Cela ne pouvait tomber au plus mauvais moment pour ExxonMobil et ce n’est certainement pas une coïncidence. Lundi 21 octobre, à la veille du procès de la multinationale devant un tribunal de l’Etat de New York pour diffusion de fausses informations financières sur les risques liés au changement climatique, des universitaires du Center for Climate Change Communication de la George Mason University rendent public un rapport sur les campagnes mensongères menées pendant des années par la compagnie pétrolière.
Ainsi, les dirigeants d’ExxonMobil, comme l’ex-Pdg Rex Tillerson, qui a quitté la société le 1er janvier 2017 pour devenir jusqu’en mars 2018 le Secrétaire d’Etat de l’administration Trump, «entendaient une chose des scientifiques qu’ils employaient, disaient au public une autre chose, aux investisseurs encore autre chose et à eux-mêmes une quatrième chose…». Le rapport souligne également les contradictions des campagnes de désinformation. «Le déni climatique manque de cohérence car il ne s’agit de preuves scientifiques, il s’agissait de continuer les affaires comme d’habitude face au dérèglement climatique».
Toujours selon le rapport, les pétroliers savaient depuis des décennies que le changement climatique était une réalité mais ils y ont répondu non pas en changeant leurs pratiques mais en trompant le public par des campagnes de désinformation dont par exemple la pleine de page de publicité dans le New York Times mettant en avant en mars 2000 le fait que la science était «incertaine» (unsettled) sur le changement climatique. Il s’agissait alors d’installer dans le débat public et dans l’opinion l’idée fausse selon laquelle il n’y avait pas de consensus scientifique sur le changement climatique et de contraindre les médias à traiter cette question comme si elle n’était pas tranchée.
Aversion pour la réalité climatique
La justice devra maintenant répondre à une question plus précise: ExxonMobil a-t-il trompé les investisseurs et délibérément sous-estimé les risques financiers liés au changement climatique? La plainte a été déposée en octobre 2018 par le procureur général de l’Etat de New York, au nom de millions d’investisseurs américains lésés par la fraude présumée de la société, cotée au New York Stock Exchange. La plainte met directement en cause Rex Tillerson qui «savait depuis des années que les affirmations de la société sur ces coûts étaient trompeuses».
A ExxonMobil, selon Letitia James, le Procureur général de l’Etat de New York, l’aversion pour la réalité climatique était si profonde qu’elle a faussé les décisions et les pratiques commerciales et comptables. Au point de ne pas inclure dans les projections financières des coûts liés aux contraintes climatiques. «Exxon a apporté des assurances fausses et trompeuses sur le fait qu’il gérait les risques économiques pour son activité résultant des politiques et des réglementations plus strictes que les gouvernements allaient adopter pour faire face au changement climatique», écrit le Procureur.
Les charges proviennent en grande partie d’investigations lancées par InsideClimate News. Elles montrent notamment qu’ExxonMobil a mené des recherches sur l’impact sur le climat de l’industrie pétrolière à partir des années 1970 et a investi ensuite des millions de dollars dans des campagnes de désinformation sur le sujet.
«Pendant 60 ans, l’industrie des carburants fossiles connaissait les dangers potentiels de réchauffement liés à ces produits. Mais au lieu de mettre en garde le public ou d’agir sur cette question, ils ont orchestré une campagne massive de déni et de retardement pour protéger leurs profits», déclare Geoffrey Supran, l’un des auteurs du rapport, au Los Angeles Times. Il ajoute: «les preuves sont irréfutables: Exxon a trompé le public».
ExxonMobil qualifie pour sa part de «fausses» et «trompeuses» les accusations du procureur. La société se dit confiante d’être exonérée par la justice. «Il est connu que l’enquête menée par le procureur général et la plainte au civil qui a suivi étaient politiquement motivées et résultaient d’un effort concerté d’organisations anti-énergies fossiles et d’avocats impliqués dans d’autres affaires attaquant l’industrie pétrolière», indique la société dans un communiqué. En août dernier, la SEC, le gendarme américain de la Bourse, a classé sans suite une enquête menée pendant plus de deux ans sur les pratiques comptables d’ExxonMobil et l’impact financier des politiques publiques contre le réchauffement climatique sur ses résultats.
Le Procureur de l’Etat de New York aurait demandé que des amendes comprises entre 476 millions et 1,6 milliard de dollars soient infligées à la compagnie pétrolière. Son chiffre d’affaire était l’an dernier de 279 milliards de dollars.