouvelables intermittents (solaire et éolien) en fournissant une production pilotable dite de base, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour éviter pénuries d’électricité et coupures de courant comme celles subies au début des années 2020. Contrairement à ce que prévoient les institutions internationales depuis des années, les investissements records de la Chine dans les renouvelables ne freinent pas l’utilisation et le développement du charbon. Les sources d’énergie s’additionnent et sont complémentaires !
Ainsi, tandis que la part du charbon dans le total de la production électrique de la Chine a diminué de 75% à 70% au cours des neuf dernières années, sa production totale a en fait augmenté de 48%… La demande d’électricité dans le pays s’est accrue en moyenne de 5,5% par an au cours des cinq dernières années. Et la Chine a lancé la construction de 94,5 GW de nouvelles capacités de production d’électricité à partir du charbon et a repris 3,3 GW de projets suspendus en 2024. Il s’agit tout simplement du niveau de construction de centrales au charbon le plus élevé des dix dernières années. Signe d’un changement de politique à Pékin, les autorisations de construction de nouvelles centrales au charbon ont rebondi au second semestre de 2024 pour atteindre 66,7 GW tandis que seuls 9 GW avaient été autorisés au cours du premier semestre.
Le phénomène est similaire, mais à une échelle plus réduite, en Inde. La demande d’électricité a augmenté de 7% en 2023 et devrait connaître une croissance moyenne de 6% par an jusqu’en 2026 en raison du développement économique et démographique du pays devenu le plus peuplé au monde. Et cela s’accompagne d’une augmentation de la production nationale de charbon et d’une accélération de la construction de centrales électriques au charbon. L’Inde doit se doter plus de 88 GW de nouvelles centrales à charbon d’ici 2032.
Les errements de l’Agence internationale de l’énergie
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) n’a pas pu faire autrement que de reconnaître en décembre dernier que la demande mondiale de charbon atteindra un nouveau record en 2024. Et maintenant sa prévision est celle d’une stabilisation de la consommation mondiale de charbon jusqu’en 2027. Le risque est grand qu’il s’agisse encore une fois d’un vœu pieu.
Le précédent record remontait à 2023. L’AIE annonçait alors une consommation de charbon stable en 2024. Elle s’est trompée… Il y a malheureusement toutes les chances que la consommation mondiale de charbon continue à augmenter cette année et au cours des prochaines années. Sauf si la Chine et l’Inde renoncent soudain à satisfaire les besoins de leurs populations et de leurs économies et à assurer leur sécurité d’approvisionnement énergétique. On peut toujours comme l’AIE vivre dans un monde d’illusions.