Conformément aux promesses de campagne des municipales, la ville de Paris a l’intention de rendre payant le stationnement des motos, scooters et cyclomoteurs (les vélos à assistance électrique et les trottinettes électriques ne sont pas concernés). L’objectif selon la maire Anne Hidalgo est de mettre fin à «cette exception qui consistait à ne pas faire payer aux motards leur stationnement», d’éviter que les deux roues stationnent «n’importe comment sur les trottoirs», et de réduire «le bruit et la pollution».
Pour la FFMC (Fédération française des motards en colère) de Paris et Petite Couronne, cette mesure relève tout simplement du «racket», alors que –c’est son principal argument– «le 2RM est une des solutions à la fluidité du trafic de par son faible encombrement en circulation». Pour y voir plus clair, prenons un peu de recul et rentrons dans quelques détails.
L’encadrement du stationnement des voitures
Les Parisiens les plus âgés s’en souviennent: dans les années 1950-1960, tous les espaces publics étaient envahis de voitures. Paris était devenue un gigantesque parking à ciel ouvert. Un phénomène désormais oublié grâce à la pose d’une armée de potelets qui protège le moindre espace public dans la capitale. Ces petits poteaux, assez disgracieux, sont gênants et même dangereux pour les personnes à mobilité réduite mais c’est un moindre mal, estime-t-on.
Que sont devenues toutes ces voitures? Des centaines de parkings souterrains ont été construits et toutes les places de stationnement automobiles en surface sont devenues progressivement payantes (à un tarif d’ailleurs bien moindre qu’à Londres ou New York). Depuis les années 1990, la droite parisienne alors au pouvoir a entamé une politique de modération de la circulation automobile, poursuivie ensuite par la gauche, réduisant peu à peu de moitié le trafic, comme le révèlent les bilans annuels de déplacement à Paris. Les besoins de stationnement ont presque autant régressé et de nombreux parkings se trouvent désormais désertés.
Depuis quelque temps, les deux-roues motorisés ont à leur tour envahi les espaces publics, se jouant des potelets et profitant paradoxalement de l’abaissement des bordures au droit des passages piétons prévu pour faciliter les déplacements des personnes à mobilité réduite. Les espaces publics sont redevenus un vaste parking, mais cette fois pour les deux-roues.
L’espace public, un bien commun
Dans une logique purement fonctionnaliste, un trottoir ou une place ne sert qu’aux déplacements des piétons. Avec une conception aussi étroite, les deux-roues motorisés sont en droit de considérer qu’ils peuvent stationner partout, pourvu qu’un couloir de circulation suffisant soit laissé aux piétons.
En fait, un espace public a des usages bien plus larges: flâner, courir, admirer le paysage, discuter, se reposer, respirer, se prélasser à une terrasse, jardiner au pied des arbres ou même jouer pour les enfants. Tous ces usages très variés favorisent les rencontres et le respect des différences, c’est-à-dire l’urbanité et finalement la démocratie. Ne laisser aux piétons qu’un étroit couloir, c’est ne pas comprendre ce qui fait l’essence d’une ville et de la vie en société.
Ajoutons enfin que les espaces publics ne sont pas gratuits pour la collectivité. C’est un patrimoine qu’il faut créer, aménager, éclairer, nettoyer, entretenir, embellir, surveiller et rénover. Certes, mais les impôts sont faits pour cela, alors pourquoi payer le stationnement? Parce que ces espaces doivent servir à tout le monde et non pas seulement à quelques-uns. Si les usagers motorisés – automobilistes, motards ou scootéristes– veulent les utiliser à leur seul profit, il est normal qu’ils en dédommagent la collectivité, comme le font les commerçants ou les restaurateurs qui payent une redevance d’occupation du domaine public pour leurs étals ou leurs terrasses.
