L’un des plus importants obstacles économique et social à la transition énergétique en Europe est le risque de désindustrialisation accélérée, de pertes de compétences et de souveraineté. Passer de la dépendance aux producteurs d’hydrocarbures à la dépendance aux fabricants de batteries, de véhicules électriques, de panneaux solaires, d’éoliennes, de pompes à chaleur, d’électrolyseurs… serait catastrophique. C’est ce qui menace aujourd’hui l’Union Européenne prise en tenaille entre la compétitivité et la taille de l’industrie chinoise construite avec l’aide massive de l’Etat depuis des années et le protectionnisme et les subventions considérables américaines.
Les exportations de batteries, véhicules électriques et panneaux solaires ont atteint 150 milliards de dollars
Une illustration saisissante des surcapacités industrielles chinoises dans les technologies de la transition est donnée par les chiffres officielles des exportations chinoises l’an dernier. Elles ont atteint des niveaux records dans les batteries, les véhicules électriques et les panneaux photovoltaïques. Les ventes à l’étranger de ses productions, considérées comme stratégiques en Chine depuis une décennie, ont dépassées 150 milliards de dollars, soit une augmentation de 20% par rapport à 2022 selon une étude récente du Griffith Asia Institute (voir l’infographie ci-dessous). Et si en dollars, les exportations chinoises ont vu leur valeur baisser depuis le début de l’année cela tient à une baisse des prix et pas à un recul des volumes vendus selon l’analyse de l’agence Bloomberg des chiffres officiels chinois.
Pékin affirme que ses capacités industrielles aident le monde à passer à une énergie plus propre à des coûts abordables. Les États-Unis et l’Europe, qui considèrent tardivement comme stratégique et indispensable de développer leurs propres capacités de production, affirment que la surproduction chinoise est le fruit d’un dumping, d’une concurrence déloyale et de productions dont l’empreinte carbone est problématique.
Mais la situation n’est pas prête de changer rapidement. « Il est peu probable que la domination chinoise dans les trois secteurs soit remise rapidement en question », estiment Jing Zhang et Christoph Nedopil dans le rapport du Griffith Asia Institute. Ils citent comme raisons à cela les chaînes de valeur totalement intégrées du pays des matières premières aux produits finis et l’innovation rapide soutenue par un financement massif du gouvernement. Ils ajoutent que la montée des tensions commerciales pourrait pousser certains producteurs chinois à investir à l’étranger. C’est déjà le cas en Europe dans un grand nombre de méga-factories de batteries lithium-ion.
Une croissance continue
En milliards de dollars. Noir : part dans le total des exportations chinoise, Beige batteries lithium-ion, Bleu panneaux photovoltaïques, Vert véhicules électriques
Source : Griffith Asia Institute
Les trois marchés plus en détails.
-Les batteries lithium-ion
Les exportations chinoises de batteries se sont envolées en parallèle avec l’augmentation rapide des parts de marché des voitures électriques dans le monde, même si cette croissance ralentit. Selon le rapport Griffith, les 65 milliards de dollars d’exportations enregistrées l’année dernière étaient presque 28% plus élevés qu’en 2022, les États-Unis, l’Allemagne et la Corée du Sud étant les marchés les plus importants.
Une partie de cette augmentation des ventes pourrait être liée à la constitution de stocks, selon le rapport, qui note que les États-Unis ont commencé à renforcer les règles visant à exclure de leur marché les batteries en provenance de Chine. Les exportations chinoises de batteries vers les États-Unis et la Corée du Sud ont d’ailleurs diminué en dollars au premier trimestre de cette année, mais la baisse des prix peut également en être la cause.
-Panneaux solaires
Les grands fabricants chinois d’équipements solaires se sont emparés depuis déjà plusieurs années d’une grande partie du marché mondial en faisant baisser les coûts et en poussant leurs concurrents à la faillite. Cette industrie a quasiment disparue en Europe dans l’indifférence générale notamment des institutions européennes prêtes à tout sacrifier pour rendre moins impossibles leurs objectifs de décarbonation. Conséquences, les fabricants chinois ont exporté l’an dernier un tiers de plus d’équipements solaires qu’en 2022, selon le rapport de l’université Griffith.
Mais l’effondrement des prix et une guerre commerciale féroce du fait des surcapacités commence aussi à faire des victimes en Chine. Longi Green Energy Technology, l’un des premiers groupes d’équipements solaires au monde, a annoncé une perte au premier trimestre. Bon nombre d’industriels chinois vendent aujourd’hui leurs panneaux à des prix proches, voire inférieurs, à leurs coûts de production. Nombre d’entre elles ont été contraintes de licencier du personnel et d’annuler la construction de nouvelles usines pour survivre à la consolidation du secteur.
-Véhicules électriques
Les groupes automobiles chinois telles que BYD, Nio, Xpeng, Ora… ont fabriqué environ 10 millions de véhicules électriques l’année dernière, près de 70% de la production mondiale, selon le rapport Griffith. Plus de 1,5 million ont été exportés, une augmentation de 64% en un an selon les données officielles chinoises.
L’Europe est de loin le marché à l’exportation le plus important pour les fabricants chinois de véhicules électriques, mais craignant de voir disparaître purement et simplement son industrie automobile la Commission européenne à ouvert une enquête sur les subventions chinoises qui débouchera probablement sur l’imposition de droits de douane.
En attendant, la guerre des prix est féroce et a mis dans une situation très délicate Tesla, le leader américain depuis des années des véhicules électriques. Illustration de la baisse des marges, BYD, qui a dépassé très récemment Tesla en nombre de ventes a annoncé que son chiffre d’affaires au premier trimestre avait augmenté au rythme le plus lent depuis quatre ans, tandis que ses exportations ont fait un bond de plus de 150%.