Dangers et nuisances des deux-roues
Outre la place qu’ils occupent, les deux-roues motorisés sont particulièrement bruyants, sans qu’aucun contrôle ou presque n’y mette bon ordre. Le fond sonore de Paris est dominé par leurs vrombissements. Pas une heure où l’on entende hurler le moteur d’un gros cube accélérant à plein régime. Des radars antibruit, en cours d’expérimentation, devraient bientôt le démontrer (comme vient de le faire Genève). Pourtant, un deux-roues peu puissant et bien réglé n’émet pas plus de bruit qu’une voiture et moins encore pour un deux-roues électrique.
Ces véhicules présentent également de nombreux risques, pour leurs utilisateurs comme pour les autres usagers de la rue. À Paris, chaque année, ils sont impliqués dans plus de la moitié des accidents (58 % en 2018 dernière année connue), alors qu’ils ne représentent qu’environ 15% du trafic de surface, hors piétons. Leurs conducteurs ont ainsi 40 fois plus de risque d’être gravement accidentés qu’un automobiliste. Ce bilan dramatique est principalement dû à des vitesses pratiquées excessives et aux nombreuses infractions commises. Soulignons là encore que certains usagers sont tout à fait prudents.
Les 2RM sont également des véhicules qui génèrent beaucoup de pollution, surtout les plus puissants. Les mesures réalisées, en 2019, par l’International council on clean transportation (ICCT) à Paris sur les émissions à la sortie des pots d’échappement confirment que les motos et scooters émettent jusqu’à 6 fois plus d’oxydes d’azote et 11 fois plus d’oxydes de carbone que les voitures essence les plus récentes. De nombreux engins –heureusement pas tous– sont en effet modifiés et les contrôles restent très rares.
Au regard de ce bilan peu reluisant, il faut bien admettre qu’en ville dense, les deux-roues motorisés constitue plus un problème qu’une solution, au même titre que la voiture. Il convient toutefois de nuancer ce résultat selon le type de deux-roues. Les 125 cm3 récents, respectant les normes Euro 4 ou 5, posent moins de problèmes que les gros cubes surpuissants ou que les 50 cm3 bruyants et polluants.
Tout bien pesé, il apparaît légitime de tarifer le stationnement des deux-roues motorisés. D’abord pour les traiter à égalité avec les voitures, puis pour libérer les espaces publics qu’ils encombrent et enfin pour réduire leurs nuisances.
Le stationnement payant est efficace
Plusieurs grandes villes dans le monde tarifent déjà le stationnement des 2RM: notamment Tokyo, Taipei, New York, San Francisco ou Londres dans le quartier de Westminster. En France, c’est aussi le cas de Vincennes et Charenton-le-Pont, depuis avril 2018. Paris peut donc profiter de l’expérience accumulée par ces pionniers.
Dans les deux villes limitrophes de Paris, le tarif a été fixé au tiers de celui d’une place pour voiture: un effort demandé qui demeure modéré. Et les objectifs ont été parfaitement atteints. Les piétons peuvent à nouveau déambuler librement sur les trottoirs et le nombre de deux-roues stationnés sur la voie publique a fondu. Plutôt que de stationner n’importe où, les usagers se souviennent soudain qu’ils disposent d’un garage à leur domicile, d’une place sur leur lieu de travail ou d’un parking souterrain à proximité – ou à défaut d’une place bien délimitée dans la rue. Les deux-roues ventouses, servant peu ou quasi abandonnés, ont également disparu.
Résultat, dans l’hypercentre de ces deux communes, le nombre de 2RM stationnés a fortement diminué (des comptages précis avant/après n’ont cependant pas été effectués). Nul doute qu’il en sera de même à Paris. Malgré les 50.000 places disponibles, il manque encore des places en surface, mais les deux-roues ventouses disparaîtront et il sera facile de créer de nouveaux emplacements dans les parkings souterrains sous-utilisés.
Bien qu’elle ne soit jamais populaire, une tarification modérée a l’avantage de rendre tout le monde plus raisonnable et d’éviter les excès.
Frédéric Héran Économiste et urbaniste, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.